Après avoir informé Henri Proglio qu'il ne serait pas reconduit à la tête du géant français de l'électricité, Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, vient de nommer son successeur en la personne de Jean-Bernard Lévy. L'ex-PDG du groupe Thales, réputé pour sa culture du résultat, aura en charge la conduite de plusieurs dossiers brûlants du moment, dont la fameuse transition énergétique.
C'est peu dire que la nouvelle de cette récente nomination a provoqué quelques secousses dans le monde de l'industrie, en général, et chez Thales, en particulier. C'est désormais chose acquise : Jean-Bernard Lévy est aujourd'hui l'ex-patron du groupe spécialisé dans l'aérospatial et la défense, et le nouveau PDG du géant français de l'électricité EDF. Ce polytechnicien issu de la fameuse promotion 1973 – Luc Vigneron, son prédécesseur chez Thales, Patrick Kron (Alstom) ou encore Xavier Huillard (Vinci) –, vanté pour sa culture savante du résultat, a su au cours de ses deux années chez Thales remettre le groupe en état de marche. Si bien que la soudaineté de son départ en étonne plus d'un, lui « qui était encore à Singapour hier et à 100 % dans ses dossiers », d'après un cadre de l'entreprise.
Le départ d'Henri Proglio rime-t-il avec le départ du nucléaire ?
Jean-Bernard Lévy prendra ses fonctions le 22 novembre, date arrêtée pour la fin du mandat de son prédécesseur, nommé en 2009 par Nicolas Sarkozy. Du côté d'EDF, la nouvelle est également quelque peu brutale. Lors de son discours d'ouverture du premier Salon mondial de l'industrie nucléaire, mardi 14 octobre, Henri Proglio, désormais ex-patron d'EDF, avait pourtant vanté en filigrane les mérites de son action depuis 5 ans. Ce dernier de citer ainsi l'augmentation de 2,5 % de la production électrique réalisée par les 58 réacteurs nucléaires français, entre 2013 et 2014. Mais ce qui devait être le couronnement de ses 5 années de mandat – et éventuellement servir à sa propre succession – n'aura en réalité pesé que pour le désavouer aux yeux du gouvernement.
La question du nucléaire en France est aujourd'hui éminemment sensible, d'un point de vue politique surtout. François Hollande, lors de la campagne présidentielle de 2012, avait souhaité s'attirer la sympathie des écologistes en annonçant la diminution d'un tiers de la part du nucléaire dans la production énergétique en France. A l'heure où le gouvernement – dont le texte sur la transition énergétique vient d'être voté par l'Assemblée nationale – souhaite initier le pays à la croissance durable et verte, les velléités pro-nucléaires d'Henri Proglio auraient-elles ainsi sonné le glas de l' « homme-énergie » de M. Sarkozy ? Si les conjectures vont bon train, l'abandon du tout-nucléaire est pourtant bel et bien l'un des dossiers majeurs du quinquennat de Hollande.
Avec Jean-Bernard Lévy, c'est la culture du résultat qui est attendue chez EDF
Peut-être convient-il plus, d'ailleurs, de voir dans la nomination de Jean-Bernard Lévy, un message fort lancé aux sceptiques vis-à-vis de la transition énergétique qui s'annonce. Reconnu – et craint – pour sa culture du résultat, M. Lévy n'en est pas moins respecté pour son aptitude à diriger et sa capacité à déléguer. Un profil séduisant tandis qu'EDF semble connaître un tournant majeur dans ses production et distribution électriques, et doit piloter plusieurs réformes importantes dans le cadre d'une refondation importante.
L'une d'entre elles, prise en charge par sa filiale ErDF, est la mise en place – depuis longtemps évoquée mais tout juste arrêtée – des nouveaux compteurs électriques Linky. A l'horizon 2021, ce sont environ 35 millions de foyers français qui doivent être équipés de cette nouvelle technologie, qui permettra une identification de leur consommation énergétique plus précise et détaillée. Le géant français de l'électricité espère ainsi diminuer le gaspillage d'électricité, pour des retombées économiques et environnementales positives.
Un autre volet de la refondation que connait EDF est celui, précité, de l'abandon du tout-nucléaire à l'horizon 2025 – de 75 % à 50 % de part du nucléaire dans la production énergétique française. Si les députés ont effectivement voté cette disposition cette semaine à l'Assemblée nationale, encore reste-t-il à organiser concrètement cette diminution substantielle de la part nucléaire. Celle-ci devrait passer par un arbitrage, délicat, pour savoir lesquels des 58 réacteurs fermeront, la ministre de l'écologie Ségolène Royal ayant indiqué que le gouvernement n'exigeait plus de la centrale de Fessenheim qu'elle ferme. Jean-Bernard Lévy devrait être par conséquent vite confronté aux réalités sociales et syndicales qu'entrainent inévitablement une telle décision. Le gouvernement compte sur le flegme de cet « animal à sang-froid », selon un cadre de Thales, qui a su redonner au dialogue social toute son importance, alors que le contexte de son ancien groupe, à son arrivée, était empreint de rébellion interne vis-à-vis de son prédécesseur.