Le travail au noir, vous connaissez ? Pas compliqué à décrire quand on le regarde en face. Pour le "salarié", cela veut dire être payé à la petite semaine, 10 euros par ci, 20 euros par là ; l'impossibilité d'emprunter, de payer des études à ses enfants, d'épargner pour sa retraite. En bref, c'est l'absence de toute protection sociale.
Malgré les progrès immenses de l'activité légale, c'est encore ainsi, dans les services à la personne, qu'est effectuée la majorité des prestations : au noir. Avec, pour le particulier employeur comme pour le salarié, tous les dangers que cela implique : prestation de qualité incertaine, risque d'escroquerie, risque pénal grave si l'intervenant au domicile "employé" au noir se blesse durant son travail. Et pour l'Etat, ce sont autant d'impôts qu'il ne perçoit pas, autant de RSA et d'autres allocations qu'il doit verser indûment aux salariés au noir.
Dans mon secteur, le travail au noir est mon unique concurrent. Si j'ai fondé Petits-fils, c'est parce que, pour les personnes âgées que nous aidons, pour les familles qui viennent à nous, pour les salariés qui se dévouent à elles, je souhaitais autre chose. Tous les jours, tous mes efforts combattent la concurrence déloyale du travail au noir. C'est pareil pour mes confrères.
Or, jusqu'à présent j'avais l'Etat de mon côté. Par diverses réductions de taxes et de charges, il incitait les usagers à faire appel au secteur légal et permettait aux structures employeuses de vivre. Guère plus : cela n'a jamais été Byzance, aucune fortune immense ne s'y est créée, et je ne connais aucune entreprise qui soit très au-dessus du simple équilibre financier qui permet de poursuivre l'activité et d'offrir des services et de l'emploi.
Et puis est venu, d'on ne sait où, cet article 15 du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2013 : supprimer le principe de cotisations forfaitaires, c'est-à-dire renchérir de 10 à 40 % le prix de l'heure travaillée ! Et cela, sans concertation, au mépris de toute arithmétique, au mépris de la connaissance la plus rudimentaire de nos métiers, et en dépit de la colère générale de tous ceux qui y travaillent. Avec l’idée erronée qu'enfin justice sociale et emploi à domicile allaient être réconciliés.
Tout cela est irrationnel et faux :
- Dans mon entreprise, les auxiliaires de vie sont payées plus que le SMIC : cela me paraît normal. Pourtant, dans mon entreprise, la réforme entraînerait, par exemple, une augmentation du coût du travail de plus de 20 % pour les heures de nuit...
- Une nuit durant inévitablement 12 heures et les nuits revenant inévitablement 7 jours par semaine, l'augmentation du coût horaire aurait un impact considérable sur la charge que les familles doivent supporter.
- Or, les familles qui font appel à nos services ne le font pas pour baisser leurs impôts. Elles ne font pas appel à nos services pour spéculer sur un produit financier ou immobilier. Quand elles viennent vers nous, c'est pour répondre à un besoin de dépendance et de sécurité pour leur proche. Elles n’ont pas le choix et ne peuvent pas réduire le nombre d'heures de présence.
- Dans les services à domicile, l'augmentation du prix de 10 % entraînera le passage de 10 à 40 % de la clientèle (selon les métiers) vers le travail au noir. Mon entreprise, comme toutes les autres entreprises de notre secteur économique, ne pourra pas supporter une telle diminution d'activité. Ce sont des dizaines de milliers d'emplois déclarés qui disparaîtront, comme en Espagne récemment. Et cela, du jour au lendemain.
- Il est indécent de tenter de justifier une telle hausse du coût du service auprès des Français avec le mirage d'une couverture sociale qui serait soit disant améliorée, alors même que la seule alternative qu'auront les Français sera soit de renoncer à tout ou partie à des services devenus trop onéreux, soit d'employer une personne directement et au travail au noir. Il n'est pas admissible pour un gouvernement de contraindre, dans les faits, des salariés au travail illégal et à la précarité.
Face au texte de loi présenté par le gouvernement aux parlementaires et voté récemment par les députés, la conclusion est imparable : l'Etat est en train de changer de camp et de s’allier objectivement à l'illégalité et à la précarité. C'est révoltant.
Il reste un motif d'espoir, même mince : le texte doit être voté la semaine prochaine au Sénat.
Sénateurs, Ministres, si votre réforme devait entrer en vigueur, vous devrez assumer la responsabilité et les conséquences des destructions d’emplois et fermetures d’entreprises devant vos électeurs. Il est encore temps de revenir sur cette erreur en votant contre cet article.