Les Français s’apprêtent à réélire Macron lors d’un scrutin assombri par l’Ukraine

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Par Stéphane Monier Publié le 10 mars 2022 à 5h52
Croissance France Troisieme Trimestre 1
@shutter - © Economie Matin
7%La France a enregistré une croissance de 7% en 2021.

Le 24 avril 2022, les électeurs français éliront leur prochain président. Le débat aurait dû être dominé par la hausse rampante des prix à la consommation, la politique sociale et la reprise économique, l'une des plus rapides au monde. Mais la guerre en Ukraine éclipse ces questions et, selon les sondages d'opinion publiés depuis janvier 2022, devrait permettre la réélection du président sortant Emmanuel Macron.

Dans le conflit opposant la Russie à l'Ukraine, le président Macron a endossé à plusieurs reprises le rôle de porte-parole de l'Union européenne auprès de Moscou. Dix jours avant l'invasion, il a rencontré au Kremlin le président russe Vladimir Poutine, assis à l'autre bout d'une table blanche de six mètres de long. Depuis le début de la guerre le 24 février, le président français a été, aux côtés de ses homologues allemand et turc, l'un des rares interlocuteurs directs de M. Poutine. À l'issue de l'entretien téléphonique du 3 mars entre les deux hommes, initié par Poutine, l'Élysée a indiqué que la détermination du président russe à poursuivre la guerre signifiait que « le pire est à venir ».

Le premier tour de l'élection française se tiendra le 10 avril. À moins que l'un des 14 candidats n'obtienne la majorité des voix à ce stade, un second tour entre les deux favoris est prévu pour le 24 avril. Le 4 mars, un jour avant la clôture du délai officiel, M. Macron a officiellement annoncé sa candidature. S'il est réélu pour les cinq ans à venir, il sera le premier président français à effectuer un second mandat depuis Jacques Chirac, qui a présidé la France de 1995 à 2007.

Les sondages indiquent que le président Macron accèdera au second tour de l'élection, les enquêtes laissant entendre qu'il recueillera plus de 24% des voix au premier tour et, plus récemment, jusqu'à 27%[1]. Les sondages du second tour indiquent qu'il en sortirait vainqueur. On ne sait pas encore qui affrontera le président Macron au second tour du 24 avril: Marine Le Pen, Eric Zemmour, Valérie Pécresse et Jean-Luc Mélenchon devraient recueillir entre 12 et 18% des voix. En guise d'alternative au président Macron, les électeurs français se voient proposer des choix eurosceptiques, de droite dure comme de gauche. Les partis socialiste et de centre-droit, plus traditionnels, ont été distancés dans les sondages par les deux candidats d'extrême droite (voir « Profils : alternatives à Emmanuel Macron », page 3).

Depuis son entrée en fonction en mai 2017, le président Macron a été le plus fervent défenseur d'une meilleure intégration de l'UE, notamment des politiques budgétaires et de défense. La guerre en Ukraine et la pandémie de Covid ont orienté la politique européenne vers un soutien budgétaire massif et un changement radical des dépenses de défense.

Reprise post-pandémie

L'impact économique de la pandémie s'étant atténué en 2021, la France a enregistré une croissance annualisée de 7% de son produit intérieur brut, sa plus forte expansion depuis plus d'un demi-siècle. Nous pensons que la croissance sera légèrement supérieure à 3% en 2022.

L'économie française reste résiliente et prévoit un programme d'investissement public de 100 milliards d'euros sur deux ans. Baptisé « France Relance », ce plan comprend des dépenses pour accélérer les projets écologiques, industriels et sociaux du pays.

Le chômage a reculé à 7% en janvier 2022, un taux inférieur à celui qui prévalait au moment où M. Macron a pris ses fonctions en 2017, à quoi s'ajoute un niveau de chômage des 50-64 ans exceptionnellement bas. Une partie de la reprise est due au programme de soutien que le gouvernement a accordé aux entreprises pendant la pandémie et qui comprenait 300 milliards d'euros de prêts garantis par l'État pour limiter les faillites.

Parmi les principales économies développées du monde, seuls les États-Unis et la France ont réussi à relancer l'activité à des niveaux dépassant l'activité d'avant la pandémie, en partie grâce au soutien élevé des pouvoirs publics. Avec pour résultat que la dette nationale française a grimpé de 97,6% du PIB en 2019 à 115,7% en 2020. Ce qui, en Europe, vaut à la France la deuxième place, après l'Italie et juste devant le Royaume-Uni, selon le Fonds monétaire international.

Le pays, qui représente environ un cinquième du PIB de la zone euro, a donné ces dernières années la priorité à la stabilité réglementaire, et a mené une série de réformes visant à adapter le droit du travail aux tendances de l'économie, à réduire les allocations de chômage et à diminuer les impôts sur le capital et les revenus.

En 2019, dans le cadre de ses efforts pour rendre l'économie française plus favorable aux entreprises, le président Macron s'est donné pour objectif d'établir 25 « licornes » françaises – ou start-ups technologiques avec une capitalisation boursière supérieure à 1 milliard USD – d'ici 2025. Cet objectif a été atteint en janvier 2022 avec trois ans d'avance, lorsque l'entreprise de robotique Exotec a annoncé qu'elle avait levé des fonds et porté sa valorisation à 2 milliards USD. Cette liste de « licornes » comprend aussi Doctolib, l'application de prise de rendez-vous médicaux que les Français ont appris à connaître durant la pandémie.

Grâce à son industrie nucléaire, la France est moins dépendante de l'énergie russe que l'Allemagne ou ses partenaires de l'Est de l'UE. La France couvre quelque 70% de ses besoins énergétiques grâce à l'énergie nucléaire et ce pourcentage pourrait encore augmenter. En février, le président a promis de construire de nouvelles centrales à partir de 2028. Cette ambition nucléaire s'inscrit dans un plan visant à mettre en place une économie à zéro émission nette d'ici à 2050. Ce programme prévoit des investissements dans les technologies éoliennes et solaires, ainsi qu'un développement accru de l'hydrogène propre.

Alors que la politique énergétique européenne veut réduire sa dépendance à l'égard des sources énergétiques russes, les ambitions françaises bénéficient d'un large soutien politique national.

Questions en suspens, prix à la hausse

Si M. Macron est réélu, il devra se saisir des questions restées en suspens lors de son premier mandat, notamment la poursuite des réformes de l'infrastructure sociale et économique. La réforme des retraites sera le premier défi à relever. Dans le sillage de la pandémie, le président Macron a reporté les tentatives visant à relever l'âge de la retraite et à mettre fin aux privilèges permettant à certains employés d'arrêter de travailler avant d'autres.

À l'instar des autres économies développées, la France fait face à une inflation élevée. Fin 2021, l'inflation française annualisée s'élevait à 3,4%, et pourrait avoir atteint 3,6% en février comparativement à l'année précédente, soit la plus forte hausse des prix depuis près de quatorze ans. Nous pensons que l'inflation terminera l'année 2022 aux alentours de 2,8%.

Cette situation peut potentiellement déclencher des mouvements de protestations contre l'augmentation du coût de la vie, comme celui que la France a connu en 2018 sous le nom de « gilets jaunes ». Avant la pandémie, le pays a ainsi été confronté à une révolte populaire généralisée, à des grèves et à une opposition à une série de mesures, comme l'augmentation du prix de l'essence, la mise en œuvre de taxes sur les carburants, les limites de vitesse en milieu rural et le salaire minimum.

La nécessité de poursuivre la réforme de l'éducation après deux années d'horaires perturbés et d'enseignement à domicile restera également au centre des préoccupations. Le pays a déjà apporté de profonds changements aux examens finaux de baccalauréat.

La pandémie a également exacerbé le débat sur la dépendance croissante de la France à l'égard des importations de denrées alimentaires. Le Sénat a appelé à mieux soutenir l'agriculture afin de renforcer la souveraineté alimentaire. La guerre en Ukraine a relancé les discussions sur la nécessité pour le premier producteur agricole de l'UE de produire davantage de denrées alimentaires.

Réévaluer les risques

Face à la hausse des prix à la consommation, la Banque centrale européenne doit décider à quel rythme elle peut se permettre de combattre l'inflation via des hausses de taux d'intérêt. La croissance devrait ralentir dans l'ensemble de la zone euro et nous ne voyons pas de première hausse des taux avant 2023.

La guerre en Ukraine a entraîné une réévaluation du risque des actifs financiers, au moment où les entreprises occidentales quittent le marché russe et où les sanctions sur les flux de capitaux, les actifs et les citoyens russes se mettent en place. En 2020, la Russie était le quinzième marché de la France avec 1,2% des exportations du pays, pour une valeur de 5,9 milliards USD. Pas moins de 35 entreprises du CAC40, dont Accor, Danone et Renault via sa filiale Avtovaz, opèrent en Russie.

Le marché des matières premières, des céréales au gaz naturel, a été perturbé. Du fait que les investisseurs recherchent la sécurité du dollar américain, l'euro s'est affaibli. Cette instabilité géopolitique risque de provoquer une nouvelle hausse des prix tout en freinant la croissance mondiale. Cependant, les impacts devraient rester gérables et permettre aux économies mondiales de croître tout au long de 2022 grâce à un soutien budgétaire supplémentaire de la part des gouvernements.

Nous pensons que la volatilité va perdurer et avons réduit notre exposition aux actions, en particulier en Europe où les risques inflationnistes liés à la hausse des prix de l'énergie auront vraisemblablement le plus fort impact. Nous avons également augmenté nos liquidités et renforcé nos allocations aux matières premières industrielles. Nous continuons à réévaluer notre positionnement tactique et restons prêts à l'ajuster en fonction de l'évolution de la situation.

Profils : alternatives à Emmanuel Macron (données provenant des sondages, rassemblées par Politico)

Marine Le Pen est la candidate du « Rassemblement national (RN) », anciennement « Front national ». En 2017, Mme Le Pen, qui a hérité du parti fondé par son père, a perdu au second tour contre M. Macron. Durant cette campagne présidentielle, elle a appelé à la reconnaissance de l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, ainsi qu'à la levée des sanctions européennes. Elle a depuis condamné l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Selon les estimations, Mme Le Pen devrait remporter quelque 17% des voix au premier tour.

Éric Zemmour est le leader du parti d'extrême-droite « Reconquête », fondé en avril 2021 en prévision de son engagement dans la campagne présidentielle. Ancien journaliste politique, expert de la télévision et polémiste, sa campagne repose sur une position anti-islam et anti-immigration. Il a exprimé son admiration pour Poutine en 2018 et a été condamné en janvier 2022 par un tribunal parisien à une amende pour incitation à la haine. Les récents sondages créditent M. Zemmour de 13% des voix au premier tour. Plus récemment, M. Zemmour a reçu le soutien de la nièce de Mme Le Pen, Marion Maréchal, ancienne membre du parti RN et ancienne députée à l'Assemblée nationale, la chambre basse du Parlement français.

À la mi-février, Valérie Pécresse, représentante du parti « Les Républicains », était considérée comme l'une des principales concurrentes de M. Macron dans la course à la présidence. Le parti de centre-droit a fourni de nombreux anciens présidents français, dont Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac et Charles de Gaulle. Mme Pécresse a perdu de nombreux soutiens suite au durcissement de sa position sur l'immigration et la sécurité. Selon les prévisions actuelles, elle devrait recueillir environ 13% des voix au premier tour.

Jean-Luc Mélenchon, candidat du parti de gauche « France insoumise », qu'il a fondé en 2016, a été ministre de l'éducation de l'ancien Premier ministre Lionel Jospin, membre du Parlement européen et sénateur. En 2014, il a défendu l'annexion de la Crimée et les objections de la Russie envers l'OTAN. Selon les derniers sondages, M. Mélenchon devrait obtenir environ 12% des voix au premier tour.

Yannick Jadot, le candidat d'« Europe Écologie - Les Verts », a été un militant de premier plan de Greenpeace jusqu'en 2009, date à laquelle il a été élu au Parlement européen. M. Jadot était également candidat à l'élection de 2017. Actuellement, il devrait attirer environ 6% des votes.

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[1] Données au7 mars
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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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