Politique de l’offre ou politique de la demande ? Le président a confirmé lors de sa conférence de presse son engagement vers une politique de l’offre. Il avait déjà exprimé ses intentions lors de précédents discours, actant ainsi une rupture assez nette avec les idées habituelles de la gauche, sa matrice idéologique, bien souvent orientée vers une politique de la demande.
Eternelle controverse ! Les économistes et les politiciens confrontent régulièrement leurs théories sur l’efficacité réciproque de ces politiques économiques antinomiques.
Cet article propose une analyse de la pertinence de ce pacte de responsabilité avec justement en arrière plan l’efficacité supposée d’une politique de l’offre. (Quelques rappels en fin d’article)
L’offre et la demande sont partout
Les capteurs barométriques de François Hollande qui mesurent la pression ambiante, en particulier la pression patronale et sociale ont donc donné raison à la politique de l’offre. Il serait un peu long de confronter dans le détail ces deux types de conduite économique, cependant, il faut toujours avoir à l’esprit une configuration élargie de notre économie, positionnée dans un monde ouvert, mondialisé, qui n’est pas sans influence sur les effets attendus.
Dans un système économique, il y a en permanence et dans de nombreux domaines, une confrontation d’une offre et d’une demande, que ce soit dans le secteur des biens et des services, des marchés de l’emploi, des devises, des capitaux, des biens immobiliers. La rencontre de tous les acteurs qui participent à ces marchés, détermine les prix (en théorie). Les quantités de produits offerts (au sens le plus large) sont déterminées par les entreprises (biens et services, actions, obligations) et les états, les banques centrales et commerciales (émission de monnaie, obligations d’état, devises, capitaux) en fonction d’une dynamique et de comportements individuels (épargne, investissement, consommation). L’offre et la demande sont donc des déterminants incontournables dans une dynamique économique (stabilité, croissance, stagnation, prix, etc.).
La vraie question est l’emploi
L’économie française est confrontée à de multiples problèmes, notamment le niveau élevé du chômage. Aujourd’hui, la vraie question prioritaire est de savoir comment créer de l’emploi, car la baisse du niveau de chômage est le point de départ à la résolution d’un grand nombre de difficultés, notamment certains déséquilibres financiers. (Je vous renvoie à la fin de l’article pour plus de détails).
Une réduction significative du chômage initie plusieurs cercles vertueux dont certains pourraient conduire à terme (si l’état le veut bien) à une diminution notable des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, pour le grand bénéfice de tous. L’emploi et donc la production sont vraiment le cœur du problème. A noter que produire toujours plus est peut-être une bonne solution d’un point de vue économique, mais je crains qu’un regard porté sous un angle écologique tempère un peu le propos.
L’impulsion initiale
J’évoque souvent dans mes articles certaines notions liées à l’approche systémique en mettant par exemple en relief les problématiques de causalité dans un système complexe. L’idée qu’une cause produise un effet reste toujours valable dans le cas d’une économie, cependant, les dynamiques font qu’une cause initiale et les effets qui en découlent se diluent rapidement pour aboutir à des états où il est difficile d’identifier la cause originelle, du fait que les effets peuvent devenir des causes par le jeu des boucles de rétroaction et des nombreuses liaisons qui relient les diverses composantes du système. Alors, comment identifier correctement l’action politique (donc la cause) qui pourrait produire un effet positif sur la production ? Doper la demande pour dynamiser l’offre (donc la production), ou améliorer l’offre pour susciter la demande ? On revient donc à nos petites théories économiques (problème de l’œuf et de la poule).
Qui paie les charges patronales ?
La question peut paraître un peu stupide. Les charges patronales de toute évidence sont payées par les patrons, pardi ! En fait, oui et non. Les entreprises versent à l’administration les charges dont il est question, mais c’est bien souvent le client final qui paye la note, car l’entreprise répercute si possible tous les coûts salariaux sur ses tarifs. Tout comme elle répercute une hausse des prix des matières premières ou de l’énergie. Cependant, dans un environnement concurrentiel international (système plus ouvert) le poids des charges impacte leur productivité et elles se retrouvent pénalisées par rapport à des pays où les charges sont plus faibles. Tout dépend finalement de degré d’ouverture ou de fermeture du secteur d’activité considéré.
La suppression des cotisations familiales est-elle une bonne mesure ?
L’objectif affirmé est bien l’allégement des charges des entreprises afin de créer une dynamique productive accompagnée d’une création d’emplois. C’est d’ailleurs la contrepartie exigée par Mr Hollande. Le problème de la contrepartie est déterminant, car on peut se poser la question si elle n’a pas tendance à neutraliser les effets espérés.
Prenons un petit exemple :
Imaginez une personne légèrement en surpoids qui se rend chez son médecin pour essayer de maigrir. Après quelques échanges, le médecin lui conseille de faire une activité physique régulière et de diminuer un peu ses rations alimentaires. Le patient est à priori d'accord et convaincu, mais face aux souffrances physiques et psychologiques prévisibles, il demande à son médecin une petite contrepartie: Docteur j'adore les petits gâteaux, m'autorisez-vous à en manger 5 ou 6 à mon goûter pour compenser ces peines? Je ne vous le conseille pas dit le médecin, car vous risquez de maintenir un bilan énergétique excédentaire que je comptais rendre déficitaire en vue d’aboutir à un nouveau point d’équilibre pour votre poids.
Cet exemple est juste une image pour aider à comprendre les résultantes d’une contrepartie. On peut donc se demander si la contrepartie telle qu’elle est formulée par le président ne tend pas à maintenir une tendance ou un équilibre sans provoquer les points de rupture pourtant nécessaires pour atteindre un autre niveau d’équilibre ou une autre tendance, justement grâce au maintien des écarts. Helmut Schmidt a formulé la célèbre théorie : « Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain ». Cette formule fait état clairement que dans une économie il y a des effets de retard, et les résultats finaux ne sont atteints dans le cas étudié que par rapport à une séquence. Si on adhère à cette théorie, des emplois seront peut-être créés, mais pas tout de suite.
Les entreprises voyant leurs charges allégées verront en théorie le résultat d’exploitation s’améliorer. Rappelons que les entreprises françaises affichent des taux de marges autour de 28 % en moyenne contre 40 % pour les entreprises allemandes (selon INSEE). Face à l’amélioration de leurs résultats, elles auront plusieurs options :
- Se désendetter en partie.
- Créer des emplois si le besoin s’exprime (grâce par exemple à des anticipations positives sur le niveau de croissance et de leurs carnets de commandes)
- Garder leur niveau de marge en diminuant les prix pour améliorer leurs positions sur les marchés intérieurs et extérieurs
- Augmenter les salaires
- Investir en recherche et développement
- Investir dans de nouveaux équipements (augmentation de leur capacité de production, innovations, nouvelles machines plus performantes pour une meilleure productivité, etc.)
- Améliorer la formation des employés
- Etc.
La contrepartie (qui selon les dernières nouvelles ne serait pas aussi stricte que le discours le laisser supposer) se place apparemment principalement au niveau de l’emploi, ce qui paraît au regard des alternatives que je viens d’évoquer un peu restrictif. Que fera le boulanger, le marchand de chaussures, le petit bistrot du village, face à cette réduction de cotisations ? La réponse est dans la question.
L’observatoire des contreparties (encore un de plus !) devra faire preuve d’une grande clairvoyance pour distinguer l’origine des futurs emplois créés. Le seront-ils grâce à une croissance qui fait doucement son retour ou grâce à cet allégement de charges. Mais peut-être que l’allégement de charges contribuera à la croissance ! Voyez que le brouillard peut vite envelopper ces nouveaux comités, comités élargis, hautes instances, observatoires dévoués à une tâche quasi-impossible.
La suppression des cotisations familiales, d’un montant évalué à 30 milliards d’euros, doit remplacer le CICE (Crédit impôt compétitivité emploi) qui s’élève en moyenne à 20 milliards d’euros par an. Toute chose égale par ailleurs, il faut tenir compte aussi que cet allègement modifie le résultat brut d’exploitation, donc la base imposable. Le gouvernement récupèrera ainsi une partie du cadeau (difficile à évaluer) et peut donc espérer une quasi-neutralité de ce basculement.
La politique de l’offre est-elle pertinente ?
Si je devais exprimer un choix entre politique de l’offre et politique de la demande, je choisirais la première. Tout simplement parce que nous vivons en économie ouverte, parce que la France a du retard sur les produits issus des nouvelles technologies, parce qu’elle doit augmenter ses exportations, ralentir ses importations par la relance de la demande intérieure. La France doit impérativement pour redresser son économie offrir les conditions du retour de sa compétitivité et de son attractivité.
Dans l’autre optique, que ferait par exemple un ménage si l’état lui accordait généreusement 1000 euros (donc politique de la demande) ? Il est probable qu’une grande partie de cet argent soit utilisée à acheter une tablette, un PC, un écran plat, des produits ‘Made in China’, aggravant ainsi le déficit de la balance commerciale, et sans que nos entreprises en bénéficient.
Conclusion
On peut regretter que le président n’ait pas annoncé une revue complète des cotisations salariales et patronales, un imbroglio normatif dont seule la France a les secrets de fabrication. Il me semble impératif de construire de nouvelles fondations, repartir sur des bases assainies rendant les dispositifs simples, cohérents, compréhensibles par tous, et invariants, au moins sur du moyen terme.
Est-ce que l’impulsion sera suffisante pour créer une dynamique ? Evidemment, personne n’a la réponse, du fait qu’une économie est un système à forte inertie et plutôt difficile à manœuvrer. De plus le lien entre la diminution des cotisations patronales et le nombre de demandeurs d’emploi n’a rien d’évident, car depuis de nombreuses années, le montant des allègements de cotisations sociales ne cesse de croître sans que cela n’ait réellement d’effets sur le niveau du chômage. Peut-être que les effets sont masqués par d’autres mesures qui viennent les contrarier. Les exonérations, telles qu’elles sont appliquées aujourd’hui entraînent des effets délétères modifiant la structure de l’emploi et aggravant les déficits de la sécurité sociale (loi Fillon ciblant les salaires entre 1 et 1,6 SMIC est souvent citée comme étant une trappe à bas salaires). Ces distorsions sur le niveau des charges aurait dû à mon sens être remises en cause.
La partie est loin d’être gagnée !