Une opportunité historique offerte à Mario Draghi d’investir dans l’avenir économique de l’Italie

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Par Stéphane Monier Publié le 16 février 2021 à 9h26
Italie Crise Economique Union Europeenne
@shutter - © Economie Matin
200 MILLIARDS €L'Italie va recevoir plus de 200 milliards d'euros de l'Europe pour faire face à la crise économique.

L'ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi a été nommé au poste de Premier ministre italien. « Super Mario », comme on le surnomme, fait face à de vastes attentes. Il est chargé de relancer une économie italienne en stagnation. Sa nomination a également des implications pour l'avenir du leadership européen.

Suite à sa formule « quoi qu'il en coûte » proclamée en juillet 2012, M. Draghi est considéré comme le sauveur de l'euro. Un commentateur le qualifie même de « dernier espoir » pour l'Italie. Il devient le quatrième Premier ministre technocrate italien depuis 1994, après un autre ancien banquier central Carlo Azeglio Ciampi, l'économiste Lamberto Dini et l'ancien commissaire européen et économiste Mario Monti.

À 73 ans, il bénéficie d'un large soutien de la part de tous les partis politiques, y compris de ses rivaux du Mouvement 5 étoiles et de la Lega. L'ancien premier ministre Matteo Renzi a retiré au gouvernement précédent l'appui de son parti « Italia Viva », obligeant le président Sergio Mattarella à se tourner vers M. Draghi pour former une coalition alternative. Ne serait-ce que pour éviter les problèmes sanitaires posés par des élections générales en pleine pandémie.

Les marchés ont salué la nomination de M. Draghi. En réponse à l'appel de M. Mattarella à former un gouvernement le 3 février, l'écart entre les taux italiens et allemands à 10 ans est passé de 113,8 points de base le 2 février à 91,2 points de base le 12 février, sa marge la plus étroite depuis cinq ans. L'écart entre les dettes souveraines italienne et allemande est utilisé comme mesure du risque politique pour la zone euro. La Bourse italienne a fortement réagi, l'indice de référence FTSE MIB gagnant 2.1% le 3 février.

Cette semaine, le parlement italien devrait approuver le gouvernement Draghi, qui comprend des représentants des principaux partis ainsi que des technocrates, et prévoit de déployer un programme de réformes structurelles indispensables dans de nombreux domaines allant de l'éducation, à l'administration publique en passant par la justice, les infrastructures, l'accélération du programme de vaccination, le soutien aux ménages et aux entreprises durant la pandémie et un plan de dépenses de relance. M. Draghi considère également le changement climatique comme un axe stratégique pour son gouvernement et a d'ores et déjà créé un nouveau ministère chargé de superviser la transition vers une économie soutenable.

Priorités pandémiques

L'Italie a été le pays de l'UE le plus impacté lors de la première phase de la crise du Covid-19 et le premier à imposer des confinements régionaux stricts. Avec 2,7 millions de cas, le pays compte désormais un nombre absolu d'infections moins élevé que le Royaume-Uni, la France et l'Espagne, mais il reste le deuxième pays d'Europe après le Royaume-Uni en termes de mortalité, avec plus de 93 500 décès recensés. Tout comme ses voisins européens, l'Italie est confrontée à des difficultés d'approvisionnement en matière de vaccins. Quelque 4,9% de la population a déjà été vaccinée (selon les données du 13 février), une proportion supérieure à la moyenne européenne de 4,7% et à celles de l'Allemagne, de la France et de l'Autriche, mais inférieure aux 5,2% de l'Espagne.

Résultat, l'Italie lutte pour sortir d'une récession qui a fait chuter l'économie de 8,8% en 2020, un record depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Selon les mesures sanitaires qui seront nécessaires dans les semaines et les mois à venir, l'économie pourrait ne pas retrouver la voie de la croissance avant le deuxième trimestre de cette année. En outre, le mois prochain, l'Italie mettra fin au moratoire pandémique sur les licenciements, ce qui devrait entraîner une hausse du chômage, qui stagne invariablement autour de 10%. Nous tablons sur une croissance du produit intérieur brut (PIB) italien de 4,8% cette année et une hausse de l'indice des prix à la consommation de 1%.

L'activité économique italienne se situe actuellement à 80% environ de son niveau d'avant la pandémie. A ce jour, la reprise économique du pays reflète largement celle de ses voisins (cf. graphique).

Une dette productive

Le moment est bien choisi pour un redressement de l'économie italienne. Par le passé, la mission des Premiers ministres technocrates consistait à mettre en œuvre des mesures d'austérité. Ce qui avait tendance à saper rapidement le soutien politique dont ils bénéficiaient. Depuis 1993, leur espérance de vie politique a été de seize mois seulement. En revanche, M. Draghi jouit d'une fenêtre d'opportunité sous la forme de coûts d'emprunt plus faibles et d'un soutien politique en faveur des dépenses budgétaires.

En juillet 2020, l'Union européenne s'est entendue sur un fonds de relance pandémique d'une valeur de 750 milliards d'euros. Pour la première fois, cet accord a conféré à son exécutif, la Commission européenne, le pouvoir d'émettre de la dette pour le compte des États membres. L'Italie et l'Espagne sont les principaux bénéficiaires de ce plan de relance.

D'ici fin avril, le nouveau gouvernement italien devrait présenter à la Commission européenne un plan de dépenses pour les 209 milliards d'euros en provenance du fonds de relance et alloués sous forme de subventions et de prêts. Ce montant équivaut à 10% du PIB national. En réponse à la crise, le pays a déjà pris des mesures budgétaires représentant environ 5% du PIB de 2019. Ces initiatives pour contenir la pandémie devraient ramener la dette publique à quelque 160% du PIB en 2021.

D'autres États membres, dont les gouvernements des « quatre frugaux », à savoir l'Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède, qui l'année dernière ont résisté à un soutien plus généreux, seront attentifs aux signes indiquant que l'Italie dépense l'argent avec sagesse. À leurs yeux, cela impliquerait des dépenses en infrastructures et des efforts pour développer une économie qui a stagné durant plus de deux décennies, allant jusqu'à menacer occasionnellement la stabilité de la monnaie unique.

Un nouveau leadership européen ?

En août 2020, M. Draghi a présenté la pandémie comme une opportunité pour utiliser le budget de l'UE de 1 100 milliards d'euros sur sept ans et le fonds de relance, tant au niveau national qu'au niveau de l'Union, afin de stabiliser et renforcer les économies. Il a ajouté que des niveaux d'endettement élevés ne seraient soutenables que s'ils étaient « employés à des fins productives », tels que des investissements publics dans le « capital humain » et les « infrastructures cruciales pour la production ».

Lors de la crise de la dette souveraine de la zone euro en 2012, M. Draghi a nécessité l'appui de la chancelière allemande Angela Merkel pour sauver l'euro. L'Allemagne est désormais en transition vers un nouveau leadership, Mme Merkel étant sur le point de quitter son poste de chancelière en septembre. Cela pourrait permettre à M. Draghi de positionner l'Italie plus près du centre du leadership stratégique européen, en liaison avec la vision du président français Emmanuel Macron pour une Union européenne plus fédéralisée.

L'année dernière, le discours de M. Draghi est allé encore plus loin. Il a proposé de renforcer le fédéralisme européen, en suggérant que la dette et le budget communs « formaient la base pour l'élaboration d'un ministère commun du Trésor ». Le leadership de l'Italie en termes de réformes structurelles, en avance sur les changements en France ou en Allemagne, donnerait une légitimité au plan de relance de l'UE. Ce qui pourrait à son tour avoir des conséquences permanentes sur l'architecture fiscale de l'Union.

Les attentes politiques et économiques à l'égard du nouveau Premier ministre italien sont élevées. M. Draghi a l'opportunité de tracer un parcours de croissance à long terme pour l'Italie et de consolider le projet européen à un moment historique.

Reste à savoir si son leadership sera plus qu'une simple nomination intérimaire. Il se peut également que conformément à la « théorie du grand homme » lancée par l'historien du XIXe siècle Thomas Carlyle, qui met l'accent sur l'impact des individus, les observateurs attendent trop d'un technocrate qui s'attaque à une récession pandémique et à un paysage politique complexe.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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