La relance de l’industrie automobile passe par les écoles d’ingénieurs

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Par Pascale Ribon Modifié le 12 juin 2013 à 5h17

Alors que le secteur automobile français poursuit son déclin avec une baisse de 10.3% des ventes de voitures particulières en mai dernier, les écoles d'ingénieurs réclament les moyens d'assurer leur rôle en termes d'innovation et d'évolution des compétences.

Avec moins 30% d'emplois en 10 ans, la filière automobile française est en pleine restructuration. Comment expliquer cette décroissance alors que le besoin de mobilité individuelle explose au niveau mondial et que de nombreuses solutions technologiques et d'usages restent encore à inventer : notamment la diminution de la consommation d'énergie, l'allègement des véhicules, la conduite déléguée voire complètement automatisée, ou encore les véhicules connectés ?

La France a pourtant tout pour réussir : une filière couvrant toute la chaine de valeur, forte de compétences collectives forgées par plus d'un siècle d'expérience. Le tout adossé à un système de formation et de recherche puissant et à un territoire riche de collectivités locales prêtes à tester toutes les nouveautés.

Pour réussir ce challenge, le gouvernement a lancé un plan de soutien mobilisant d'importants moyens financiers pour la filière automobile : les industriels sont largement engagés mais les territoires et l'enseignement supérieur pourraient l'être davantage.

Si l'appel à l'innovation technologique est particulièrement mis en avant, l'innovation « sociale » est nettement moins abordée. Cette problématique est pourtant centrale : on oublie que les entreprises sont d'abord des collectifs humains, dont la réussite ne peut passer que par l'engagement de compétences individuelles.

Comment attirer les jeunes talents vers une filière en crise ? Comment garantir l'intégration dans les entreprises de collaborateurs maîtrisant les nouvelles compétences dont elles ont besoin ? Comment faire évoluer les savoir-faire des équipes actuelles pour les reconvertir vers les nouveaux métiers à venir ?

La coopération écoles/industries : l'Allemagne l'a fait, et la France ?
En France, chaque année, l'industrie automobile a besoin de 600 à 1000 jeunes ingénieurs. Les Ecoles sont donc d'abord responsables du maintien de l'attractivité de cette filière, malgré le discours alarmiste des médias ces dernières années. Nos jeunes talents, innovants et entreprenants, doivent continuer à rejoindre ce secteur, dont les défis à relever sont nombreux.

Le rôle d'écoles comme l'ESTACA est de donner aux étudiants les clefs pour comprendre la réalité des enjeux de la filière. Comment ? En coopérant étroitement entre les écoles et les entreprises, pour identifier les métiers, les expliquer et donner des perspectives d'évolution professionnelle.

Autre atout des écoles d'ingénieurs : une formation professionnalisante, très imbriquée avec le monde de l'entreprise. Beaucoup d'enseignants sont des cadres en activité qui forment les étudiants sur des sujets qui font leur quotidien de travail ; les étudiants ont de longues périodes de stages et travaillent sur des cas d'études réels apportés par les professionnels. Cette collaboration est essentielle pour maintenir le cursus en adéquation avec les besoins des entreprises.

Les Ecoles accompagnent ainsi les élèves en temps réel sur les évolutions de besoins de compétences. Cette proximité peut aussi faire émerger des projets d'innovation portés par des étudiants et des enseignants-chercheurs qui peuvent déboucher sur des start-up innovantes.

En outre, ce mode de fonctionnement permet aussi de mobiliser des équipes de recherche et des étudiants dans des projets à forts enjeux pour la filière. C'est par exemple le cas de l'institut d'Excellence VeDeCoM, labellisé dans le cadre des investissements d'avenir. Porté par les principaux industriels de la filière (PSA, Renault, Valeo,..), il regroupe plusieurs établissements d'enseignement supérieur.

A noter que les rapprochements entre industrie et monde académique ne sont pas toujours simples car en France, à l'inverse de l'Allemagne, les cultures sont assez différentes. Néanmoins, les écoles d'ingénieurs jouent un rôle de facilitateur de par leur culture proche de l'industrie.

La question de la formation continue est aussi capitale dans l'évolution de la filière automobile car la redynamisation passe par la reconversion des personnels. Les écoles d'ingénieurs doivent aussi mobiliser leur savoir-faire en formation continue pour accompagner les entreprises.

C'est le cas en particulier des PME qui ont peu de moyen pour gérer les compétences de leurs salariés et qui ne bénéficient pas des universités d'entreprises des grands groupes. Par exemple, au sein de l'institut VeDeCoM, les universités d'entreprises et les établissements d'enseignements supérieurs ont pour objectif de travailler en synergie pour faire évoluer les compétences au sein de la filière.

Levons les freins institutionnels et financiers !
Cependant les Ecoles d'ingénieurs se heurtent à plusieurs freins pour avancer de façon positive et jouer leur rôle d'acteur de la filière industrielle.

Sur le plan institutionnel, les écoles sont actuellement mobilisées par une nouvelle réforme de l'organisation de l'enseignement supérieur, avec en filigrane l'éternelle lutte entre Ecoles et Universités. Là où il serait nécessaire de créer de la synergie et de la confiance pour profiter de ce qu'il y a de mieux dans les différents modèles, ce sont les antagonismes qui dominent et mobilisent l'énergie, au détriment de l'intérêt général.

Par ailleurs, le modèle actuel de financement des écoles d'ingénieurs via le budget de l'Etat pour les écoles publiques, ou via les frais de scolarité pour les écoles privées, atteint ses limites et ne permet pas les investissements, nécessaires au développement de la filière.

Rien n'est prévu dans le plan de soutien à la filière automobile pour la formation. Les écoles d'ingénieurs ne peuvent pas non plus bénéficier réellement des moyens que les entreprises consacrent à la formation. En effet, ces flux sont limités en raison de règles institutionnelles de gestion non négociables. Le débat autour de la taxe d'apprentissage en est le parfait exemple : celle-ci a été créée pour soutenir les formations technologiques et professionnelles.

La formation d'ingénieurs est par définition une formation technique professionnalisante, qu'elle se déroule ou non sous le régime juridique de l'apprentissage. Le choix actuel est pourtant de réorienter la taxe d'apprentissage vers les seules formations par apprentissage, privant les écoles d'une partie de leurs ressources.

Les écoles d'ingénieurs, comme de nombreuses institutions de l'enseignement supérieur, se sentent aujourd'hui parties prenantes des filières industrielles qu'elles contribuent à faire évoluer, au travers des jeunes et moins jeunes qu'elles forment.

Mais notre modèle institutionnel, qui pense la formation initiale comme indépendante du monde du travail, est en total décalage avec les besoins de notre société. C'est le cas de la filière automobile aujourd'hui confrontée à des enjeux d'évolution dont les conséquences toucheront l'ensemble de la société. Jamais le discours sur l'innovation technologique n'a été aussi fort, tout en occultant complètement le besoin d'innovation sociale qui lui est pourtant indissociablement lié.

S'il semble difficile de faire bouger l'ensemble de l'enseignement supérieur, les écoles d'ingénieurs sont aujourd'hui prêtes à assumer une responsabilité sociale accrue vis-à-vis de la compétitivité, à condition que les règles du jeu le permettent et le favorisent.

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Pascale Ribon est directrice générale de l'ESTACA, une école d'ingénieurs en 5 ans qui forme des ingénieurs pour l' automobile, l'aéronautique, l'espace et les transports guidés-ferroviaire. Ingénieur diplômée de l'Ecole Polytechnique (X87) et de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées (1992), Pascale Ribon a notamment été Directrice Départementale de l'Equipement, puis Sous Directrice en charge du développement des ressources humaines au Ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement des territoires. En janvier 2010, Pascale Ribon quitte la Direction de l'Equipement d'Ile de France, où elle était directrice régionale adjointe, pour mettre ses compétences au service de l'ESTACA en tant que directrice de l’établissement.

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