De la transition économique à la transition énergétique en France

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Par BSI-Economics Modifié le 29 novembre 2022 à 9h25
France Developpement Energies Renouvelables
@shutter - © Economie Matin
79 %79 %, c'est la part du nucléaire dans la production énergétique de France.

Ce début du XXIème siècle est marqué non seulement par une crise économique profonde mais également par une nouvelle crise énergétique exceptionnelle. A une complexité traditionnelle créée par la tension des prix des énergies fossiles dans un contexte de forte croissance de la consommation énergétique mondiale et d’incertitude des politiques énergétiques, s’ajoutent désormais les menaces du changement climatique.

Ce dernier est provoqué par des émissions de gaz à effet de serre qui sont causées par la consommation des énergies polluantes et non renouvelables (pétrole, gaz et charbon) depuis plus d’une centaine d’années. Si nous continuons au rythme actuel avec environ 2 milliards de nouveaux venus au cours des trente-cinq prochaines années, l’avenir énergétique sera trop vulnérable aux risques d’un manque d'approvisionnement énergétique et de catastrophe environnementale (Chevalier et Geoffron, 2012). Tous ces facteurs nécessitent de réaliser des changements en profondeur du système énergétique actuel dans les deux prochaines décennies.

Transition énergétique - un enjeu mondial

Tous les pays, avec des politiques différentes et des niveaux d’engagements différents, ont réagi à ces nouveaux défis de l’énergie. En Europe, la politique Climat-Energie, définie par l’Union européenne en 2009, est surnommée les « 3x20 ». Il s’agit d’ici 2020 de faire passer à 20 % la part des énergies renouvelables; de réduire de 20 % les émissions de CO2 par rapport à 1990 ; et d’accroître l’efficacité énergétique de 20 %. Ainsi, en Allemagne, le gouvernement a adopté en 2010 une loi sur la transition énergétique (Energiwende en Allemand) qui se traduit par un double objectif : réduction des émissions grâce à un mix énergétique davantage tourné vers les énergies renouvelables et sortie volontariste du nucléaire – un engagement qui a été pris depuis le début des années 2000. Le Royaume-Uni, dès le début des années 2000, a pris pleinement conscience des conséquences du réchauffement climatique (l’économiste britannique Nicholas Stern fut l’un des premiers à en quantifier l’impact économique dans son rapport de 2006[1]). Au Japon, à la suite de la catastrophe nucléaire de Fukushima en mars 2011, ce pays a aussi décidé de sortir progressivement du nucléaire avant la fin des années 2030. Les constructeurs japonais sont à la pointe dans le développement des nouvelles technologies « environment-friendly» comme véhicules hybrides et voitures électriques. Plus récemment, les Etats Unis, qui ont refusé de ratifier le protocole de Kyoto, et la Chine – les deux plus gros pollueurs de la planète – ont trouvé un accord inédit sur les engagements pour lutter contre le réchauffement climatique[2].

En France, certes avec un peu de retard par rapport à ses voisins britannique et allemand, a lancé en septembre 2012 un grand débat national sur la « transition énergétique ». Cette décision politique s’est traduite par un projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte qui a été adopté par l’Assemblée nationale le 14 octobre 2014 en première lecture. Néanmoins, la mise en application reste encore trop lente et notamment la prise des consciences de la population française sur ce sujet est encore largement insuffisante. Cette dernière est le résultat d’un atout sans équivalent du système énergétique français indépendant des énergies fossiles avec des prix électriques les plus bas en Europe, ce qui est devenu aujourd’hui une « illusion » très forte dans la population, sur l’inertie et la rigidité d’un tel système dans le long terme.

En France : Est-il temps de sortir du conte de fée énergétique ?

Le modèle énergétique français a été classé au troisième rang mondial pour ses performances (après la Norvège et la Suède) au World Economic Forum en 2013.

En Europe, la France est parmi les pays qui délivrent les prix d’électricité les plus bas : les ménages français paient leur facture électrique en moyenne 30% de moins que les ménages européens et 50% de moins que les ménages allemands selon les données d’Eurostat en 2010. De plus, le système électrique français possède un avantage exceptionnel grâce à son bilan électrique nucléarisé (Figure 1) : 80% de l’électricité produite en France vient des centrales nucléaires. La France bénéfice donc d’une électricité parmi les moins chères et les moins intenses en carbone au monde. Quant aux gaz et pétrole, ceux qui représentent 50% du bilan énergétique en France (Figure 1), il semble que les Français ne sont jamais en manque, même dans les périodes de grandes tensions comme les crises gazières entre la Russie et l’Ukraine grâce à un bon équilibre des approvisionnements. (Chevalier, Cruciani et Geoffron, 2013).

Mais, il est temps de remettre en question le système énergétique car malgré ces performances, la France, ainsi que d’autres pays interconnectés européens, est en train d'entrer dans une nouvelle période où l’incertitude domine de toutes parts, où les avantages issus du modèle dans le passé sont remis en cause et où les gaz à effet de serre ignorent des frontières.

- Les prix de l’électricité pour les ménages (les tarifs) en France sont effectivement plus bas que la plupart des prix européens. Mais, constatons simplement qu’ils n’ont pas bougé depuis 1994 en valeur nominale malgré la tension des prix des carburants (le prix de pétrole, par exemple, s’est envolé de $20/baril en 1999 jusqu’environ à $140 en 2008 et autour de $100 ces derniers années). Autrement dit ils sont au niveau artificiellement bas car la classe politique, gauche et droite confondues, a tout fait pour bloquer les prix, indépendamment des coûts, du marché, et des besoins de financement. Cela a été démontré dans le rapport d’IFRI sur l’évolution des prix de l'électricité aux clients domestiques en Europe en 2011 ou dans le rapport de la cour des comptes en 2012 sur les coûts de la filière électronucléaire. En France, les coûts n'ont pas été répercutés intégralement sur le consommateur. Les tarifs électriques ne reflètent pas la réalité du marché mais de plus en plus une volonté de préserver les consommateurs des tensions du monde énergétique. Le système des prix français est donc aujourd’hui loin d’être un signal cohérent et interprétable pour que les industriels et les consommateurs fassent leurs choix d’investissement ou de consommation, retardant d'autant plus les progrès de la transition énergétique.

- Aujourd’hui, les avantages du nucléaire sont en train d’être remis en question notamment à la suite de l’accident Fukushima en mars 2011 au Japon. Plusieurs facteurs de coût d’électronucléaire ont été réévalués/ajoutés dû au renforcement des normes de sécurité notamment les charges de démantèlement, les coûts de gestion des combustibles usés, les coûts de gestion à long terme des déchets… (cela a été montré par plusieurs difficultés rencontrées par le développement du nouveau réacteur de Flamanville). En conséquence, le coût de production de l’électricité nucléaire augmentera à court/moyen terme, sans parler des risques liés au contenu radioactif, aux contaminations possibles, et au stockage des déchets. Cela mérite d’être un des grands enjeux dans le débat national sur le choix de l’investissement à l’avenir.

- L’avenir énergétique n’a jamais été aussi incertain. Les prix du pétrole – prix directeurs de toute la sphère énergétique, certes restés très bas pendant les années 1990s – ont été multipliés par quatredepuis 2000 et sont orientés encore à la hausse dû à la tension de réserves, des turbulences politiques dans les pays de production ou d’une augmentation possible des taxes sur les usages[3]… (Chevalier, Derdevet et Geoffron, 2012). De plus, la quasi-totalité des énergies utilisées en France (y compris uranium) est importée depuis des pays qualifiés « de risque ». Cette forte indépendance aux importations des énergies primaires pose un problème sur la sécurité d’approvisionnement dans le long terme même si le choix du nucléaire a permis d’adoucir les risques.

- Le réchauffement climatique ne s’est pas cantonné à l’intérieur des frontières. En France, même si une grande consommation électrique est couverte par des parcs nucléaires, les centrales thermiques (gaz et charbon) – émettrices de gaz à effet de serre - sont requises pour faire face à la demande « de pointe ». De plus, l’émission des gaz à effet de serre ne se résume pas à la production de l’électricité. La consommation du gaz, du charbon et du pétrole représente presque 53 % du bilan énergétique français. Face au réchauffement climatique global, tous les pays, y compris la France, doivent prendre leur responsabilité pour lutter contre cette menace.

C’est dans ce contexte que le débat national sur la « transition énergétique » a été lancé par le président de la République en 2012, ce qui est traduit par un projet de loi adopté par l’Assemblée nationale en octobre 2014.

Transition énergétique: cahier de charges

Le projet de loi sur la transition énergétique est composé de 60 articles qui visent à « fixer les objectifs, tracer le cadre et mettre en place les outils nécessaires à la construction par toutes les forces vives de la nation – citoyens, entreprises, territoires, pouvoirs publics – d’un nouveau modèle énergétique français plus diversifié, plus équilibré, plus sûr et plus participatif…», dont les grands axes sont résumés :

Transition vers une économie sobre et bas carbone

- Réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% entre 1990 et 2030.

- Diviser par deux la consommation d’énergie à l’horizon 2050

- Diversifier les technologies et les modèles dans la structure énergétique : Réduire la consommation énergies fossiles de 30% et porter la part des énergies renouvelables à 32% de la consommation finale brute d’énergie en 2030; réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à de 75% à 50% à l’horizon 2025.

Transition vers une économie innovatrice et intelligente

- Rénovation thermique de 500 000 logements par an, notamment dans l’optique de réduire la précarité énergétique des ménages face à des factures de plus en plus lourdes (et en raison de la montée du chômage).

- Développer les transports propres pour améliorer la qualité de l’air et protéger la santé des Français (bonus pour l’achat d’un véhicule électrique et pour l’installation de bornes de recharge pour les voitures électriques par les particuliers, 7 millions de points de recharge pour les voitures électriques en 2030)

- Mobiliser une intelligence nouvelle dans le système énergétique : smart grids, smart buildings, smart cities, smart consumers, ect.

Ces objectifs sont très ambitieux mais réalisables : « ambitieux » parce que l’avenir énergétique que nous sommes en train de construire est basé sur un scénario de très faible croissance de demande énergétique. Le passage de 75% à 50% de la part du nucléaire signifierait qu’il faudrait trouver une substitution équivalente de 88,5 TWh dans dix ans. Cette part, plus la diminution de la part de charbon et du gaz, devraient être substituées par les énergies renouvelables (principalement solaire et éolien[4]) qui sont pourtant très coûteuses à mettre en place à grande échelle à cause de leur intermittence et imprévisibilité (le cas d’Allemagne peut être fourni comme un exemple - Voir aussi). « Réalisable » parce qu’il est possible de s’inspirer de la transition énergétique des pays voisins qui furent des précurseurs. En effet, de nombreux progrès ont été réalisés au cours de ces dernières années : les Smart Grids avec le réseau électrique décentralisé et le fonctionnement d’effacement de demande sont mis en œuvre; le stockage d’électricité à grande échelle, certes coûteux, est aussi en progrès ; le traitement de CO2 afin de rendre les énergies fossiles propres est possible à un certain coût ; de nombreux logements sont construits avec une séries de critères sur l’efficacité énergétique; l’électricité produite par les éoliennes off-shore a une grande capacité et un effet de réduction significatif sur le prix électrique de gros. Quoi qu’il en soit, nous sommes encore au tout début d’un processus très long et difficile. La mise en application de ce projet sera un grand défi et dépendra fortement des réactions rapides, actives et volontaristes à tout niveau.

Transition énergétique : Il est temps de réagir à tout niveau

Nous sommes aujourd’hui dans un système énergétique interconnecté – c’est-à-dire « lié avec nos voisins par les réseaux énergétiques » : l’électricité produite par une centrale dans le Nord de la France pourrait parcourir un long chemin par les lignes de transport en Allemagne avant d’arriver vers la Sud de la France, des mètres cubes de gaz importés de Norvège passent en partie par les Pays-Bas et la Belgique pour être au final consommés en France, … Les modes de production et de consommation énergétiques produisent des externalités qui dépassent les simples frontières étatiques. Une grande partie des décisions prises en France ne joue plus uniquement à Paris. Pour l’ensemble de ces raisons, le succès de la transition énergétique français nécessite une coopération solide et efficace entre les Etats membres.

Pour que la transition énergétique avec une longue liste d’objectifs ambitieux ne soit pas un beau conte de fée pour adoucir la tension à Bruxelles ou amadouer la population par des promesses de création d’emploi[5], il est indispensable que les politiques (nationale, régionale ou territoire) et les économistes trouvent des consensus. Au cours de ces dernières décennies, la réflexion énergétique en France a été dominée par la recherche de rationalités économiques… entremêlées de considérations politiques[6]conduisant, notamment, à une gestion des tarifs électriques dont la logique est incompréhensible (Voir aussi). Dans les années qui viennent, il est nécessaire que le système des tarifs politiquement bloqués prenne fin et que le système de prix envoie un signal cohérent et interprétable pour les consommateurs.

Au-delà de tous ces engagements gouvernementaux, la transition énergétique serait extrêmement difficile, voire impossible, à réaliser s’il n’y a pas de volonté et de bonne coopération des citoyens. Sous cet angle, constatons que dans notre pays voisin, un vaste consensus règne au sein de la population allemande qui estime que la sortie du nucléaire est indispensable. Le lendemain de la catastrophe du Fukushima, le gouvernement allemand a décidé de fermer immédiatement les huit plus vieilles centrales nucléaires bien que cela entraîne une hausse des prix électriques puisque les énergies fossiles, chères, doivent être mises en place pendant la période transitoire. Cette décision a été soutenue par la quasi-totalité des citoyens allemands. Le passage aux renouvelables, qui a conduit à un tarif élevé dû à la subvention au ce type de l’énergie, a aussi reçu (au début au moins) un fort soutien de la population dans ce pays.

En France, il est nécessaire d’accepter le fait que l’ère de l’énergie bon marché et abondante est terminée et qu’investir dans une économie renouvelable et innovatrice a un coût. Citoyens, consommateurs, entreprises sont tous aujourd’hui concernés à un degré ou un autre par la mise en œuvre de la transition énergétique pour une croissance verte et soutenable.

Conclusion

Ces dernières années ont été marquées par une prise de conscience mondiale des enjeux énergétiques. Bien que la France dispose un patrimoine énergétique qui conserve une grande valeur, son modèle énergétique est en état d’alerte face à un monde qui change. L’inaction n’est plus une politique acceptable. C’est dans ce contexte qu’un projet de loi sur la transition énergétique a été adopté en Octobre 2014 qui vise à fixer les objectifs pour la transition vers une croissance économique sobre, innovatrice et bas carbone. Pour résumer en quelques mots, il s’agirait de réduire la part de nucléaire et des énergies fossiles, ceux qui seraient substitués par une part plus importante des énergies renouvelables et de diviser par deux la consommation d’énergie à l’horizon 2050 par une campagne d’efficacité énergétique. Cette décision politique, ambitieuse, va dans la bonne direction. Le succès de la transition énergétique dépendra fortement des coopérations efficaces et des réactions rapides, actives et volontaristes à tous niveaux.

Notes:

[1] Stern, N., « The Economics of Climate Change », 2006

[2] Les Etats-Unis annoncent une réduction de 26-28% de leurs émissions d’ici 2025 par rapport à 2005 et la Chine, premier émetteur mondial, devrait atteindre le pic de ses émissions de gaz à effet de serre en 2030 au plus tard.

[3] La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est la principale taxe que supportent les produits pétroliers. Elle précise que seuls sont taxés les usages en tant que carburant ou combustible de chauffage.

[4] L’Hydraulique, bien qu'énergie renouvelable, a atteint quasiment à son maximum. Les projets envisageables sont systématiquement contestés du fait de leur conflits avec les autres usages de l'eau ou de leur impact sur l'environnement (continuité biologique, transit sédimentaire.).

[5] La transition énergétique est estimée de créer 15000 emplois en France dans les années qui viennent.

[6] Un exemple est fourni par la décision de gouvernement de passer une loi qui interdit l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste sans même évaluer au minimum des aspects économiques : de quelles quantités dispose-t-on, à quel coût ou quelles peuvent être les conséquences sur l’environnement et les impacts économiques pour les entreprises et les régions.

Article publié sur BSI Economics

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