Electricité : le système européen est en crise

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Par Jean-Pierre Riou Modifié le 29 novembre 2022 à 10h07
Energie Europe Electricite Renouvelable
@shutter - © Economie Matin
100 %L'ADEME vient de rendre un rapport établissant la crédibilité d'un chiffre de 100 % d'électricité d'origine renouvelable.

Dans son nouveau cadre d’action, la Commission européenne vient clairement de se recentrer sur l’ « urgence climatique » et érige en priorité absolue les réductions d’émission de CO2 et non plus le développement d’hypothèses qui étaient supposées y parvenir.

Pourtant, notre transition écologique concentre le plus gros de ses moyens contre les 5% des émissions de CO2 nationales que représente le secteur électrique et s’échine à restructurer son parc de production, déjà l’un des moins émetteurs de CO2 d’Europe, plus de 90% de son électricité en étant exempte.

L’ADEME vient même de rendre un rapport prétendant établir la crédibilité de 100% d’électricité d’origine renouvelable.

La priorité y est étrangement donnée aux 2 filières les plus aléatoires : l’éolien terrestre et le solaire, qui totalisent à elles seules, dans la simulation de référence, 70% de la production attendue.

Le facteur de charge des éoliennes pouvant varier dans une échelle de 1 à 100 (voir chiffres clés Eco2mix), une marge de sécurité est prévue, nécessitant un total de 50 000 éoliennes terrestres (p45), transformant la France en ventilateur géant.

Les exportations des excédents, quand le vent souffle, sont indiquées pour chaque simulation. Sans même sembler avoir pris la mesure du fait que nos voisins européens seront soumis à la même conjoncture climatique et donc excédentaires en même temps que nous, à l’instar de l’Allemagne qui a payé jusqu’à 500€/MWh pour qu’on la débarrasse de ses surplus aléatoires. (Epex spot 04/10/2009) De fait, dans les simulations, nos exportations semblent programmées la nuit, aux heures où l’Europe de l’intermittence ne saura que faire de son courant. La rentabilité de nos moyens de production intermittents devra, en tout état de cause, être revue à la baisse en raison de ses excédents qui ne trouveront pas preneur.

Sait on bien que la France est la principale garante de l’équilibre européen mis à mal par l’intermittence de ses voisin, qu’elle alimente, même aux heures de ses propres pointes de consommation, grâce à la disponibilité de son parc, premier exportateur européen.

A cette occasion, rappelons, une fois encore, que ce n’est pas l’Allemagne qui nous fournit du courant mais bien l’inverse :

(Fraunhofer Institute année 2014, importations provenant de France au dessus de l’horizontale, exportations vers la France en dessous )

La production aléatoire ne s’ajustant pas à la demande, il est donc prévu que la demande soit pilotable par le gestionnaire de réseau, à savoir (p 20) : La gestion d’une pointe de 7 GW pour la recharge des véhicules électrique, dont la moitié résidentielle, de 4 GW pour les ballons d’eau chaude, résidentielle, de 14 GW pour le chauffage tertiaire et résidentiel et de 695MW pour l’électro ménager, résidentiel. Et donc 26 GW pilotés par RTE en fonction de la production disponible. C’est-à dire, en fait, la quasi-totalité des besoins du secteur résidentiel, qui oscille autour de 20 GW aux heures de pointe et dont l’alimentation dépendra ainsi des caprices du vent. Sans son souffle, il sera donc inutile de chercher à remonter une température rendue trop basse par une fenêtre laissée entrouverte, démarrer un lave vaisselle plein, relancer un ballon d’eau chaude qu’on vient d’utiliser ou recharger sa voiture en cas de besoin immédiat. N’évoquons même pas les erreurs de pilotage à distance…

Le rapport prévoit, bien sûr, une gestion plus fine grâce à une nouvelle génération de compteurs intelligents, qui permettra vraisemblablement de savoir si nous ne sommes pas trop chauffés, avons encore assez d’eau chaude dans le ballon ou si nous utilisons une seconde fois, pour la même journée, le lave vaisselle ou la machine à café. Ou même jugera de la priorité de la lumière dans 3 pièces, étant un couple sans enfant ou d’une 2° douche le même jour.

Pire encore, on croirait à lire ce rapport, que les problèmes de stockage sont résolus, ou du moins que les recherches concernant les possibilités de réserves à moyen terme et à prix abordable sont en bonne voie. Une précédente étude de l’ADEME sur le sujet est même citée à l’appui des propos rassurants. (réf 18) Cette étude conclut malheureusement sur une nécessité préalable de recherche et développement (R&D) pour envisager la pénétration de plus d’intermittence. Elle mentionne en effet : « Nous recommandons donc à court terme, non pas la mise en place massive de stockage électrique, mais de favoriser des projets de R&D amont ou de démonstration visant à développer les solutions de stockage stationnaire d’électricité susceptibles de permettre, après 2030, l’augmentation de la part des EnR dans le mix de façon compétitive. » (synthèse p 8)

Quant aux solutions préconisées nous lisons dans cette synthèse: « En France métropolitaine, à l’horizon 2030, les seuls stockages d’électricité de masse rentables sont les Stations de Transfert d’Énergie par Pompage, pour un gisement potentiel évalué entre 1 et 1,5 GW3 selon les scénarios de mix. En dehors de contextes locaux particuliers qui peuvent générer des opportunités ponctuelles (impossibilité de renforcer le réseau, difficultés d’acceptation sociétale ou sites isolés), le stockage d’électricité décentralisé ou diffus s’avère la plupart du temps moins intéressant économiquement que des solutions de renforcement réseau ou d’écrêtement de la production intermittente excédentaire. » ce qui semble peu cohérent avec le projet 100% renouvelable qui considère que ces Stations de Transfert ne peuvent plus être développées et prône ainsi, (p33), la décentralisation du stockage « ces moyens de stockage sont placés de façon optimale entre les différentes régions de France ».

Toutes ces dispositions ne suffisent même pas pour suivre les caprices de la production puisque, malgré un prétendu « foisonnement des vents », des taux de charge inférieurs à 0,5%, comme le 3 octobre dernier, ne permettraient aux 50 000 éoliennes prévues qu’une puissance inférieure au demi GW. Ne comptons même pas sur les centrales solaires, à l’arrêt dès la tombée de la nuit.

C’est pourquoi, malgré le pilotage de notre consommation, les simulations laissent apparaitre (ci-dessous) le besoin d’« importations » (en blanc). Sans préciser quel pays aurait ce courant providentiel puisque notre voisin allemand importe notre électricité nucléaire quand les conditions météorologiques européennes ne sont pas favorables aux énergies intermittentes. Quand le vent et la nuit tomberont les soirs d’hiver, il serait peu raisonnable d’espérer trouver, hors de nos frontières, l’électricité nécessaire dans la simulation ADEME :

Le 5 février notamment, au moment où l’optimisme de cette simulation compte sur une petite vingtaine de GW de nos éoliennes, la formidable puissance de toutes les éoliennes d’Allemagne ne produisaient pas la moitié d’un seul GW (ci-dessous) et avaient assez à faire avec leur consommation nationale :

(Production éolienne allemande de la période correspondante)

Ce ne sont donc pas tant les délestages qu’il faut redouter, puisque ceux-ci sont déjà programmés, mais bien un black out européen en chaine.

A-t-on bien mesuré les conséquences apocalyptiques d’une telle rupture européenne d’alimentation ?

Même la simulation avec 40% d’énergies renouvelables, ci-dessous, montre clairement qu’en cas de période sans vent, nous devrions recourir massivement à de bien hypothétiques importations (en blanc) pour satisfaire la consommation (trait noir continu). Ces importations, en effet, ne seront pas plus disponibles que nos exportations ne seront possibles lors des excédents!

L’Allemagne a déjà donné des sueurs froides au gestionnaire du réseau électrique européen (EntsoE), incapable de respecter la sécurité N-1, aussi bien quand le vent souffle trop sur ses éoliennes que quand le soleil ne brille plus assez, comme lors de la dernière éclipse solaire. La démesure de ce rapport aura du moins rappelé que lorsque le vent tombe, les éoliennes ne produisent rien, ou pratiquement rien, quelque soit leur puissance installée. Et que la nuit, le soleil ne brille pas.

Une plus grande part d’intermittence européenne n’est désormais même plus nécessaire pour que notre sécurité d’approvisionnement soit menacée. Les contorsions subventionnées de l’effacement de consommation ne font que jouer avec les marges de sécurité. Et que l’on n’imagine pas que les centrales à gaz attendront patiemment qu’on ait besoin d’elles, leur intermittence forcée entraîne leur fermeture en série. Malgré les subventions visant à leur interdire de fermer leurs portes et laisser le pays dans le noir quand le vent tombe, Eon menace aujourd’hui de faire un recours en justice pour obtenir le droit de fermer sa centrale à gaz d’Irshing, cycle combiné (CCG) ultramoderne et non polluante.

Un black out en chaine de toute l’Europe n’est déjà plus du domaine de la science fiction. Ses conséquences pourraient égaler toutes les attaques terroristes imaginables. Avec un minimum d’anticipation, elles peuvent même les accompagner.

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Jean Pierre Riou est chroniqueur indépendant sur l'énergie Membre du bureau énergie du collectif Science Technologies Actions Rédacteur du blog lemontchampot.blogspot.com

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