La déflation du pétrole et des junk bonds de l’énergie de schiste

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Par Simone Wapler Modifié le 13 décembre 2022 à 20h40
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@shutter - © Economie Matin
800Depuis novembre 2014, le nombre de puits de pétrole en activité est passé de 2 000 à 800.

Le compartiment obligataire des junk bonds est rentré en déflation. La baisse du pétrole n’est pas nouvelle. Elle a commencé le 24 juillet 2014, alors que le FMI revoyait à la baisse les prévisions de croissance mondiale.

Cour du baril WTI depuis deux ans

A cette date, les entreprises américaines de pétrole de schiste couvrent leur production par des contrats à terme ce qui leur permet de vendre dans le futur à un prix garanti proche du prix d’aujourd’hui, à savoir 100 $ le baril.

Le pétrole dévisse tout au long de l’année 2014 qu’il termine au prix de 45 $ le baril, bien en-dessous du prix de production du pétrole de schiste (de l’ordre de 60 $ à 100 $ le baril). A la mi-2015, le pétrole rebondit vers 60 $ le baril avant de reculer à nouveau. Au fur et à mesure que les contrats de couverture expirent, de plus en plus de pétroliers américains sont pris à la gorge.

Dans un marché libre, et non pas sous influence des banques centrales, l’activité n’aurait peut-être jamais vu le jour car les cours du pétrole n’auraient pas fait l’objet d’une telle spéculation et le niveau des taux d’intérêt n’aurait pas permis de financer du forage à crédit.

Théoriquement aussi, nous aurions du constater de nombreuses faillites des exploitants. Ce n’est pas ce qui est arrivé ; la production a décru de 60%, est revenue à son niveau de novembre 2014, le nombre de puits en service est passé d’environ 2 000 à 800 mais aucune faillite retentissante.

Nombre de puits en production selon les techniques utilisées

Et concrètement, voici l’allure de la production qui est revenue au niveau de novembre 2014.

Qui va payer la casse ??

Voyons le côté financier de cette affaire. Une des banques impliquée dans ce secteur – Zions Bancorp – a publié ses résultats le 19 octobre. Elle a indiqué qu’à la fin du mois de septembre, 15,7% de ses prêts étaient en difficulté (contre 11,3% le trimestre précédent). Montant total des créances douteuses : 1,32 milliard de dollars.

Wells Fargo, de son côté, avoue avoir mis "plus de réserves de côté pour faire face aux défauts consécutifs à la détérioration du secteur de l’énergie. Bank of America avoue provisionner 15% de son portefeuille de prêts dans ce secteur et JP Morgan une somme dérisoire 160 millions de dollars. Ce sont de petits montants.

En réalité, au fur et à mesure que le vent tournait sur le miracle du pétrole de schiste américain, les banques se sont défaussées de leurs prêts. Elles ont poussé les entreprises auxquelles elles avaient prêté à émettre des obligations qu’elles ont revendues. Avec l’argent levé, les entreprises ont remboursé leurs prêts aux banques.

Puis, à la fin de l’année 2014 et au début 2015, des fonds spéculatifs et des fonds de placement privés ont racheté des tombereaux d’obligations décotées, lâchées par leurs porteurs affolés par la baisse des cours du pétrole. Des fonds ont même emprunté pour racheter ces junk bonds sur le marché secondaire, pensant que les cours du pétrole avaient trouvé leur plancher et qu’ils allaient rebondir. Et ils ont prêté à ces mêmes entreprises mais à des taux encore plus élevés !

Magnetar Capital (14 milliards de dollars de fonds en gestion), Brigade Capital Management (16 milliards de dollars dans le schiste), King Street Capital Management (21 milliards de dollars de fonds en gestion), Phoenix Adviser (1,2 milliard de dollars de fonds en gestion). Tous ces fonds affichent ce dernier trimestre des résultats rouge sang.

Reprise du secteur ou début de la fin ??

Mais déjà de "l’argent frais" se met à nouveau sur les rangs. Blackstone a levé 5 milliards de dollars pour un nouveau fonds énergie, Carlyle est en train de lever 2,5 milliards de dollars… Les prix du pétrole vont se redresser, le fiasco du schiste "offre une opportunité d’achat incroyable compte tenu de la bonne tenue de l’économie américaine", affirme Jeffrey Peskind, le fondateur de Phoenix Capital.

Qui sait, s’ils avaient raison, avec tout ce que font les banques centrales, quand-même… Sauf que les professionnels du pétrole, ceux qui sont en tête de l’investissement dans l’économie réelle, ne semblent pas voir tout à fait les choses comme cela. Il y a trois mois, Paal Kibsgaard, le P-DG de Schlumberger, pensait effectivement que le creux avait été atteint mais il a changé d’avis.

"La plupart des petites sociétés ont une trésorerie nette négative. Elles ont un stress financier significatif et peut-être que certaines d’entre elles feront faillite dans les trimestres à venir ou l’année prochaine. Mais il y a toujours une surcapacité massive et ces petits acteurs en faillite seront probablement ramassés par d’autres investisseurs, leurs actifs reviendront sur le marché. Donc je pense que l’industrie vivra avec cette surcapacité pendant une durée considérable."

Donc pas de remontée des cours du pétrole à l’horizon sauf événement imprévu dans le Golfe. Il y a quand même 5 000 milliards de dollars d’obligations d’entreprises dans le secteur du schiste.

Notre hypothèse de déflation est vérifiée par le secteur du pétrole et gaz de schiste. N’oublions pas que le prodigieux succès de cette industrie nous était vanté comme à l’origine de la reprise – que dis-je, de la renaissance – américaine.

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Simone Wapler est directrice éditoriale des publications Agora, spécialisées dans les analyses et conseils financiers. Ingénieur de formation, elle a quitté les laboratoires pour les marchés financiers et vécu l'éclatement de la bulle internet. Grâce à son expertise, elle sert aujourd'hui, non pas la cause des multinationales ou des banquiers, mais celle des particuliers. Elle a publié "Pourquoi la France va faire faillite" (2012), "Comment l'État va faire main basse sur votre argent" (2013), "Pouvez-vous faire confiance à votre banque ?" (2014) et “La fabrique de pauvres” (2015) aux Éditions Ixelles.

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