L’égalité hommes-femmes est un mantra obligatoire de la bien-pensance française. Il faut encore une fois dénoncer les inégalités dont les femmes sont les victimes, spécialement en cette journée de la femme. Sous peine de passer pour un horrible jojo dissident. Mais quand on gratte, on se pose quand même quelques questions.
Sur le tableau ci-dessus, sorti des statistiques de l’Union, on retrouve l’état officiel des inégalités salariales hommes-femmes en Europe en 2018. La France se situe autour de 15% en moyenne, ce qui n’est pas un score glorieux. Mais il se trouve quand même sous la moyenne européenne. Si la France ne peut se targuer d’afficher une égalité à peu près parfaite comme en Italie, au Luxembourg ou en Belgique, si elle fait moins bien que la Pologne (pays réputé horriblement conservateur et misogyne), elle appartient à une sorte de peloton mou composé d’une petite quinzaine de paysoù les différences salariales se situent entre 12 et 16%.
Redisons-le, ce n’est pas glorieux, mais ce n’est pas pire que des pays réputés très « égalitaires » comme le Danemark, la Norvège ou les Pays-Bas, et c’est à peine moins bien que la Suède. C’est en revanche beaucoup mieux que le Royaume-Uni ou l’Allemagne, où les inégalités salariales sont supérieures à 20%.
Autrement dit, il est assez légitime que la France se préoccupe d’améliorer ses performances en matière d’égalité salariale entre les hommes-femmes. Mais rien ne justifie que ce point présente un caractère d’urgence particulièrement pressante par rapport à d’autres grands pays européens qui font beaucoup moins bien.
L’injonction officielle de l’égalité hommes-femmes dans le domaine salarial
J’ai reproduit ci-contre quelques « unes » de la presse française aujourd’hui consacrées à l’égalité salariale. C’est manifestement le sujet imposé à tous les Français par ce qui devient, jour après jour, le Ministère de la Propagande. La palme revient évidemment à Libération qui relaie de façon outrancière les annonces du gouvernement sur cette vraie question sociétale qu’est l’inégalité salariale. Les Échos, quotidien de l’horrible capitaliste Bernard Arnault, y consacrent également un gros titre de une, sur quatre colonnes. Le Figaro et le Monde y accordent moins de place, mais consacrent quand même leur « une » à la question des femmes et des inégalités liées au genre.
On s’amusera donc de voir en ce jour la superbe diversité de la presse française subventionnée, qui adore se présenter en garante de l’objectivité et de la pensée vraie. Le pluralisme est définitivement garanti dans ce pays!
Le fait que les quotidiens français relaient fidèlement des thématiques gouvernementales en dit long sur le degré d’indépendance qu’ils ont conquis. On n’est pas sûr que les Français(es) soient captivé(e)s par le sujet qui leur est servi, mais qu’importe! le ministère de la Culture financera les éventuelles méventes dues à cette trop grande docilité vis-à-vis du pouvoir.
Que fait la presse étrangère?
Parallèlement, j’ai reproduit ici les « unes » de quelques grands quotidiens paraissant dans les pays où l’inégalité salariale hommes-femmes pose le plus de problème: au Royaume-Uni et en Allemagne.
En Allemagne, ni le Welt ni le Frankfurter ne consacre la moindre ligne à la question de la femme, et encore moins à la question de l’égalité salariale. Les deux « unes » sont consacrées à la politique allemande et non à une question sociétale transformée en problème économique.
S’agissant d’un pays en pleine constitution de « GroKo », ce silence peut évidemment se comprendre. Mais il est significatif de voir que la question des femmes n’apparaît dans aucun des 5 premiers titres du jour. Les sujets économiques y sont pourtant traités: BCE, protectionnisme anti-allemand de Trump, rapports Chine-USA. Mais sur les femmes, rien…
On devrait se demander pourquoi les performances allemandes dans le domaine de l’égalité salariale sont aussi mauvaises sans que l’opinion ne se sente perturbée par le sujet. Et sans que la presse ne se sente obligée de crier à l’unisson que la situation est inacceptable…
Peut-être que la présence d’une femme depuis plus de dix ans à la tête du pays contribue à dédramatiser la situation? Alors que la France n’a pas été spécialement tendre avec la seule candidature féminine plausible aux présidentielles…
Même silence sur l’égalité salariale hommes-femmes en Grande-Bretagne
En Grande-Bretagne, The Guardian consacre un dossier dans un coin de sa « un » à la journée de la Femme. C’est un geste qui n’est pas neutre dans un pays où l’inégalité salariale prend des proportions très au-dessus de la moyenne européenne.
Mais… pas de chance! le dossier en une ne comporte aucune information sur le sujet de l’inégalité salariale en Grande-Bretagne. Il évoque les questions de sexisme, les problématiques de la femme dans le monde. Mais pas un mot sur les différences de traitement salarial dont les femmes seraient victimes en Grande-Bretagne.
Bien entendu, ce tour n’est pas exhaustif. Mais il permet de relativiser les urgences selon les pays. La France, plutôt bonne élève en matière d’égalité salariale, même s’il lui reste des progrès à faire, se met à la rate au court bouillon avec une exigence qui soulève des questions. Les pays de taille comparable, qui ont des résultats bien pires que la France, sont très loin de faire une priorité nationale de cette question.
Ce décalage d’urgence entre la France et ses concurrents européens mérite donc d’être exploré.
Égalité salariale ou lutte contre la liberté salariale des entreprises?
Dans la pratique, le discours sur l’égalité hommes-femmes en France s’intéresse tout particulièrement à ce sujet des salaires qui est empli de symbolisme collectif. Les Français ont un problème avec l’argent et sont rétifs à toute forme de différence salariale.
On le voit dans les polémiques répétées sur les salaires des grands patrons ou sur la mise en place d’une rémunération au mérite des fonctionnaires, ou encore sur la concurrence avec les travailleurs détachés. Tout ce qui laisse à penser que la rémunération est attachée à la performance individuelle et non au statut ou à l’emploi de la personne fait systématiquement naître, en France, de la suspicion et du rejet. Tout ce qui permet à un employeur de discriminer les salaires selon la performance du salarié est vécu comme un arbitraire.
D’où l’espèce de sensibilité spontanée pour tout motif qui justifie une restriction de la liberté salariale que l’entreprise peut avoir. C’est le grand paradoxe français. Alors qu’Emmanuel Macron a élargi les possibilités offertes aux entreprises de se dégager des liens imposés par les branches, d’un autre côté, il crée les conditions pour restreindre cette liberté et imposer des salaires non plus en tenant compte des performances individuelles, mais du contrat de travail. La presse bien-pensante, y compris lorsqu’elle se déclare patronale comme les Échos, en redemande.
La France résiste encore et toujours à l’individualisation du contrat de travail
La comparaison entre l’engouement français pour des mesures intrusives pour les entreprises, et l’indifférence, voire l’allergie allemande ou britannique sur le même sujet, en dit long… En France, il existe une sorte de consensus tacite, ou de scénario de repli, selon lequel la rémunération des personnes doit idéalement ne pas être liée au travail réellement effectué, mais plutôt à une sorte de statut. L’idée que chaque salarié puisse être payé selon sa performance est collectivement l’objet d’un grand scepticisme.
Comme chacun est bien conscient que la déconnexion réelle entre le salaire et le résultat est un frein à la compétitivité des entreprises, il est de bon ton de proclamer qu’il faut laisser à chaque employeur la liberté maximale de rémunérer ses salariés comme il le souhaite. Mais, dans le même temps, les dispositifs se multiplient pour éviter que le salaire ne soit un élément de la concurrence entre les entreprises.
D’où, chaque fois que cela est possible, une justification donnée à l’encadrement des salaires. Au vieux principe de la rémunération minimale de branche, imposée par les textes, la pente française naturelle consiste donc à ajouter les règles de plus en plus denses de limitation de la liberté: égalité hommes-femmes, non-discrimination en tous genres, jurisprudences à foisons mettant l’employeur en faute chaque fois qu’il adapte sa masse salariale à sa réalité économique.
L’égalité hommes-femmes est-elle un prétexte?
Reste que cet arsenal de mesures auquel nous sommes enjoints de souscrire sous peine de basculer dans la dissidence n’empêche pas la France de n’avoir jamais eu qu’une seule femme Premier Ministre, et encore de façon éphémère, et de n’avoir pas une seule présidente de la République. Nous comptons par ailleurs très peu de femmes, historiquement, à l’Assemblée Nationale ou au Sénat.
On notera avec amusement qu’on trouve toujours des députés pour voter une loi qui contraint les entreprises, mais qui les exonèrent eux-mêmes de toute obligation. Ainsi, le scrutin à la proportionnelle de liste, qui permettrait d’améliorer la représentation féminine à l’Assemblée Nationale, est-il régulièrement battu en brèche.
On est du coup vraiment tenté d’en tirer une conclusion: ce qui est en cause, dans la campagne hallucinante menée par les médias français, est probablement moins la vraie égalité hommes-femmes que le retour à une vision d’Ancien Régime, très corporatiste, où il fait à tout prix réglementer le salaire et le détacher de la performance individuelle. C’est probablement pour cette raison que ce sujet trouve un écho aussi complaisant dans les relais d’opinion.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog