C’est un article d’Ambrose Evans-Pritchard, l’un des meilleurs journalistes européens actuels, du Telegraph à Londres qui revient sur un sujet essentiel pour appréhender la crise de l’euro et de l’Europe à savoir la décision attendue avec fébrilité par l’ensemble des autorités économiques et politiques européennes de la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe.
En effet, la Cour peut forcer les institutions allemandes à retirer leur soutien aux opérations de l’UE, détruisant la crédibilité du marché pour les politiques de sauvetage de la BCE, ce qui précipiterait l’Europe dans une nouvelle phase de la crise.
Un délai supplémentaire pour rendre leur décision… ou pour la revoir ?
Le journal Frankfurter Rundschau a rapporté fin janvier que le verdict a été retardé jusqu’à avril 2014 en raison de la complexité de l’affaire et des « différences d’opinion intenses » entre les huit juges…
Comprenez par là qu’au moment où vous lisez ces lignes, en réalité les juges sont défavorables aux plans de sauvetages européens tels qu’ils sont conçus et ils ont juridiquement raison puisqu’il y a bien de multiples violations de la souveraineté nationale (qu’elle soit allemande ou française soit dit en passant), et il y a bien une forme de mutualisation des dettes qui ne dit pas son nom, ce qui ne l’empêche pas d’être réelle au bout du compte lorsqu’il faut payer…
« C’est potentiellement très grave, en particulier à un moment où les gens sont déjà inquiets sur les marchés émergents», a déclaré un expert proche du dossier.
« Nous doutons que la Cour va interdire l’achat d’obligations d’emblée, mais les juges pourraient exiger des changements qui compliquent grandement la tâche et brouille l’image de ces plans. »
En ligne de mire des juges de la Cour constitutionnelle, le plan de la BCE baptisé « OMT », pour opération monétaires sur titres, et qui permettrait à la BCE en cas de besoin de racheter directement les obligations d’État, c’est-à-dire la dette émise par un État de la zone euro et qui n’arriverait plus à se financer sur les marchés afin d’éviter une faillite de pays qui ferait évidemment peser un risque systémique sur toute l’union monétaire.
La crise de l’euro s’est calmée avec une simple phrase de Mario Draghi !
Or souvenez-vous, au plus fort de la tourmante sur la zone euro, alors que les marchés boursiers dévissaient et que les coûts d’emprunt des pays de l’Europe du Sud explosaient à la hausse les précipitant d’autant plus vite vers la faillite ! Souvenez-vous des prix de l’or qui augmentaient de plusieurs pour cent par jour tant l’inquiétude était forte, souvenez-vous de cette période, car depuis rien n’a changé, économiquement et financièrement, au contraire, tous les indicateurs se sont largement dégradés depuis notamment l’endettement de tous les pays, devenus tout simplement abyssal. Rien sauf une chose.
Une seule petite phrase a été prononcée par Mario Draghi, le gouverneur de la BCE, je cite : « L’euro est irréversible et nous ferons tout ce qu’il faut. Croyez-moi, ce sera suffisant ! »
Vous comprenez donc bien qu’en réalité, il s’agit juste de confiance. Mario Draghi a dit qu’il ferait tout ce qu’il faut et que ce serait suffisant, en espérant bien ne rien avoir à faire… et depuis, il n’a rien fait ou presque. Notamment aucune OMT (opération monétaire sur titre) n’a eu officiellement lieu. Pourquoi ? Parce que face à une banque centrale qui décide d’acheter et de monétiser de façon illimitée, les marchés ne peuvent pas gagner, donc ils ne jouent pas contre la banque centrale. Pourquoi ils ne peuvent pas gagner ? Parce que eux ont des ressources limitées, pas la banque centrale si elle décide d’opter pour des politiques non conventionnelles (car dans un monde normal et dans une situation normale, une banque centrale n’a évidemment jamais de ressources illimitées, tout devient illimité que si elle utilise de façon illimitée sa planche à billets, c’est-à-dire son pouvoir de création monétaire).
Or si la Cour constitutionnelle de Karlsruhe rend impossible ou difficilement tenable la position affichée avec fermeté par Mario Draghi, alors c’est l’édifice tout entier du retour de la confiance en Europe qui va s’effondrer brutalement. Si les marchés doutent de la force ou des possibilités à la disposition de la BCE, ce sera la curée sur les pays européens les plus faibles à savoir tous sauf l’Allemagne (et encore).
D’ailleurs, pour Bank of America, il y a un risque « relativement élevé » que la Cour se prononce sur l’illégalité du programme OMT, interdisant de facto à la Bundesbank de participer à ce mécanisme, ce qui en signerait l’arrêt de mort. Dès lors, les politiques de sauvetage de la BCE perdraient toute crédibilité sur le marché instantanément sans le soutien allemand.
Plus grave encore pour le juge en chef Andreas Vosskuhle, « l’Allemagne a épuisé les possibilités de poursuite de l’intégration de l’UE en vertu du droit constitutionnel allemand. S’il souhaite prendre des mesures révolutionnaires vers une union fiscale, il doit se doter d’une «nouvelle constitution» ».
Or se doter d’une nouvelle Constitution exigerait un référendum dont le résultat serait presque à coup sûr négatif tant nos grands zamis les Zallemands ne se sentent pas pressés, et comme on les comprend, de devoir payer pour le reste de l’Europe !
En attendant, ce répit avant l’annonce publique des délibérations n’augure rien de bon et montre que les tractations sont intenses et la pression exercée sur les magistrats de plus en plus forte.
Et si l’Allemagne préparait sa sortie de l’euro ?
Depuis les élections allemandes que je vous avait dit de scruter avec grande attention, il aura fallu plusieurs mois pour constituer une grande coalition nationale autour d’Angela Merkel.
J’entendais hier Pierre Moscovici nous expliquer que la mise en place du salaire minimum allemand était une excellente nouvelle et je me demande si notre ministre de l’Économie ne fait pas encore fausse route.
En effet, les mesures prises actuellement visent effectivement à solvabiliser un marché intérieur, et parfois, on peut se demander si l’Allemagne ne considère pas qu’elle est arrivée au bout du bout de sa volonté d’aider les maillons faibles de l’eurozone.
L’heure des comptes approche. Soyez prêts.
Restez à l’écoute.
À demain… si vous le voulez bien !!