L’OCDE nous donne un rendez-vous très lointain dans son étude, Looking to 2060 : a global vision of long-term growth. Nous allons donc essayer d’être tous présents dans 48 ans, pour examiner de plus près ce qui nous était promis, et le comparer ainsi à ce qui s’est effectivement passé.
D’abord, il faut le reconnaître, les prévisions à long terme sont toutes faites de la même manière : la divergence entre les pays croît d’abord, avant de se réduire. Ouf ! Le monde à venir sera ainsi plus équilibré, plus dépendant du savoir des êtres humains que de leur nombre, de leurs progrès d’organisation que de leur investissement. Il se trouve que, globalement, une telle prévision nous arrange. Bien sûr, les pays émergents auront acquis alors un rôle dominant, Chine et Inde, Brésil, mais en même temps les Etats-Unis auront dû s’adapter et la zone euro se structurer, et tout se sera bien passé.
Cependant, on peut se demander si tous les pays seront présents à ce lointain rendez-vous. Les scénarii à long terme ne prévoient jamais de catastrophes globales ou individuelles, seulement des périls qui seront tous évités. Et pourtant, que sera donc le Japon dans cinquante ans ? Un pays ultra vieux, avec presque autant de « plus de 70 ans » que de 15-65 ans, un pays encore plus ultra surendetté, sauf qu’on suppose qu’il aura fait un énorme ajustement fiscal ? Mais comment ? En ne payant plus les retraites, alors qu’il ne paye déjà plus les épargnants ? Si le Japon implose, que se passera-t-il ? Allez-savoir. D’autres pays vieillissants peuvent nous inquiéter : Pologne, Corée, Allemagne. Est-ce que le capital humain ou l’organisation suffiront à ces nations industrielles pour exister dans le nouveau monde qui s’ouvre ? Quels ajustements et quelles réformes faudra-t-il faire ? Travailler jusqu’à 70 ans ? 45 heures ?
Difficile, aussi, de comprendre ce qui va se passer en Chine. Il y aura plus de Chinois bien sûr, mais ils seront aussi plus vieux. Est-ce que la formation leur suffira à passer d’une économie d’exportation à une économie de demande interne, avec en même temps une réduction maîtrisée du surinvestissement qu’on observe actuellement ? Ici aussi, il y a des risques de choc, bien au-delà de la linéarité des prévisions.
La zone euro vient alors, normalement, sauf qu’elle n’existe pas dans l’étude en tant que telle ! Nous apprenons ainsi que le Portugal et l’Espagne doivent accroître leur excédent primaire, ce qui n’est pas une surprise, mais ce qui n’est pas évident pour des populations particulièrement vieillissantes. Les nécessaires organisations de la zone euro, si on veut éviter, ici aussi, la catastrophe, ne sont pas mentionnées – or c’est bien ce qui se joue. Les Etats-Unis se sauvent de l’opération. Ils sont toujours les plus riches par tête, ils règlent leur problème de déficit budgétaire, ils continuent à innover. Heureux pays.
On le comprend, les résultats obtenus sont toujours très liés à la méthode retenue. Implicitement, ils donnent le message de la nécessité des réformes, de la formation, de la productivité par l’organisation plus que par le seul investissement. On comprend l’idée. En revanche, rien n’explose (la Chine), ni n’implose (le Japon). Chacun continue son chemin, certains allant plus vite, d’autres moins. Mais il n’est pas question, ici, de considérer comment les chemins peuvent se croiser, comment des tensions peuvent naître et croître.
Et pourtant, il va bien falloir faire suivre des stress tests aux grands pays : Etats-Unis, Japon, zone euro, Angleterre, et non pas supposer qu’ils vont seulement réduire leurs déficits par une éducation efficace. L’avenir ne pourra se produire sans rupture. Ce sont elles qui sont pédagogiques, pas les séries qui nous disent qu’il faut se former, innover et dialoguer.
Pas de mort en 2060 ! Allons-donc ! Que des plus ou moins gagnants ! Allons-donc ! Il y a des contradictions, des impossibilités dans ce futur, non un système d’harmonies préétablies. C’est l’enfer et sa crainte qui font apprendre, pas l’idée du paradis, même du purgatoire. En 2060 ou maintenant.