La « réforme » des retraites en France : arbitrage politique et non économique

Cropped Favicon Economi Matin.jpg
Par Sylvain Fontan Publié le 19 mai 2014 à 2h39

Le gouvernement français a présenté début septembre son projet de réforme des retraites. Il intervient dans un contexte où la France est contrainte à la fois par ses engagements auprès de ses partenaires européens en matière de diminution du déficit public, et par la nécessité d'équilibrer sons système de solidarité intergénérationnelle. Dans ce cadre, il apparaît que le projet présenté n'est pas en mesure de satisfaire ces ambitions.

"C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien.... Mais l'important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage."

La Haine (1995), écrit par Mathieu Kassovitz

Réforme a minima : hausse des impôts et hausse des dépenses

Le projet de loi de réforme des retraites n'est pas structurel. En effet, il n'entraîne pas de grands bouleversements. Il se contente de jouer à la marge sur certains leviers et exclut les aspects susceptibles de réellement pérenniser le système de retraite (report âge légal de départ à la retraite, harmonisation des systèmes publics et privés, suppression des régimes spéciaux...). De plus, une large partie des décisions sera applicable qu'après les prochaines échéances électorales importantes, diminuant encore les effets de la "réforme".

En substance, le projet repose sur trois principaux aspects :

  • DUREE DE COTISATION - Recul de la durée de cotisation qui passera de 41,5 ans actuellement à 43 ans de cotisation en 2035 pour prétendre à une pension de retraite à taux plein pour les générations nées à partir de 1973. - En pratique, cela signifie que pour partir à l'âge légal de départ à la retraite qui est maintenu à 62 ans, il faudra pour ces générations avoir commencé à travailler à 18 ans et ne pas avoir connu d'interruption de période d'activité (ex: chômage). En l'état, et dans le cas plus réaliste d'une personne ayant fait des études, ayant eu du mal à s'insérer sur le marché du travail, et ayant connu des périodes de chômage, le départ effectif à l'âge de la retraite pour toucher une pension pleine sera plus probablement proche des 68 ans au mieux. Ainsi, de fait, les chances de partir à la retraite avec une pension pleine sont fortement réduites pour les jeunes.
  • MONTANT DES COTISATIONS Augmentation des cotisations acquittées par les salariés et les employeurs de 0,3% d'ici 2017 (+0,15 points en 2014, puis 0,05 chacune des années suivantes jusqu’en 2017). - Alors qu'officiellement le gouvernement a pris conscience de l'impératif de compétitivité des entreprises, notamment dans une optique de lutte contre le chômage, la hausse des cotisations est contradictoire avec cet objectif car elle augmentera le coût du travail, et pèsera donc négativement sur la compétitivité des entreprises et sur l'emploi.
  • MONTANT DES PENSIONS Les retraités seront mis à contribution via un décalage temporel de revalorisation des pensions et hausse de leur imposition. En effet, la revalorisation annuelle des pensions de retraites devrait dorénavant se réaliser avec un décalage de six mois, entraînant ainsi des effets budgétaires techniques de 1,5 milliards d'euros par an d'économie pour l'Etat. Ensuite, la fiscalisation des retraités ayant eu des familles nombreuses (à partir de trois enfants) sera augmentée, entrainant une imposition annuelle supplémentaire allant de 50 euros à plus de 1'000 euros selon les cas.

Parallèlement à ces différentes hausses d'impôts, il y a également de nouvelles dépenses qui sont engagées. En effet, afin de ne pas donner l'impression d'uniquement revenir sur des acquis sociaux, alors que la gauche française se présente comme celle qui a permis les différentes avancées sociales en France, le gouvernement a ainsi décidé d'intégrer plusieurs éléments qualifiés de justice dans son projet de réforme :

  • La mesure la plus emblématique est celle sur la prise en compte de la pénibilité du travail. L'idée est de créer un système (encore flou) de points. Le cumul des points se transformerait en gain de temps lors du départ à la retraite selon une dizaine de critères tels que la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, le contact avec des agents chimiques dangereux, les températures extrêmes ou encore le travail de nuit. Toutefois, la définition pratique de ces critères dans les différents emplois, ainsi que leur comptabilisation risque de créer de nouvelles lourdeurs, mais aussi et surtout de nouvelles charges pour les entreprises qui auront à assumer la totalité du coût de cette mesure. Enfin, cette mesure reviendra à ce qu'un salarié sur deux pourra finalement partir à la retraite avant 62 ans. Dès lors, cela va augmenter le différentiel entre ceux qui pourront partir tôt à taux plein et ceux qui partiront tard avec une décote (retraite qui ne sera pas pleine), tout en creusant encore les déficits.
  • D'autres mesures viseront à mieux prendre en compte le statut des femmes et celui des apprentis. Il y aura également des facilités pour les jeunes de racheter leurs années d'études. Toutefois, sur ce point, il convient de rappeler que seulement 1% des rachats d'années sont actuellement le fait des moins de 40 ans. Dès lors, même si les conditions sont facilitées, il est peu probable qu'ils en aient les moyens ou même l'idée.

Le choix revient donc à favoriser les hausses d'impôts et de dépenses, plutôt que l'inverse. En effet, la hausse des cotisations et la hausse de la fiscalisation sur les retraités vont augmenter la pression fiscale, quand parallèlement les nouvelles mesures dites de justice vont augmenter les dépenses de l'Etat et le coût du travail. Alors que les recommandations de l'ensemble des organismes internationaux (FMI, OCDE...), de l'Europe (Commission Européenne), de la Cours des Comptes (présidée par un socialiste), et même du rapport indépendant dit "Moreau" (commandé par le gouvernement lui-même) insistent sur le fait que la France devait globalement repousser l'âge de départ à la retraite et diminuer les impôts et les dépenses, le projet du gouvernement prend l'exact contre-pied. A ce titre, il convient de remarquer que la grande majorité des pays européens ont déjà mis en place un recul de l'âge de départ à la retraite à 65 ans, et que certains envisagent de reculer cet âge à 67 ans, la France reste isolée dans ses choix.

Une réforme politique, incapable d'atteindre ses objectifs et irréaliste

Les décisions prises soulignent avant tout des considérations politiques. En effet, alors que le report de l'âge légal est le critère qui permet le plus efficacement de drainer des liquidités (10 milliards d'économies par année de recul) le gouvernement a d'emblée exclu cette possibilité car cela aurait été en contradiction avec la position tenue historiquement par le parti actuellement au pouvoir. Dès lors, jouer sur cette variable alors que le parti au pouvoir se dit être le parti de la justice et après avoir stigmatisé cette mesure comme étant la plus injuste possible aurait été intenable politiquement. Notons cependant que malgré cela, le projet ne prévoit pas de revenir sur les différentes réformes passées contre lesquelles le gouvernement actuel s'était alors opposé. Ensuite, malgré les évidentes inégalités entre le secteur privé et le secteur public (durées de carrière, calcul de pensions, départs précoces, prix spéciaux et avantages divers...), ainsi qu'avec les régimes spéciaux (RATP, SNCF...), rien n'a été fait pour aligner les différents régimes, alors même que plus de 60% des déficits proviennent de ces régimes spéciaux et publics. La raison est de protéger une clientèle électorale et d'éviter ainsi une confrontation avec des corporations très bien organisées pouvant bloquer le pays.

Le projet de réforme ne permettra pas d'atteindre les objectifs qu'il se fixe officiellement. En effet, sur les bases des prévisions du COR (Conseil d'Orientation des Retraites), il faut pouvoir trouver annuellement 20 milliards d'euros annuellement afin d'équilibrer le régime des retraites. Dans ce cadre, les différentes mesures annoncées dans le projet semblent pouvoir permettre de trouver 7 milliards par an. Ainsi, le régime général des retraites (secteur privé) sera équilibré. Il restera 13 milliards, correspondant au déficit lié aux régimes public et aux spéciaux qui ne seront pas financés. Dès lors, le gouvernement a annoncé qu'il prendrait à sa charge ces 13 milliards non financés. Autrement dit, le financement du régime de retraite public et des régimes spéciaux sera financé par la dette, et donc par des impôts futurs. Par conséquent, la déclaration selon laquelle ces mesures équilibrent le régime de retraites est trompeuse car en réalité elle ne règle qu'une partie du problème.

Enfin, les hypothèses sur lesquelles les prévisions se basent sont très irréalistes. En effet, les prévisions du COR en termes de croissance économique et de chômage qui permettent d'établir les prévisions de déficit sur lesquelles se base le gouvernement sont hautement improbables. Les prévisions de déficits à l'horizon 2020 se basent sur une hypothèse optimiste, et une hypothèse pessimiste :

  • Dans l'hypothèse optimiste, le taux de croissance économique annuel moyen est de 2,5% sur l'ensemble de la décennie et le taux de chômage de 4,5% sur cette même période.
  • La version dite "pessimiste" s'établit quant à elle avec un taux de croissance à 1,5% et un taux de chômage à 7,5%.

Dans ce cadre, il convient de rappeler trois éléments. Tout d'abord, (1) au regard du début de la décennie 2010, pour que ces résultats (même dans la version dite "pessimiste") se réalisent, il faudrait que les taux de croissance et d'emploi jusqu'à 2020 soient exceptionnellement élevés. Ensuite, (2) rappelons qu'au cours des trente dernières années, la France est installée dans un chômage de masse et le pays n'a connu qu'une seule année avec un taux de croissance supérieur à 2,5%. Enfin, (3) la croissance potentielle (croissance envisageable au regard de la productivité des facteurs -travail et capital-, de l'augmentation de la population active...) de la France s'élève au maximum à 1%, voire 1,2% par an. Autrement dit, la croissance potentielle de la France est inférieure aux estimations pessimistes des estimations du gouvernement, et le taux de chômage sur lequel ce dernier se base correspondrait à une situation de plein-emploi que la France n'a pas connu depuis plus de 30 ans. Par conséquent, en plus de ne résoudre qu'une partie du problème (déficit lié au secteur privé), ce déficit est calculé sur des bases inatteignables.

Enfin, les déficits annuels des retraites prévus par le COR constituent ainsi des planchers. Ils s'élèvent à 40 milliards à partir de 2015, 60 milliards à partir de 2020 et 120 milliards en 2050. De plus, il s'agit là de déficits annuels qui se cumuleront dans le temps et pourraient ainsi avoisiner les 2'600 milliards d'euros d’ici 2050. Or, la dette publique atteint déjà plus de 1'800 milliards d’euros et va encore augmenter, indépendamment des déficits des retraites.

Un système de retraite par répartition fonctionnant sur la solidarité intergénérationnelle

Le système des retraites français fonctionne sur le principe de la répartition. Dès lors, cela implique que les cotisations des personnes actives financent les pensions des retraités. Autrement dit, les travailleurs actuels ne cotisent pas pour leur propre retraite, ce sont les futurs actifs qui cotiseront à leur tour pour eux, et ainsi de suite.

L'architecture actuelle fait une large place à la confiance. En effet, le système ne peut fonctionner que si les actifs actuels ont la certitude que leur retraite sera financée par les cotisations des futurs actifs. Les actifs ne consentent donc à cotiser que si leur retraite est garantie. Si d'aventure cela devait ne plus être le cas, les retraités actuels ne pourraient plus percevoir de pensions, et les actifs devraient financer eux-mêmes leur retraite. Le système de répartition intergénérationnel (entre les générations) serait abandonné de fait au bénéfice d'un système par capitalisation où chacun cotise en fonction de ses moyens actuels et de ses besoins futurs anticipés. Un système hérité de l'après-guerre inadapté aux évolutions de la société

Le système de retraite par répartition est issu du conseil national de la résistance. Il date d'après la seconde guerre mondiale, il y a près de 70 ans. A cette époque, les données démographiques, sociales et économiques n'étaient pas les mêmes. En effet, après-guerre, la durée moyenne de cotisation était d'environ 50 ans, contre 40 ans actuellement; et le temps passé à la retraite était inférieur à 10 ans, contre plus de 20 ans actuellement. Parallèlement, le nombre de cotisants étaient beaucoup plus élevé que le nombre de retraités.

L'évolution démographique de la France a fortement évolué (graphique ci-dessus). En effet, le nombre de cotisants par retraité est passé de 3 en 1975, à 1,5 actuellement, et la tendance à la baisse va se poursuivre irrémédiablement. De plus, le montant des pensions de retraite n'a cessé d'augmenter et atteint actuellement en moyenne 1'250 euros nets par mois. Ainsi, si rien n'est fait, le déficit des retraites va augmenter de façon exponentielle jusqu'à devenir totalement incontrôlable et insoutenable, alors même qu'il explique déjà une large partie du déficit public.

Un système sous contrainte budgétaire qui fait face à un enjeu de crédibilité

En l'état actuel, le système n'est pas pérenne. En effet, le nombre de retraités et le montant des pensions vont augmenter, alors que parallèlement le nombre de cotisants va diminuer. Dès lors, le déficit va se creuser, grevant ainsi de plus en plus les finances publiques, diminuant de fait fortement les marges de manœuvre financières, et surtout risquant de faire exploser le modèle social français dans son ensemble. La France doit donc impérativement adapter son système de retraite par répartition si elle veut conserver une logique de solidarité intergénérationnelle qui soit soutenable.

La France doit également faire face à un enjeu de crédibilité. En effet, le pays bénéficie d'un délai de deux ans pour atteindre son engagement de réduction des déficits publics. Pour atteindre cet objectif, la France doit notamment mettre en place cette réforme fondamentale. Si elle n'y parvenait pas, ou si comme cela se dessine elle devait juste jouer à la marge, alors cela confirmerait les craintes de la Commission Européenne sur la capacité de la France à atteindre les objectifs auxquels elle s'est engagée auprès de ses partenaires européens. Egalement, les marchés financiers créanciers de la France, qui lui permettent actuellement de vivre bien au-dessus de ses moyens, pourraient à plus ou moins long terme se détourner de la dette française et ainsi cesser de la financer avec toutes les conséquences en chaîne que cela induirait.

Conclusion

1) Le projet de réforme présenté par le gouvernement est guidé par des objectifs politiques de court terme et ne résout pas l'équation du financement des retraites de façon pérenne. De plus, à court terme, il ne résout que partiellement le problème car il ne prend pas en compte le déficit liés aux régimes publics et spéciaux pour lesquels il préfère le financement par la dette pour éviter des frictions politiques, électoralistes et sociales.

2) Les solutions présentées reposent essentiellement sur la hausse de l'imposition et la hausse des dépenses, alors qu'une vision efficace (à fortiori dans un cadre de nécessaire compétitivité) aurait imposé une baisse de la fiscalité et de la dépense publique. Inversement, le projet augmente la pression fiscale, ainsi que les charges sur les entreprises et les lourdeurs administratives.

3) En plus de ne pas résoudre le problème de financement des retraites, le projet de réforme remplira d'autant moins ses objectifs que les hypothèses sur lesquelles il se base sont extrêmement audacieuses, pour ne pas dire fallacieuses.

4) Le système français des retraites s'apparente à un système de Ponzi géant (exemple de Madoff aux Etats-Unis) où les derniers arrivés (les jeunes générations et les sans-emplois) sont les perdants, et les premiers arrivés sont ceux qui en profitent (les baby-boomers qui n'ont pas connu le chômage de masse ni la difficulté à s'intégrer sur le marché du travail). En effet, la France est le seul pays où le niveau de vie des retraités (compte tenu de la taille du foyer) est quasiment égal en moyenne (98%) au niveau de vie des actifs du fait de l'accumulation de capital immobilier, d'épargne et du niveau des retraites.

Par conséquent, les implications sont triples. Tout d'abord, (1) une nouvelle réforme des retraites est inévitable à l'horizon de quelques années et elle sera d'autant plus douloureuse que les décisions courageuses seront reportées. Ensuite, (2) l'incomplétude de ce projet à minima fait prendre le risque à la France de perdre le peu de crédibilité qu'il lui reste sur la scène européenne auprès de ses partenaires mais aussi auprès de ses créanciers internationaux. Enfin, (3) et probablement le plus grave, c'est qu'il est de plus en plus probable que les jeunes générations n'auront pas de retraites car le système aura explosé avant. Ou alors, s'ils bénéficient finalement d'une pension, celle-ci sera très faible, fortement conditionnée et extrêmement tardive dans le cas d'une pension à taux plein. Au final, le risque d'explosion quasi mécanique du modèle social français est aujourd'hui acté si rien n'évolue très rapidement et fondamentalement.

Pour aller plus loin : Sylvain Fontan, “L'impérative réforme des retraites en France”, décryptage publié sur «leconomiste.eu» le 21/05/2013.

Une réaction ? Laissez un commentaire

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre Newsletter gratuite pour des articles captivants, du contenu exclusif et les dernières actualités.

Cropped Favicon Economi Matin.jpg

Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

Aucun commentaire à «La « réforme » des retraites en France : arbitrage politique et non économique»

Laisser un commentaire

* Champs requis