En votant le 26 septembre 2021, les électeurs allemands tourneront la page de presque seize ans de chancellerie d'Angela Merkel. L'enjeu en est le leadership de la plus grande économie de l'Union européenne, qui représente plus d'un cinquième du produit intérieur brut total de la région et qui a joué un rôle central dans la stabilisation d'une série de crises financières.
La chancelière Merkel a survécu à presque tous ses pairs. Lorsqu'elle a pris ses fonctions en 2005, George W. Bush, Jacques Chirac et Tony Blair faisaient partie de ses contemporains. Seuls le Russe Vladimir Poutine et le Turc Recep Tayyip Erdogan sont toujours au pouvoir.
Après l'élection, la chancelière Merkel tiendra sa promesse faite en octobre 2018 de se retirer. L'ex-physicienne est-allemande a dirigé l'Allemagne durant quatre administrations et fait face à une série d'urgences économiques, se forgeant au passage une réputation de gestionnaire compétente.
Ses admirateurs pensent que le leadership de Mme Merkel a permis de stabiliser la réponse commune de l'Union européenne à la crise financière de 2008 et de sauver la zone euro durant la crise de la dette de 2013. Plus récemment, lors de la pandémie de Covid, l'Allemagne a contribué à une solution budgétaire commune, un plan de sauvetage historique qui a permis à la Commission européenne d'émettre de la dette à bas taux d'intérêt afin de soutenir les économies de l'UE. Même si ce plan de relance ne devient pas un mécanisme permanent de l'UE en mettant fin au tabou de l'expansion budgétaire, il crée un cadre pour financer les mesures d'urgence à l'aide de la mutualisation de la dette.
Tout au long de son mandat, la chancelière Merkel a été confrontée aux défis lancés par la Russie et la Chine à la démocratie libérale. Elle a assisté à l'essor de la droite populiste en Allemagne et chez ses voisins hongrois et polonais, à la sortie du Royaume-Uni de l'UE et à quatre ans de relations instables avec l'administration Trump. La chancelière a fait avancer le projet de gazoduc Nord Stream 2 destiné à approvisionner l'Allemagne en gaz russe et a déployé des efforts ponctuels pour répondre aux conséquences à plus long terme du changement climatique.
Ses détracteurs accusent la chancelière allemande, qui a connu la plus grande longévité politique depuis Konrad Adenauer, de faire passer les compromis avant les convictions. Le pays a inventé le verbe « merkeln », qui signifie éviter les décisions et les déclarations polémiques. La chancelière sortante est également critiquée pour avoir échoué à formuler un plan stratégique pour l'UE et prolongé l'austérité dans le sillage de la crise de la dette de la zone euro. La crise des réfugiés de 2015 restera dans les mémoires des Allemands comme l'une des mesures les plus controversées de Mme Merkel, lorsqu'elle a déclaré « wir schaffen das », ou « nous y arriverons » et ouvert les portes du pays aux demandeurs d'asile. Avant de négocier en 2016 un accord européen destiné à verser à la Turquie quelques 6 milliards EUR afin d'empêcher les réfugiés de traverser ses frontières avec la Grèce. Entre 2019 et 2020, l'Allemagne a comptabilisé près de 25% des primo-demandeurs d'asile au sein de l'UE.
Choix multiple
Les dernières élections fédérales allemandes de 2017 ont déclenché plus de cinq mois de pourparlers qui ont débouché sur une alliance entre l'Union chrétienne-démocrate (CDU) de la chancelière Merkel, avec son alliée l'Union chrétienne-sociale (CSU), et le Parti social-démocrate (SPD). Quatre ans plus tard, le pays fait face à un choix de six grands partis, ce qui conduira inévitablement à des négociations en vue d'une coalition. Les électeurs allemands déposent deux bulletins dans l'urne, le premier pour un candidat de leur circonscription locale, élu afin de représenter directement la région au Parlement national, ou Bundestag, et le second pour une liste de candidats représentant un parti. Les sièges à repourvoir sont ensuite répartis à la proportionnelle des secondes voix.
Les sondages laissent entendre qu'une coalition de trois partis sera le résultat le plus probable de ces négociations. Si tel est le cas, il s'agirait du premier gouvernement tripartite depuis que Konrad Adenauer a présidé la CDU au sein d'une coalition de 1949 à 1957. Pour rendre le résultat encore plus difficile à prévoir, les trois plus grands partis, la CDU/CSU, le SPD et les Verts, ont tour à tour pris la tête des sondages ces dernières semaines et aucun des deux camps ne semble capable de rassembler suffisamment de votes pour former une alliance bilatérale au centre de l'échiquier politique.
La CDU, qui a siégé au gouvernement pendant plus de cinq des sept dernières décennies, pourrait se voir exclue du pouvoir. Le successeur de la chancelière Merkel au sein de la CDU, Armin Laschet, obtient des résultats personnels médiocres dans les sondages, tout comme son parti. Ses partisans soulignent ses antécédents en matière de victoire électorale.
Impact post-électoral
Au moment où nous publions ces lignes, le SPD se trouve en tête des sondages d'opinion agrégés avec 25% des voix. Avec la CDU/CSU à environ 20% et les Verts à environ 17% du total, aucun des deux camps ne pourrait former un gouvernement. Dans les sondages portant sur les chefs de partis, qui ne sont pas élus directement, le leader du SPD, Olaf Scholz obtient immanquablement plus de soutien de la part des électeurs allemands que ses deux rivaux réunis (cf. profils) et il a semblé conserver cette avance à l'occasion du débat télévisé du 12 septembre. Une preuve anecdotique indique que la course est serrée. Dans un sondage informel réalisé sur ma page LinkedIn, 43% des personnes interrogées prévoyaient une victoire étroite de la CDU/CSU, contre 41% qui s'attendaient à une victoire du SPD. À ce stade, le résultat le plus probable serait que M. Scholz, du SPD, se retrouve à la tête d'une coalition.
Plus le soutien au SPD est important, plus la probabilité augmente de voir l'Allemagne devenir plus généreuse sur le plan budgétaire. En effet, le parti est favorable à la transformation du plan de relance européen en mécanisme permanent et aspire à une meilleure intégration européenne. En matière de politique intérieure, le SPD et les Verts sont d'accord pour augmenter le salaire horaire minimum (de 9,6 EUR depuis juillet à 12 EUR) et pour investir dans les énergies et les véhicules renouvelables.
L'économie allemande est en première ligne de la reprise économique de l'UE. Au deuxième trimestre 2021, la croissance du PIB du pays a atteint 1,6% grâce à l'accélération du rythme des dépenses. En août, l'inflation des prix à la consommation a atteint son plus haut niveau depuis 13 ans, à 3,4%, face à une augmentation de la demande et à une limitation de l'offre, tandis que l'activité des entreprises se normalisait. En réponse à la reprise de la croissance dans la zone euro, la Banque centrale européenne a déclaré la semaine dernière qu'elle allait commencer à retirer ses mesures d'urgence mises en place pour faire face à la pandémie, en réduisant ses achats d'actifs.
Les obligations d'État allemandes sont plus sensibles aux changements de politique de la BCE qu'au cycle des élections fédérales. Le rendement du Bund à dix ans est de -0,33% à l'heure où nous écrivons ces lignes, alors qu'il avait atteint un sommet de -0,10% en mai de cette année. A mesure que les économies de l'UE se redressent, nous pensons que le Bund à dix ans entrera en territoire positif pour atteindre +0,25% dans les 12 prochains mois.
Nous restons positifs quant aux perspectives des actions paneuropéennes, qui bénéficient d'un rebond de la croissance cyclique. Les conséquences pour l'euro semblent limitées. Certes, nous pourrions observer une certaine volatilité à court terme lorsque les partis gagnants négocieront un accord pour former un gouvernement, mais le processus ne présente aucun risque pour la devise communautaire, car une coalition devrait permettre à l'Allemagne de rester pro-européenne et stable sur le plan budgétaire.
Alors que l'Allemagne est sur le point de changer de personnalité politique à sa tête, l'impact sur la politique européenne paraît minime. Le prochain leadership politique allemand promet une cohérence au niveau de l'UE ; restera à savoir dans quelle mesure le nouveau gouvernement influencera la politique commune et s'il fera une différence à long terme sur les objections historiques du pays envers des investissements budgétaires plus importants.
Profils: les alternatives à Merkel
Olaf Scholz (parti social-démocrate, SPD) – Actuel ministre des finances et vice-chancelier allemand, le leader du SPD, âgé de 63 ans, a une réputation de technocrate. Il est surnommé « Scholz-o-mat » en raison de son absence de charisme. Cette année, l'ancien maire de Hambourg a renforcé sa candidature et son parti se trouve désormais en tête des sondages devant la CDU (et l'Union chrétienne-sociale CSU) de Mme Merkel. En tant que ministre des finances, M. Scholz a augmenté le salaire minimum et modifié la législation sur le travail, accroissant ainsi sa popularité. Il a plaidé en faveur d'un programme commun sur l'assurance-chômage dans la zone euro, d'une taxe sur les transactions financières, d'une limitation des dépenses publiques et d'une interruption de la création de nouvelles dettes publiques.
Armin Laschet (Union chrétienne-démocrate, CDU/CSU) - Né à Aix-la-Chapelle, à la frontière entre la Belgique et les Pays-Bas, M. Laschet, qui parle couramment le français, est le ministre-président du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le plus grand État d'Allemagne. M. Laschet, 60 ans, s'est déclaré candidat à la Chancellerie lorsqu'il est devenu président fédéral de la CDU en janvier 2021. Il a appelé à une plus grande générosité fiscale de la part des membres les plus riches de l'UE durant la pandémie. M. Laschet a été critiqué pour sa gestion régionale de la crise sanitaire durant la pandémie de Covid-19 et suite aux inondations de juillet.
Annalena Baerbock (Verts) - La parlementaire représente le land du Brandebourg et soutient la création d'une politique étrangère commune de l'UE, y compris une défense commune, ainsi que l'élimination progressive de l'énergie basée sur le charbon d'ici 2030 et l'introduction de taxes carbone. À 40 ans, Mme Baerbock est la deuxième femme à se présenter au poste de chancelière de l'Allemagne. Elle est également la deuxième plus jeune candidate de l'histoire du pays à ce poste.