Le tunnel des élus coupés des réalités

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Par Olivier Myard Modifié le 27 décembre 2016 à 7h54
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97,6%La dette publique de la France a atteint 97,6 % du PIB au troisième trimestre 2016.

La « noblesse d’Etat » française vit dans un tunnel coupé des réalités. Bénéficiant du statut protecteur de fonctionnaire, elle peuple l’Assemblée et l’exécutif. Notre Parasitocratie finit toujours par imposer ses solutions étatiques étouffant la concurrence.

En parallèle à la « noblesse d’Etat » française s’est développé jusqu’à nos jours un système politique de plus en plus fermé.

Michèle Delaunay, cancérologue, députée socialiste de Gironde en 2007, et ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie dans le gouvernement Ayrault de mai 2012 à mars 2014, a dénoncé ce système dans son blog « Le tunnel, ou comment faire carrière sans mettre un pied dans la vraie vie ».

La démonstration est magistrale.

Elle explique pourquoi et comment la grande majorité de nos élus n’est jamais passée par la case « réalité ». Comme le dit Michèle Delaunay, « perdre tout pied dans la réalité, n’avoir plus le sens commun », phénomène qui s’accélère, même si c’est anecdotique, avec l’accès à la voiture de fonction avec chauffeur.

La notion de service s’efface, et le « plan de carrière » est linéaire : attaché parlementaire, élu local (nos 35 000 communes et le mille-feuille territorial multiplient les possibilités), recasé dans certains cas comme fonctionnaire territorial, élu départemental puis régional, enfin député, président d’exécutif territorial… Tout cela est possible sans jamais avoir fait rentrer un chiffre d’affaires, géré un compte d’exploitation, regardé anxieusement la météo avant la récolte, assuré des urgences de nuit, servi des clients en situation concurrentielle nationale et encore moins internationale…

En revanche, experts en tactique électorale, capables de faire basculer un bureau électoral du bon côté afin d’assurer élections et réélections, jonglant avec le cumul des mandats pour étouffer tout concurrent potentiel, surtout dans son propre camp, nos élus sont indéracinables. Battus à la mairie, ils restent dans le paysage politique comme député, et vice-versa, et peuvent donc se représenter aux élections suivantes.

Si en plus ils sont fonctionnaires, leur carrière continuera dans leur corps d’origine sans jamais y être présent. Avancements d’échelon automatiques, ancienneté qui continue de courir, droits à la retraite qui s’accumulent (et se cumulent, au moins en partie, avec ceux acquis grâce à leurs mandats)… Elus, ils seront administrativement placés en « situation de détachement », comme tout fonctionnaire changeant d’administration.

Battus aux élections, ils retrouveront un poste automatiquement, « sur simple demande » adressée à leur administration d’origine. Dans bien des cas, cette dernière fermera les yeux sur les absences répétées du fonctionnaire ex-élu (et donc futur réélu puisque les battus reviennent toujours).

Une Assemblée de fonctionnaires

Les agents publics ont, comme tout le monde, les défauts de leurs qualités. Dans leur écrasante majorité intègres, dévoués, ils ont une haute idée de ce que doit être le « service public ». Mais ces nobles objectifs passent souvent par un accroissement sans fin de la sphère publique, des politiques interventionnistes et keynésiennes, comme par hasard garantes à terme de leurs débouchés professionnels. Charité bien ordonnée…

Dès qu’un nouveau problème apparaît, plutôt que de traiter les causes et d’éliminer les entraves économiques, le génie français imagine de nouveaux dispositifs, de nouvelles procédures, des subventions, etc. Cela suppose de créer souvent de nouveaux organismes pour gérer ces innovations (formule polie pour « usine à gaz ») et renforcer les instances contrôle, car bien entendu, des citoyens en abuseront.

Ne vous étonnez pas non plus de voir notre personnel politique, en grande majorité, toujours imprégné de réflexes étatistes, noblement justifiés par l’appel aux mannes de Colbert. Nous sommes des nostalgiques du colbertisme, des fabriques d’Etat, corderies, soieries, et autres faïenceries royales. Nous nous souvenons du faste de ces entreprises, mais nous avons oublié que, dès qu’elles ne furent plus subventionnées, elles sombrèrent. Seul Saint-Gobain a survécu.

A chaque problème, une décision politique, et son cortège de dépenses publiques nouvelles. Souvent prises sous le choc de l’émotion de l’opinion, ces décisions vont la plupart du temps s’attaquer au symptôme, facilement visible, plutôt qu’à la cause, ce qui supposerait de mettre en cause des intérêts acquis et des rentes. La loi Le Chapelier promulgué en 1791 pour faire disparaître les corporatismes a fait long feu.

Le logement et l’emploi, thème de prédilection des « usines à gaz »

On découvre trop tard les effets pervers qui curieusement n’auront jamais été anticipés par les études d’impact accompagnant le projet de texte ; il faudra alors une nouvelle décision, avec nouvelles dépenses (c’est-à-dire de nouveaux impôts et/ou un endettement supplémentaire), de nouveaux effets pervers, et ainsi de suite. Les multiples initiatives successives en matière de politiques du logement depuis la Loi de 1948 et depuis trente ans pour l’emploi sont des exemples bien connus.

Il n’est certes pas anormal que des fonctionnaires figurent au sein du personnel politique, mais à due proportion de leur place dans la société française. Sur ce point, l’idée d’avoir un Sénat composé de citoyens tirés au sort, à l’instar des jurés d’assises, comme le propose Arnaud Montebourg, pourrait constituer une vraie innovation.

Parasitocratie : Les élus battus reviennent toujours : une exception démocratique française

Dans les autres démocraties, si vous êtes battu, hormis circonstances historiques exceptionnelles, vous disparaissez des radars, laissant la place à d’autres. Dans notre pays, la tradition est bien établie, les battus reviennent toujours, constituant une autre exception française.

Nos élus du tunnel identifié par Michèle Delaunay seront, si tout va bien, secrétaires d’Etat à la trentaine, ministre à la quarantaine… sans jamais avoir travaillé dans le secteur concurrentiel, encore moins à l’international, et donc, le plus souvent, sans parler anglais. Parler anglais ou une autre langue d’ailleurs, n’est pas forcément un gage donné à une culture, mais un moyen de s’ouvrir au monde.

Experts en joutes électorales cantonales, excellents communicants et débateurs, ils se retrouvent soudainement avec des responsabilités nationales, devant traiter avec leurs homologues étrangers, tant nos politiques publiques sont étroitement dépendantes des décisions qui se prennent à Bruxelles. Faute de maîtrise de leurs dossiers, ils sont totalement soumis à leurs administrations, qui elles les connaissent.

A titre d’exemple, au Canada, où se superposent trois niveaux d’administration – local, provincial, et fédéral – trois classes politiques différentes, une par niveau, gèrent le pays, et les passerelles entre ces trois catégories sont peu fréquentes. C’est normal, ce sont trois métiers différents qui requièrent des qualités distinctes.

Ce n’est pas parce que vous êtes compétent pour gérer la rénovation de la voirie, la construction des piscines et l’entretien des écoles que vous êtes qualifié pour négocier des accords internationaux protecteurs de vos intérêts stratégiques.

La démarche originale d’Emmanuel Macron est très critiquée. Il tente de se bâtir un destin national sans avoir à remonter un à un les échelons territoriaux. Notre ancien ministre de l’économie représente une caricature – Sciences Po Paris, ENA, Inspection des Finances – avec un passage dans le privé, mais dans une banque d’affaires, au nom (Rothschild) symbolique de la « haute finance », que son mentor de l’époque considérait comme son ennemi.

Selon les sondages, les Français ne semblent pas lui en tenir rigueur. Peut-être sont-ils rassurés par ce parcours prestigieux qui fait « rêver les belles-mères ».

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ENA, Sciences Po Paris, Olivier Myard est aujourd’hui fonctionnaire international, en poste en Amérique du nord (États-Unis, Canada) depuis 2005. Auparavant, il avait développé sa carrière dans le secteur privé (banque, assurances), mais aussi au sein du réseau international du ministère des finances (Services économiques en ambassade) et auprès des juridictions financières (Cour des comptes, chambres régionales des comptes). Il a passé la moitié de sa vie à l'étranger et outre-mer, mais reste attentif à l’évolution de son pays, avec un regard de l’extérieur.

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