La monnaie est un des objets les plus paradoxal de notre quotidien. On la touche, on l’utilise, on en a besoin chaque jour et pourtant on connaît peu de chose d’elle. Il est rare qu’on se soit réellement demandé ce qu’elle est vraiment, à quoi elle sert et si elle a toujours été la même, ou pas.
La monnaie n’a pas toujours été ce que nous en connaissons aujourd’hui. Elle a en gros connu quatre périodes au cours de l’histoire. Longtemps, elle a pris des formes très nombreuses, toujours des matières premières très demandées, pour assurer sa valeur et sa circulation : le riz, le blé, les vaches, le tabac, les cauris (coquillages). On trouve encore de telles monnaies dans certaines régions reculées. Puis les métaux lourds et précieux se sont imposés peu à peu sur la planète. Ainsi depuis l’antiquité l’or et l’argent, frappés en pièces, sont devenus les formes « classiques » de monnaies, celles que recherchent les numismates. L’or, plus lourd, plus beau, plus rare, fut « la » monnaie.
L’histoire le montre, le choix de l’or par sélection progressive par le marché ne tient pas du hasard. Murray Rothbard, dans « The Mystery of Banking », distingue ainsi sept critères de qualité d’une bonne monnaie : un matériau objet d’une forte demande, garantie que la monnaie sera acceptée par autrui et qu’on peut facilement l’échanger ; « découpable » en petite quantité, pour permettre d’exprimer un prix à la dixième décimale près ; de grande valeur par unité (de poids), pour être plus facile à transporter ; relativement rare, pour que sa demande soit élevée ; hautement « durable », la monnaie ne doit pas être périssable ; pérenne dans le temps, la monnaie doit garder sa valeur ; difficile à contrefaire ou à produire, pour garantir la qualité et la masse monétaire en circulation.
Puis avec le développement économique, l’or est entré progressivement dans les coffres des banques, en échange de billets jouant le rôle de bon de dépôt échangeables. Les billets de banque naissaient, c’est la période du « gold standard ». Avec l’arrivée de la Fed (Federal Reserve des Etats-Unis) il y a tout juste 100 ans, nous entrons dans une troisième phase où peu à peu, l’or cesse de circuler pour s’enfouir dans les coffres des banques centrales. Les monnaies deviennent les unes après les autres des monnaies papier dont l’équivalence en or est de plus en plus théorique.
Le point culminant est atteint en 1971 lorsque Richard Nixon, président des Etats-Unis, décide que le dollar, dernier lien avec l’or, sera une monnaie flottante et sans correspondance métallique. Nous faisant ainsi entrer de plain pied dans la période actuelle où toutes les monnaies sont devenues « papier », virtuelles, sans valeur intrinsèque autre que la fonction que les billets de banques continuent d’assurer.
Mais quelle est cette fonction, au fait ? Pascal Salin définit la monnaie comme « un pouvoir d’achat généralisé, c’est-à-dire qu’elle constitue un bien dont la caractéristique est d’être (plus ou moins) échangeable à tout moment contre n’importe quoi et auprès de n’importe qui ». Autrement dit, la monnaie, c’est de la richesse future, son rôle est de conserver la valeur acquise hier pour servir à échanger et acquérir une valeur accrue demain. La monnaie possède donc la valeur de matérialiser de la valeur pour mieux la transmettre. Cette valeur était manifeste lorsque la monnaie se matérialisait en or. Mais depuis que seuls des billets de papier ont cours à sa place, quelle est la source de cette valeur ? Au moment où des pays comme la Grèce s’enfoncent toujours plus dans la récession, où les sommes en jeu se comptent en centaines de milliards, comment apprécier ces nombres quasi astronomiques à l’aune de la valeur concrète ?
On remarque tout d’abord que la monnaie papier ne satisfait pas tous les sept critères de qualité ci-dessus. La demande est forte, mais artificielle car imposée par la loi. Découpable, mais pas en dessous du centime. Légère et facile à transporter, certes. La rareté n’est pas sont fort, cette monnaie qu’il suffit d’imprimer pour en voir la naissance. Et la durabilité n’est pas son fort – le papier brûle facilement. Enfin, l’inflation galopante est le propre des monnaies fiduciaires et leur production est ridiculement aisée en comparaison de leur valeur. Deux sur sept seulement.
En réalité, la monnaie contemporaine n’est rien d’autre qu’une convention. Elle n’a de valeur que par l’obligation qui nous est faite de l’utiliser et l’habitude qui en découle. Tout le monde y plaçant sa confiance par habitude, elle devient porteuse de valeur par pure convention sociale. Mais imaginez deux secondes. Imaginez qu’on se réveille en se rendant tous compte que ces billets de banque ne valent en fait rien du tout, du simple papier. Et que nos immenses dettes ne sont elles aussi que du papier, donc du vent. Et que spontanément, certains petits malins remettent l’or dans les circuits, pour se rassurer. En moins de temps qu’il n’en faut pour le lire, l’ensemble de la finance et de la dette mondiale seraient réduites à néant. Et la vie reprendrait comme si de rien n’était.