Certains veulent faire du Bitcoin l’eldorado monétaire des prochaines années, mais des voix s’élèvent au sein même de ceux qui l’ont développé pour dire aujourd’hui qu’il va droit à l’échec.
C’est vrai que les devises traditionnelles émises par les banques multiplient les errements comme les abus, mais il est faux de croire qu’on peut remplacer efficacement une monnaie-dette artificielle par une autre monnaie tout aussi fictive. Dans un article intitulé The resolution of the Bitcoin experiment, Mike Hearn, développeur du système bitcoin, expose les raisons techniques et organisationnelles qui aboutiront, selon lui, à l’échec de la plus connue des cryptomonnaies.
Le coeur du système, la blockchain
Après avoir été ingénieur pendant presque huit ans chez Google, Mike Hearn décide en 2014 de tout laisser tomber pour se consacrer au développement d’un nouveau projet révolutionnaire qui l’occupait déjà pas mal depuis 2012 : le bitcoin. Très vite, il devient une référence pour les médias, celui qu’il faut interviewer pour comprendre en quoi cette nouvelle monnaie sortie de nulle part doit révolutionner le système financier.
Ce qui fait la particularité du bitcoin, son ADN, c’est sa technologie. À la fois monnaie, réseau et « livre de comptes à ciel ouvert », comme le désigne le journal Les Échos, le bitcoin repose sur la blockchain, laquelle est comme son nom l’indique une chaîne de blocs d’informations qui permet d’enregistrer, de suivre, d’authentifier et de valider toutes les transactions effectuées. Au passage, cette technologie est tellement élégante et innovante qu’elle est devenue un modèle à part entière, indépendamment de la cryptomonnaie pour laquelle elle a été initialement créée. Et elle intéresse désormais, non seulement les institutions financières traditionnelles, mais également de nombreux secteurs d’activité pour lesquels l’exactitude et l’inaltérabilité des données sont essentielles (actes notariés, énergie, cadastre, etc.).
Or, il se pourrait que l’une des causes prochaines de l’effondrement du bitcoin soit justement cette blockchain, ou en tout cas de la manière dont elle est utilisée (car ces travers ont été corrigés pour d’autres cryptodevises comme l’Ethereum par exemple). En effet, selon Mike Hearn, le système de validation des blocs de transactions a considérablement grossi ces derniers temps, à un rythme et selon une progression quasi exponentielle que ses créateurs n’avaient pas tout à fait envisagés.
Le système atteint ses limites techniques
Pour valider une transaction en bitcoins, des opérateurs doivent faire subir un traitement informatique aux blocs de données qui la constituent (on appelle ça le « minage« ), l’objectif étant d’obtenir un certain résultat attendu prouvant que les informations n’ont pas été altérées. À noter que le minage n’est pas une condition essentielle de l’utilisation de la blockchain, et certaines autres cybermonnaies, comme l’Hyperledger notamment, s’en passent parfaitement.
Techniquement, une transaction en bitcoins est constituée du bloc comprenant les informations propres à l’opération en cours… suivi de tous les blocs correspondant à l’historique de circulation des bitcoins impliqués dans la transaction analysée. Autant dire que, plus le temps passe et plus le nombre de blocs augmente pour chaque transaction. Et donc la durée comme la complexité du traitement informatique de validation. Pire encore, pour des raisons de stabilité du réseau et de fiabilité des échanges, la taille maximale des blocs a été limitée à 1 mégaoctet, et elle atteint actuellement un peu plus de 0,7 megaoctet en moyenne. Bientôt, alors que le volume d’échange avoisine désormais 300 000 transactions quotidiennes, il deviendra techniquement impossible (et plus du tout rentable !) de valider les opérations en bitcoins.
Un système dévoyé au profit… de la Chine
Une autre des raisons de l’échec annoncé par Mike Hearn tient davantage à l’organisation du bitcoin. Alors qu’il avait été créé pour pallier les défaillances et les abus des monnaies centralisées, le système est aujourd’hui entièrement contrôlé par une poignée de personnes, qui ont décidé de s’en servir comme d’une arme économique que les grandes puissances financières occidentales n’avaient pas vue venir. Car aujourd’hui, c’est un fait établi, l’essentiel de la blockchain du bitcoin est contrôlé par des opérateurs Chinois, et deux d’entre eux ont la main mise sur 50% de la puissance de calcul utilisée. À 25 bitcoins de redevance par nouveau bloc créé (soit environ 11 000 dollars), le minage constitue une véritable mine d’or dont les Chinois n’entendent pas être dépossédés. En contrôlant le réseau, ils l’empêchent de s’étendre et évitent que d’autres prennent part au système.
Une communauté qui a explosé
Évidemment tout cela ne se passe pas sans heurts, et la communauté des utilisateurs de bitcoins s’est récemment déchirée autour de la nécessité ou non de faire évoluer le procédé, certains prétendant que le système était une merveille d’ingénierie de conception quasi divine et que tous les problèmes allaient se régler d’eux-mêmes, tandis que d’autres souhaitaient remettre le bitcoin à plat en prenant la mesure des déviances observées. En huit mois, l’écosystème du bitcoin est passé d’une communauté transparente et ouverte à une organisation ombrageuse et dominée par la censure. Autant de raisons qui, selon Mike Hearn, vont inéluctablement conduire le bitcoin à sa perte.
Hausse du cours du bitcoin
Reste que la cryptomonnaie semble connaître une très forte progression actuellement, mais ce fut déjà le cas par le passé, à l’occasion d’évènements quelconques relatés sur un forum communautaire, puis relayés de blogs en sites d’informations jusqu’à atteindre les médias mainstream qui écrivirent leur propre version de ce qu’ils ne comprennaient pas toujours et suscitaient brièvement l’intérêt d’un grand public qui, lui non plus, ne savait pas vraiment de quoi on lui parlait en réalité. Résultat, chaque envolée des cours du bitcoin a été systématiquement suivie par un effondrement aussi brutal qui ruina des milliers de personnes. Certes, comme pour tout investissement alternatif, on recommande de ne placer (jouer ?) que ce qu’on est prêt à perdre, mais l’appât du gain est le plus fort.
Enfin, Mike Hearn évoque un certain nombre de faits préoccupants, comme les nombreuses cyber-attaques dont fait l’objet le réseau bitcoin, des attaques de plus en plus difficiles à contrer dans un contexte où les défections deviennent nombreuses, car les partisans de la première heure ayant finir par partir (comme lui), dégoûtés par le tour qu’ont pris les évènements. Il y a aussi le fonctionnement même de la blockchain, lequel se veut pseudo démocratique mais dont les administrateurs semblent motivés par d’autres intérêts que l’intérêt général. Mais surtout, que ce soit dans l’article cité au début de ce billet ou dans les quelques commentaires qu’il a pu ajouter par la suite, Mike Hearn se pose clairement la question de la solvabilité du système et il évoque en creux l’éventualité d’une banqueroute globale qui ferait disparaître plusieurs milliards de dollars d’un simple clic.
Dans ces conditions, difficile de considérer le bitcoin comme plus sûr que nos euros ou nos dollars…
Article écrit par Jean-François Faure pour l'Or et l'Argent