Ce que Trump doit savoir sur l’économie américaine

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Par Stéphanie Villers Publié le 22 novembre 2016 à 5h00
Donald Trump Etats Unis Situation Economique
@shutter - © Economie Matin
1 000 milliards $Donald Trump veut investir 1 000 milliards de dollars dans la modernisation des infrastructures américaine.

Le programme économique de Trump repose sur le développement des infrastructures et sur la ré-industrialisation.

Si la modernisation des routes, des ponts ou encore des réseaux électriques s’impose aux Etats-Unis, reste que la révolution technologique entraîne une mutation économique qui ne peut être ignorée et qui recèle un potentiel de croissance à développer. Or, c’est la dépense publique américaine en R&D qui a financé ces innovations. Une suppression du financement public dans les projets de recherche pourrait porter un coup d’arrêt brutal à la croissance de long terme.

Donald Trump rêve d’une Amérique industrielle où les machines et les ouvriers redynamiseraient une économie devenue peu productive. L’emploi est pourtant là, le taux de chômage est à un niveau proche du plein-emploi mais cette nouvelle ère économique dans laquelle se sont engouffrés les Etats-Unis, semble avoir laissé sur le bas-côté une partie de travailleurs américains. Selon Trump, il est possible de ressusciter les emplois des Etats industriels du Middle West et de fermer les frontières pour protéger les américains de la concurrence déloyale des bas salaires issus des pays émergents. Voilà pour son pitch de campagne.

A son arrivée à la Maison Blanche, il va être confronté à une toute autre réalité. L’ancrage de la croissance américaine à des niveaux plus faibles que par le passé s’explique en partie par la baisse de la productivité. L’appareil productif aux Etats-Unis s’est grippé. Cette perte d’efficacité de la production a de multiples raisons. Les entreprises du secteur privé ont préféré soutenir la valorisation de leurs cours de bourse plutôt que d’investir dans l’appareil productif. L’envolée des indices boursiers américains depuis la crise de 2008 l’atteste. Le S&P500 a été multiplié par trois en moins de dix ans. Ensuite, le net recul des investissements publics dans la recherche a constitué un réel frein à la croissance.

Des ponts pour colmater les brèches de la croissance

Aujourd’hui, Trump s’engage à investir 1.000 milliards de dollars sur dix ans dans le développement des transports, du traitement de l’eau, des réseaux électriques et des télécommunications. Il prévoit ainsi la création de milliers d’emplois dans la construction, dans la sidérurgie et dans les infrastructures au sens large. Pour autant, si la modernisation s’impose pour restaurer les routes, les ponts, les réseaux électriques, reste que la révolution technologique qui s’opère depuis une vingtaine d’années entraîne une mutation économique qui ne peut être ignorée et qui recèle un potentiel de croissance à développer. La prospérité économique dépend du développement des secteurs innovants portés par le numérique et les technologies du futur. Or, proposer un retour vers plus de protectionnisme et un repli sur soi n’augure rien de bon pour la croissance. Rappelons que les Etats-Unis restent l’épicentre de cette révolution technologique. Et contrairement à ce qu’il est communément admis, ce ne sont pas les entreprises privées qui financent l’innovation, mais la dépense publique américaine qui constitue le bras financier de la recherche fondamentale à l’origine des innovations actuelles.

Révolution technologique : Sky is the limit

C’est bien parce que le département américain de la défense a financé les programmes de recherche à travers son agence responsable des technologies innovantes pour la défense, la DARPA (Defense Advance Research Projects Agency) qu’Internet a pu être créé et a pu se développer. Et l’innovation financée par les deniers publics américains ne s’arrête pas. S’ensuit le GPS aussi mis en place par le département de la Défense. Ce système utilisé au départ à des fins militaires a connu un succès commercial non négligeable. De même, l’affichage à écran tactile a été financé par des subventions de la CIA accordées à des chercheurs de l’université du Delaware. Sans oublier SIRI qui a bénéficié des financements de la DARPA.

Les Etats-Unis demeurent le moteur de la croissance mondiale grâce au financement public alloué à l’innovation et au progrès technique. Les GAFA ont ensuite surfé sur le potentiel offert par ces nouvelles inventions issues de la recherche fondamentale. A noter que les dépenses en R&D pour les grands groupes privés américains se concentrent davantage sur le développement (D) au détriment de la recherche (R). L’investissement public américain représente 60% des sources de financement de la recherche académique qui elle-même compte pour 60% de la recherche fondamentale américaine. Le très bon placement des universités américaines au niveau international le prouve.

Mais alors que le financement des nouveaux projets de recherche a été une des réponses apportées à la crise de 2008, ces fonds déclinent depuis 2013. ARRA (American Recovery and Reinvestment Act) a permis d’injecter 18 milliards de dollars supplémentaires dans les investissements fédéraux alloués à la recherche académique - atteignant $180 milliards en 2010. En 2016, la part du budget fédéral destinée à la R&D compte pour 3,4% du total, soit environ 145 milliards de dollars. Ainsi, les programmes de recherche dont dépend l’innovation américaine ont déjà subi une forte pression à la baisse depuis le second mandat de Barack Obama.

Ne pas se « trumper » de combat

Or, l’orientation qui sera donnée par le 45ième Président des Etats-Unis dans le financement de la R&D reste, pour l’instant, floue voire inquiétante, à en juger par quelques-unes de ses déclarations de campagne. Donald Trump a, notamment, proposé de réduire le nombre de visas H-1B permettant aux travailleurs qualifiés de résider aux Etats-Unis. Or, la demande de main d’œuvre étrangère à forte valeur ajoutée croit à mesure du développement des entreprises de la Silicon Valley.

Plus globalement, le programme économique du futur président qui repose sur des baisses massives d’impôts et sur la « ré-industrialisation » des Etats-Unis, n’apportera pas le soutien nécessaire au progrès technique qui détermine le potentiel de croissance à venir. Les mesures proposées par Trump ne représentent qu’un saupoudrage conjoncturel qui stimulera artificiellement l’activité, creusera durablement les déficits et qui, surtout, ne créera pas les conditions d’un développement pérenne de la croissance.

Les entreprises, même avec un recul conséquent de leur taux d’imposition de 35% à 15%, ne vont pas s’engager dans des projets de recherche à long terme. La R&D privée ne prendra pas le relais de celle du secteur public. Les innovations requièrent des investissements sur plusieurs années voire sur des décennies. Les sociétés privées, même celles spécialisées dans le private equity, ne sont pas prêtes à investir sur le très long terme. Le retour sur investissement est attendu dans un délai beaucoup plus restreint. Ainsi, seuls les fonds publics financent durablement la recherche. La dépense publique américaine en R&D a porté la révolution technologique jusqu’à présent. A charge pour le nouveau Président de ne pas tuer la croissance dans l’œuf.

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Stéphanie Villers est économiste.

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