Le terme « disruption » a fait la une des journaux au cours de ces derniers mois comme jamais auparavant, accompagné de près ou de loin par celui de « changement de paradigme », expression qui rythme depuis de nombreuses années le monde de l'investissement. Oui, la pandémie a exercé un effet délétère sur le système productif mondial.
Le taux d'utilisation des capacités productive a ainsi décliné pendant plusieurs mois, érodant la capacité productive des grandes économies de ce monde. Le taux d'utilisation des capacités productives a ainsi chuté aux Etats-Unis de 76% à 64% en 2020 pour revenir plus récemment autour de 75%. L'Europe a connu un destin similaire, tournant à 65% de ses capacités au plus fort des confinements pour revenir au deuxième trimestre à 80%, son niveau d'avant crise. Dans un monde où les inventaires sont faibles, ce déclin rapide et prolongé de la production suivi d'un rapide redémarrage n'a pas manqué générer des secousses dans les économies sous-jacentes : les fameuses « disruptions ».
Il est essentiel de classifier, puis de mesurer ces disruptions afin d'échapper au pire ennemi de l'analyse économique : l'anecdote. On fait état dans la presse d'une explosion de certains salaires suite à un cruel manque de mains d'œuvre, d'un manque de matières premières pesant notamment sur la production de biens durables et des effets sur les prix facturés aux consommateurs. Ces disruptions sont le reflet principal de deux phénomènes : des stocks bas ainsi que des carnets de commandes bien (trop) remplis. De nombreuses enquêtes de conjoncture contiennent des questions permettant de mesurer assez précisément l'état de ces deux éléments aux quatre coins du globe. La « disruption » est bien là : les enquêtes sur les stocks font état de niveaux anormalement faibles, alors que les carnets de commande sont anormalement remplis. Il ne s'agit pas que d'un phénomène local : tous les pays présentés dans le graphique présentent la même évolution. Si ceci explique la progression de composantes des indices de prix à la consommation et à la production, il reste essentiel de regarder devant nous plutôt que dans le rétroviseur. Les deux éléments (inventaires et commandes) ont aujourd'hui perdu de leur momentum, une stabilisation bienvenue à ce stade. Des 36 indicateurs d'inventaires, 45% affichent désormais une progression (contre 21% en mai). Des 36 indicateurs de carnets de commande, seulement 39% affichaient une progression en Septembre, contre 63% en mars. Il suffit que cette normalisation déjà mesurable se poursuive pour les prix s'ajustent progressivement.
Il existe une autre « disruption » associée qui elle ne semble pas faiblir : la progression du coût du travail. En 2018-2019, la plupart des salaires donnaient des signes de progression marquée et la pandémie y a mis un coup d'arrêt. La vitesse de la reprise a ensuite conduit la demande de travail à progresser plus fortement que l'offre – là encore, les cicatrices des confinements se sont fait sentir. Les salaires s'ajustent progressivement et leur inertie laisse penser que ce phénomène devrait constituer une caractéristique essentielle de ce cycle économique. Il n'est pas ici question de parler d'une inflation salariale hors de contrôle, mais de ce que les banques centrales appellent de leurs voeux depuis plusieurs trimestres : une inflation supérieure à la moyenne historique, à ce stade essentielle tant du point de vu de la dette que de celui du spectre de la déflation.
Pour dire les choses simplement, le côté spectaculaire de ces « disruptions » semble derrière nous et les entreprises devraient progressivement en faire état dans leurs résultats. En revanche, la progression des salaires au niveau mondial est une dimension à ne pas sous-estimer. A long terme, la théorie économique prédit que les salaires guident l'inflation et par conséquent les taux longs. La réaction des banques centrales sera à surveiller de près pour gérer au mieux cette phase de hausse des salaires et de hausse du coût du capital.