Après les dures épreuves électorales françaises et allemandes permettant aux deux grandes puissances européennes d’éviter des gouvernements populistes, le mois de mars 2018 a aussi été l’objet d’inquiétudes en Europe avec les élections législatives en Italie. Finalement, à l’issue du vote des Italiens, on a assisté à une percée historique des forces antisystème, eurosceptiques et d'extrême droite, majoritaires en voix et en sièges.
L’Italie a attiré l’attention du monde entier avec ses élections législatives et la difficulté plus que rocambolesque à former un gouvernement. Les partis eurosceptiques sont donc arrivés en tête, la ligue et le mouvement 5 étoiles ont finalement trouvé après de longues tergiversations un compromis avec le chef de l’Etat. L’Europe s’interroge.
Sur le terrain économique, le pays connaît un taux de chômage qui culmine à plus de 11 %, et le taux de pauvreté ne cesse d’augmenter. Taux de chômage, taux de pauvreté et euroscepticisme au pouvoir : une poudrière idéale pour faire trembler l’Europe alors que l’Italie pourtant était en situation de convalescence à pronostic très favorable. Les enjeux économiques en Italie sont aujourd’hui importants. De 2008 à 2013, la situation économique et financière de l’Italie (recul de l’activité, crise de balance des paiements, crise de la dette souveraine, des banques, crise de l’industrie) avait contribué à aggraver la crise de la zone euro. Et aujourd’hui malgré de réels progrès depuis 2013, les investisseurs continuent de s’inquiéter.
Benchmark avec le Portugal et l’Allemagne
Quelle est la place de l’Italie dans la croissance économique européenne en évolution et en benchmark avec l’Allemagne et le Portugal ?
De façon transversale, l’Europe est dopée par l’Allemagne jusqu’en 2014. Mais la question que l’on peut donc se poser est la suivante : quels pays dopent l’Europe après 2014, et quelle est la place de l’Italie sur un certain nombre d’autres indicateurs fondamentaux ? D’après la Commission européenne que nous citons : « parmi les 28 Etats membres, 19 auraient enregistré une croissance de plus de 3% du PIB réel en 2017. Le champion de la croissance serait ainsi la Roumanie, avec une progression du PIB de 5,7% par rapport à l'année précédente (soit 1,1 point de plus qu'en 2016), suivie de près par Malte (5,6%). Au-dessus des 4%, on trouverait l'Irlande (4,8%), la Slovénie (4,7%), l'Estonie (4,4%), la République tchèque (4,3%), la Lettonie et la Pologne (4,2%) ».
Croissance Italie
D’après les données de l’OCDE, nous constatons que la croissance en Italie s’approche à nouveau en 2017 (1.57%) de son niveau de 2010 (1.65%). Entre-temps, impactée à l’instar d’autres pays européens par la crise de la dette, la croissance italienne s’est effondrée pour atteindre un point bas en 2012 (-2.85%), avant de progresser à nouveau jusqu’en 2017 alors que la zone euro connaissait un fléchissement dès 2015.
Néanmoins les chiffres montrent que la croissance italienne reste sur la période inférieure à la croissance européenne (globalement en ligne en 2010 mais 2 fois moindre en 2017), et globalement en deçà de celle du Portugal (plus profondément impacté pourtant que l’Italie en 2011 et 2012 par la crise de la dette).
Les projections montrent qu’après un point haut en 2017, la croissance italienne pourrait reculer à la fois en 2018 (comme entre autres l’Allemagne et le Portugal) et en 2019 (alors que l’Allemagne connaitrait une stabilisation de sa croissance et celle du Portugal repartirait à la hausse).
D’après les données de l’OCDE, la croissance italienne reste de 2010 à 2017 inférieure à la croissance européenne (globalement en ligne en 2010 à 1.65% mais 2 fois moindre en 2016 à 0.97%), et globalement en deçà de celle du Portugal (plus profondément impacté cependant que l’Italie en 2011 et 2012 par la crise de la dette). Les projections montrent qu’après un point haut en 2017, la croissance italienne pourrait reculer en 2018 comme en 2019.
Déficit en % PIB de l’Italie
En 2010, le déficit de l’Italie est comparable à celui de l’Allemagne (-4.2% du PIB). Après 2010, nous remarquons un trend global sur l’Europe à la réduction du déficit, trend cependant moins significatif pour l’Italie puisque son déficit demeure supérieur à celui de l’Eurozone (-6.2 du PIB en 2010) jusqu’en 2013 (-3%) avant d’être inférieur en 2016 (-2.5% du PIB en Italie).
Chômage en Italie
Alors que le chômage au Portugal comme sur l’Europe s’est globalement réduit de 2% entre 2010 et 2017 (malgré un pic à la hausse enregistré en 2013), celui-ci a progressé de 2.8% sur la période en Italie. Notons que l’Allemagne a enregistré en parallèle une baisse constante de son taux de chômage sur la période.
Dette en Italie
L’Italie a enregistré une augmentation de +25% de sa dette par rapport à son PIB entre 2010 et 2014 où elle s’est stabilisée autour de 155% jusqu’en 2017, alors qu’en parallèle la dette de la zone euro ne progressait que de 5% (89% en 2017) sur ces 8 années et que celle de l’Allemagne se réduisait de -8.2% sur la même période.
Taux d’intérêt italien
Suivant la sensibilité des pays à la crise de la dette, les taux d’intérêt à long terme des pays ont montré différents profils ; en effet, ceux de l’Italie ont été divisés presque par deux entre 2010 et 2017 (2.11% en 2017) avec un pic haut en 2012 à 5.5%. En parallèle, les taux à long terme du Portugal ont doublé entre 2010 et 2012 pour atteindre plus de 10% en 2012 avant de reculer à 3% en 2017, alors que ceux de l’Allemagne ont constamment diminué sur la période pour passer de 2.7% en 2010 à 0.3% en 2017.
L’Italie et l’export
Entre 2010 et 2017, l’Italie a d’abord réduit ses importations qui représentaient -3.4% du PIB en 2010 pour au final augmenter ses exportations à partir de 2013 pour atteindre 2.75% en 2017. Cette tendance a globalement été suivie par le Portugal qui a néanmoins connu un pic d’exportations en 2013 (1.56% du PIB soit plus de trois fois plus qu’en 2017). L’Allemagne pour sa part a augmenté son taux d’exportation pour passer de 5.6% en 2010 à 8% en 2017 avec un maximum enregistré à près de 9% en 2015.
Les inquiétudes
Au final, il nous semble que les difficultés économiques de l’Italie peuvent assez largement être attribuées à des problèmes de cohérence d’ensemble de la politique économique : le rééquilibrage du budget a conduit à une pression fiscale élevée sur les entreprises, qui contribue à réduire le taux d’emploi ; la dévaluation interne (modération salariale) qui aurait redressé la compétitivité de l’industrie à fait pression sur les citoyens et la confiance a pu être d’une certaine façon détériorée; le retour à la solvabilité budgétaire a aussi été obtenu par la réduction des investissements publics et la réduction des dépenses publiques; l’absence de réaction à la dégradation du système éducatif et de formation professionnelle demeure un point critique.
Au-delà du taux de chômage finalement, c’est la solvabilité budgétaire qui inquiète dans un contexte où les perspectives de croissance à long terme s’améliorent que très peu, les compétences de la population active et des jeunes (en partie à cause du système éducatif) restent faibles ainsi que la compétitivité coût (même s’il faut rester nuancé car cette dernière s’améliore). La dette publique elle, représente près de 10% de l’actif global des banques italiennes. On a donc une crise latente du système bancaire qui pourrait pénaliser le système bancaire européen et augmenter les spreads d’intérêt.
Ne pas oublier les progrès de l’Italie
L’Italie a réalisé pourtant un nombre important de progrès et il faut espérer que ces élections législatives ne vont pas assombrir davantage le tableau. Tout d’abord les capacités de production progressent ainsi que la robotisation de l’économie, les investissements repartent mettant un terme au mal italien : celui du vieillissement du parc productif. Même en partant de loin, finalement la solvabilité budgétaire du pays s’améliore et la croissance se solidifie. Même si le crédit a du mal à repartir, les conditions de taux restent extrêmement favorables.
Aujourd’hui l’Italie est la 4ème puissance de l’Union européenne et représente 12% de l’économie européenne en matière de PIB. Sa balance commerciale est régulièrement excédentaire, 51 milliards d’euros en 2016. En effet, la compétitivité coût s’améliore. Les investissements stimulent les capacités de production de l’industrie et de l’emploi. Grâce aux politiques du gouvernement Gentiloni conjointement à celles de la BCE, les résultats commençaient donc à porter leurs fruits. Les investisseurs avaient recommencé à prendre goût au risque ce qui a permis au FTSEMIB de s’apprécier de 40% sur la période 2012-2017. Le secteur financier représente à lui seul près de 40% de l’indice.
Peut-on imaginer que l’Italie reparte cet été après ces élections législatives ?
C’est ainsi qu’après avoir eu un petit pic de croissance de 1,6% au quatrième trimestre 2017, la croissance économique italienne déjà l’une des plus faibles de la zone euro, devrait faiblir dans les prochains mois, estime l'institut national de la statistique, l’Istat dans son bulletin mensuel publié jeudi 29 mai.
Les indicateurs avancés poursuivent leur décélération, "suggérant une phase de ralentissement du rythme de la production", lit-on dans le document.
L'Istat a annoncé un recul à termes de 0,7% des ventes au détail en avril 2018, leur quatrième baisse en cinq mois. Sur un an, elles ont chuté de 4,6%, leur repli le plus marqué depuis plus de cinq ans.
Le nouveau ministre italien de l'Economie, Giovanni Tria, après avoir affirmé que le gouvernement constitué par les antisystèmes et l'extrême droite était "unanime" quant au maintien de l'Italie dans la zone euro est bien décidé à se battre pour retrouver le chemin de la croissance en poussant les entreprises italiennes et l’économie de l’offre.
Comment ? Ce professeur d’économie de Rome devrait jouer la carte de la relance par l’augmentation des minima sociaux pour vite soutenir les ventes au détail et rassurer les PME en leur réservant des marchés publics. Un peu comme au Portugal avec la Gerigonça, cette coalition de gauche arrivée au pourvoir en 2015 et qui pratique de plus en plus une politique de demande. Même avec une équipe qui ne joue pas le mondial, les vignettes Panini fabriqués à Modène vont bien se vendre en juin. Mais l’Italie dispose heureusement d’autres atouts avec un tourisme en pleine croissance et des automobiles qui plaisent à une clientèle de plus en plus féminine.
Des mesures économiques énergiques sont attendues rapidement. En effet, le poids de l’endettement public (>130% du PIB) limite les marges de la politique budgétaire du nouveau gouvernement et le secteur bancaire doit poursuivre sa restructuration et son assainissement.
Malgré tout, tout est dans la nuance, le rapport "Doing Business" de la Banque mondiale offre des clés de lecture intéressantes sur l’étonnante possibilité de rebond de l’Italie. Dans la sous-catégorie "commerce transfrontalier", le pays se classe même numéro un mondialement ! Il n'est donc pas étonnant que l'Italie ait dégagé un excédent primaire de plus de 45 milliards d'euros au cours des 12 derniers mois.
Dans les trois catégories "paiement de l'impôt", "respect des contrats" et "obtention de crédit", l'Italie reste à la traine. Toute mesure visant à améliorer le système fiscal, le système juridique et l'activité de crédit serait évidemment la bienvenue. Les marchés scruteront donc chaque décision du nouveau gouvernement. Il en va de la santé estivale de l’économie italienne.
Les risques avec une Italie Eurosceptique
Le mouvement 5 étoiles et la « Lega Nord » sont connus pour leur rejet de l’Europe jugée responsable des inégalités. Le risque est donc une cristallisation des sujets autour exclusivement des politiques migratoires, des frontières et un risque de voir l’euro se fragiliser, dans un contexte d’ailleurs d’appréciation depuis fin 2016. Dans ce cadre, le rendement des obligations italiennes pourrait à leur tour exploser, dû au risque de voir la BCE se retirer du marché car il faut ajouter aussi les montants des non performing loans (360 milliards d’euros de créances douteuses). Cet ecosystème laisse planer un risque latent important pour la bourse italienne et pour les marchés actions européennes.
Cet article a été écrit avec la contribution précieuse de Philippe Aubin, Responsable de mission senior chez Harwell Management.