La stagnation séculaire est une notion qui s'inscrit dans la durée. Elle désigne un état de croissance économique faible voire nulle, induite par une augmentation de l'épargne et un manque chronique d'investissements. La stagnation séculaire s'installe dès que les politiques fiscales du gouvernement (dépenses et investissements) manquent d’agressivité.
Dans le cas présent, il ne faut pas regarder les programmes fiscaux agressifs en place ni les estimations de croissance pour 2021, 2022 voire 2023. C'est le résultat de la prochaine décennie qui est en jeu. Il est clair que des politiques budgétaires et monétaires non conventionnelles sont nécessaires pour combattre les effets d'une crise sanitaire mondiale. Une politique monétaire accommodante est nécessaire pour combler les écarts de production et empêcher les forces désinflationnistes à l'oeuvre au cours des deux dernières décennies de reprendre racine. Mais la thèse de la stagnation séculaire se mesure sur des décennies, et non sur des années. Elle restreint toutefois l'ampleur des scénarios possibles et empêche un retour aux niveaux de taux à long terme observés avant la grande crise financière de 2008-2009.
L’exception du Japon
Le principal indicateur de la stagnation séculaire est la présence et la persistance de taux réels négatifs à long terme. Les taux des obligations d’État des marchés développés indiquent une stagnation séculaire avec des taux réels à 10 ans d'environ -1,60% en Allemagne, -0,90% aux Etats-Unis, -1,50% en Suède et -2,66% au Royaume-Uni. Les taux réels à long terme de ces marchés sont un facteur important dans les modèles de valorisation des différentes classes d'actifs. Les anticipations d'inflation peuvent être considérées comme résiduelles. Dès que l'assouplissement quantitatif a été largement appliqué comme principal instrument de politique monétaire (vers 2015), l'évolution vers des taux réels à long terme fortement négatifs s'est accélérée et est devenue persistante. Seule exception jusqu'à présent: le Japon. L'accumulation de programmes budgétaires agressifs a grandement amélioré les infrastructures et le bien-être général des Japonais, mais elle a finalement conduit à la disparition des anticipations d'inflation et les empreintes d'inflation faible sont restées proches de la ligne zéro. L'endettement du Japon (dette/PIB excédant 225%) n'était pas et n'est pas une préoccupation majeure, car la plus grande partie de la dette japonaise est détenue sur le marché intérieur. L'introduction d'un contrôle explicite de la courbe des taux en septembre 2016 a fait chuter les prévisions d'inflation à 10 ans d'un niveau déjà faible de 50 points de base jusqu'à zéro, pour atteindre un plancher de -0,35% en mars 2020. Aujourd'hui, à l'instar de la plupart des marchés développés, les prévisions d'inflation à 10 ans au Japon se sont redressées d'environ 65 points de base, mais restent à un niveau décevant de 30 points de base. Dans un scénario où la Banque du Japon réussirait à faire progresser l'inflation vers 2,00%, nous pourrions observer une convergence des taux réels japonais à 10 ans vers les niveaux actuellement atteints en Allemagne (c'est-à-dire -1,60%). Le fait est que le Japon a certes amélioré ses infrastructures en investissant massivement, mais cela n'a pas débouché sur une amélioration des données relatives à l'inflation. Il convient de se demander comment les effets de base se manifesteront au cours des deuxième et troisième trimestres 2022... Espérons que l'impression sera toujours de l'ordre de 2% aux États-Unis. La surprise serait un résultat plus proche de 0%.
À ce stade de la reprise économique, la demande de valeurs sûres reste intacte. L'épargne trouve toujours son chemin vers les obligations d'État sans risque et le crédit de haute qualité, qu'il s'agisse d'obligations de qualité "investment grade" ou à haut rendement. La part allouée à la dette privée et à la dette d'infrastructure est en constante augmentation. La réglementation a un impact et oriente les carnets de placement des banques vers les obligations d'État à zéro risque. La réglementation a cimenté les allocations à revenu fixe des (ré)assureurs bien au-delà de 90%. Les fonds souverains se couvrent mutuellement en allouant des actifs importants aux émissions de dette souveraine et supranationale en monnaie locale et en devises fortes.
La combinaison actuelle de menaces géopolitiques, climatiques et sociétales renforce l'aversion au risque. Le passage d'un stade de stagnation séculaire à un cycle économique à long terme plus favorable aux investisseurs et plus orienté vers la croissance nécessitera de gros efforts. Les détracteurs ou les sceptiques de la stagnation séculaire contestent l'argument de l'épargne démesurée et désignent la réglementation gouvernementale et l'intervention fiscale comme principales causes de la stagnation séculaire. Apparemment, toutes les routes mènent à Rome.