« Historique », « sans précédent », « unique », … les qualificatifs employés pour décrire la crise actuelle sont sans ambiguïté sur son ampleur. Et la mobilisation exceptionnelle de tous – État, entreprises, citoyens – se veut à la mesure des enjeux de l’événement et de l’impératif que nous partageons : protéger au mieux la santé et la vie de chacun.
Mais si cette crise nous pousse chaque jour à inventer de nouvelles façons d’agir, et à faire preuve de résilience, elle nous invite aussi à prendre du recul et nous interroger sur l’avenir qu’il nous appartient désormais de dessiner.
La crise actuelle va avoir un impact profond sur nos modes de vie. Tout d’abord, chacun de nous est amené, du fait de la situation, à reconsidérer ce qui lui est essentiel. Et à repenser son système de valeur au prisme de deux priorités qui vont s’imposer à tous au sortir de la crise : l’environnement et la santé. Ces deux préoccupations vont dorénavant peser sur les actions individuelles, sur les collectivités et les pouvoirs publics, et sur tous les décideurs privés. Elles vont changer les priorités, faire évoluer les goûts et déterminer de nouveaux usages. Le Covid-19 marquera une accélération sans précédent dans la prise en compte de ces deux priorités. Autre révolution, la crise va nous amener à repenser notre système économique. Les difficultés d’approvisionnement actuelles dans de nombreux domaines, et notamment dans la santé, montrent les limites du modèle de division internationale du travail. Il est à parier qu’au sortir de cette crise, et pour mieux préparer les prochaines, un certain nombre d’entreprises vont relocaliser leurs actifs industriels en France. Accélérant ainsi le phénomène, déjà important, des boucles locales de production et de consommation.
Traversées par ces deux inflexions majeures, de nombreuses transformations, parfois déjà en germe, vont s’accélérer dans les mois et années à venir. Nos modes de travail vont évoluer, avec une plus grande place offerte au télétravail. Les outils numériques, qui se multiplient, ont d’ailleurs déjà permis à plus de 13 millions de Français de télétravailler lors du confinement. Les bureaux auront un rôle nouveau et deviendront essentiellement des lieux de rencontres. Nos modes de consommation vont également changer, avec un renforcement des boucles locales y compris dans la grande distribution, comme l’illustre certaines initiatives de « ticket solidaire » et une place toujours plus grande pour les applications, le digital et les livraisons à domicile (même Rungis s’y met…). Nos modes de production vont être transformés et des sites industriels ou logistiques plus décentralisées et plus digitalisés. Nos logements et nos infrastructures vont être profondément repensés autour des enjeux de santé et d’environnement, pour devenir plus adaptés à chacun et plus durables.
Plus que jamais, le rôle des grands décideurs publics et privés va être décisif pour engager une mutation accélérée de notre monde. Il nous faut concevoir, plus vite et plus urgemment, de nouveaux modes de production, de nouveaux modes de consommation, de nouveaux usages et modes de vie. En matière d’énergie, l’urgence sera bien entendu de consommer moins et mieux – en plaçant la question des énergies vertes et de l’efficacité énergétique au cœur de notre système de décision. Au-delà de l’énergie, c’est l’accompagnement des nouveaux usages des lieux de vie et de travail, les changements de comportements, la fonction nouvelle donnée aux lieux physiques professionnels, l’accélération des mutations dans l’habitat et l’extraordinaire chantier des mutations de la ville et de l’espace urbain qui vont devenir notre priorité. Dirigeant d’une entreprise qui est en première ligne face à ces mutations à venir, et qui compte 50 000 collaborateurs engagés, j’ai le sentiment que nous entrons aujourd’hui dans une épreuve fondatrice : celle de la transformation de notre monde.