Réflexions sur une disparition de la Zone Euro

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Par BSI-Economics Publié le 13 août 2015 à 4h21
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14%la Zone Euro représente près de 14 % du PIB mondial

Depuis la crise des dettes souveraines en Zone Euro, la possibilité d’une sortie d’un ou plusieurs pays de la Zone Euro, voire d’un éclatement de celle-ci, a acquis une réalité nouvelle, presque tangible. Les évènements récents viennent souligner, s’il en était encore besoin, l’actualité de ces questions et l’importance de la part politique dans la construction de la Zone Euro. Les débats actuels démontrent également l’incertitude qui règne face aux conséquences qu’aurait la sortie d’un Etat membre de la Zone Euro, voire l’éclatement de cette dernière.

Les défenseurs d’un retour aux monnaies nationales estiment généralement qu’en réintroduisant celles-ci, le manque de compétitivité dont peuvent souffrir ces économies (éventuellement du fait d’un euro surévalué et inadapté aux fondamentaux économiques) pourrait être combattu, notamment par une dévaluation nominale aujourd’hui impossible. Cela leur permettrait de soutenir de leur activité économique[1] et de regagner des parts de marché sur le commerce international en améliorant leur compétitivité-prix. Il est parfois avancé, dans le débat public, qu’un retour aux monnaies nationales pourrait être organisé de manière coordonné, en un seul week-end par exemple, ce qui limiterait à la fois l’incertitude et la possibilité d’une crise déstabilisatrice. Une telle approche doit être nuancée.

Au-delà des conséquences liées à la sortie de tel ou tel pays de la Zone Euro, conséquences qui dépendraient notamment de la taille occupée par ce pays au sein de la zone, cette contribution cherche à préciser certains des éléments de réponse aux vastes questions liées à l’éclatement de la Zone Euro, sans pour autant formuler de conclusions définitives, tant les inconnues paraissent encore nombreuses.

Une dissolution de la Zone Euro : un exercice inédit

Economiquement, le poids de la Zone Euro est tel que son éclatement constituerait un évènement exceptionnel. Cela est vrai tant par son importance relative (la Zone Euro représente près de 14 % du PIB mondial) que par son interconnexion au sein des marchés économiques et financiers (elle est très intégrée dans le système financier international, où l’euro a su s’imposer comme une monnaie de réserve). Enfin, la mobilité des capitaux entre les pays de la Zone Euro est forte, ce qui participe à la création d’un système intriqué.

L’éclatement de la Zone Euro serait également un fait sans précédent dans l’histoire des dissolutions d’unions monétaires. Dans l’ensemble, les exemples historiques concernent des économies de petites tailles, avec des marchés financiers moins développés et moins intégrés que peuvent l’être ceux de la Zone Euro (comme dans le cas des anciennes puissances coloniales avec leurs colonies par exemple). Surtout, ces unions monétaires diffèrent par leur construction institutionnelle, moins aboutie que celle de la Zone Euro où tout le pouvoir monétaire appartient à la banque centrale européenne, indépendante.

Le caractère unique de la Zone Euro, tant économique qu’institutionnel, est mis en avant par certains économistes[2]. Ainsi, les conséquences globales d’un démantèlement de la Zone Euro apparaissent difficiles à déterminer à la lumière des expériences du passé. Par ailleurs, les points communs entre les précédentes dissolutions d’union monétaires ne sont pas encourageants (fuite de capitaux, spoliation des détenteurs de monnaie, etc.). Il convient donc de ne pas minimiser les inconnues juridiques et économiques qui résulteraient d’un démantèlement de la Zone Euro, qui occasionneraient vraisemblablement une très forte incertitude à la fois sur les marchés financiers mondiaux mais également sur le plan domestique.

Une transition nécessairement complexe

Dans une économie moderne, l’introduction d’une nouvelle monnaie requiert une préparation longue et coûteuse. L’introduction de l’euro a pris plusieurs années. Elle a requis une adaptation contraignante, notamment des systèmes informatiques nécessaires aux règlements des transactions courantes. Il est toujours possible d’imaginer les modalités pratiques d’une telle transition mais elle serait en réalité compliquée à mettre en œuvre, plus encore si elle se faisait sur une période courte, et renfermerait un fort potentiel de déstabilisation économique et social. Enfin, l’introduction d’une nouvelle monnaie et la conversion des contrats domestiques (salaires, avoirs bancaires des ménages et entreprises résidentes, paiement des impôts, etc.) nécessiteraient certainement une délibération démocratique.

Le traité de fonctionnement de l’UE ne prévoit en outre pas la possibilité d’une sortie de la zone l’euro. L’impossibilité juridique[3] ne serait sans doute pas déterminante en cas de forte volonté politique. Elle signifie toutefois qu’une disparition de l’euro entraînerait nécessairement un long processus de négociation entre Etats Membres. En l’absence d’une procédure établie et compte tenu des enjeux (en raison par exemple de la conversion de nombreux contrats transfrontaliers), il est difficile d’imaginer qu’un démantèlement (que ce soit sous forme de zones ou un démantèlement complet) de l’ensemble de la Zone Euro puisse intervenir en un week-end. La longueur et la difficulté des négociations qui s’ensuivraient constitueraient alors une nouvelle source d’incertitude pour les marchés financiers et les agents économiques, pouvant favoriser l’apparition de comportements de précaution, peu favorables à l’activité économique.

Certaines évaluations[4] font l’hypothèse que la transition vers un monde où ne coexisteraient plus que des monnaies nationales s’opérerait de manière coordonnée et sans impact négatif sur les marchés financiers. Le seul effet économique étudié dans ces évaluations est généralement la dévaluation de la nouvelle monnaie nationale et les bénéfices attendus d’une monnaie plus faible. Par construction, et au vu des élasticités-prix des importations et des exportations, le retour aux monnaies nationales conduit à des gains de compétitivité, à l’augmentation des exportations et donc soutient l’activité économique. Les résultats de ces études concluent alors à un effet bénéfique sur la croissance de l’activité ou sur l’emploi. Toutefois, les coûts de transition peuvent être élevés. Ils sont néanmoins peu présentés[5]. En réalité, la transition vers un nouvel équilibre serait potentiellement très coûteuse. En fait, ces démonstrations font abstraction des dynamiques liées à la transition. Elles comparent, dans un cadre simplifié, deux situations avec deux valeurs différentes pour la variable « taux de change ». Cependant, il n’est pas certain que la situation d’équilibre final soit celle que ces modèles mettent en avant, l’économie pouvant converger vers un autre équilibre.

Les effets probables de cet éclatement

La dévaluation provoquerait certainement une crise financière. Elle obligerait alors les Etats à faire défaut et conduirait à des faillites dans le secteur financier.

La disparition de la Zone Euro pourrait se traduire par des crises souveraines. Au cas de la France, la part de la dette publique française détenue par les non-résidents est de plus de 60 %. Si ceux-ci s’attendent à une forte dévaluation du (nouveau) franc suite à l’éclatement de la Zone Euro, ils vendraient massivement leurs titres souverains français, déclenchant une crise souveraine. Les banques domestiques, elles-aussi contraintes (cf. infra) ne seraient pas en mesure de compenser ce retrait des investisseurs extérieurs. L’Etat ne pourrait alors plus se financer sur les marchés et faire face à ses engagements. Ce scénario pourrait se répéter pour les autres Etats-Membres quittant la Zone Euro et susceptibles de faire l’objet d’une dévaluation (Grèce, Italie, Espagne), provoquant une vague de défauts souverains affectant sévèrement les banques européennes[6], et cela d’autant plus que les banques détiennent une large part des obligations souveraines émises par les Etats. En effet, en Italie, au Portugal ou en Espagne, la dette publique domestique représente désormais entre 6 % et 10 % de l’actif total des banques. Ainsi, selon la BCE, les dettes souveraines de la Zone Euro détenues par les banques est supérieure de 30 % au niveau de fin 2011 et s’élève désormais à 1 750 Mds €, soit 5,75 % de l’actif total du secteur bancaire. Les chocs affectant ces titres souverains pourraient donc se traduire par de fortes perturbations des systèmes bancaires.

Une telle évolution pourrait également conduire à un arbitrage entre les différents pays de la Zone Euro. Bien qu’une part importante des capitaux doive être dirigée hors de la Zone Euro, les difficultés pratiques à mettre en œuvre des transferts sur une échelle aussi importante ainsi que la probable mise en œuvre de contrôles des capitaux tendront à limiter ces mouvements. Les différents Etats-Membres de la Zone Euro ne seraient alors pas égaux devant les investisseurs et ceux dont les finances publiques sont les plus saines, ainsi que ceux dont le quantum de dévaluation est estimé moindre, devraient être relativement moins affectés que les autres (phénomène dit de flight to quality). Ainsi, cet éclatement se traduirait certainement par une nouvelle fragmentation entre les différents Etats et perturberait également leur système financier.

Cette disparition affecterait également le système bancaire. De la même manière, les investisseurs non-résidents dans les banques françaises (soit environ 800 Mds € fin 2013) se retireraient de ces banques. Anticipant une dévaluation de leurs avoirs bancaires, les entreprises et les ménages français pourraient décider de les replacer dans des banques dont le pays verrait sa monnaie s’apprécier ; ou de retirer leurs avoirs en euros pour les thésauriser. Ceci occasionnerait un début de panique bancaire qui pourrait mener à l’effondrement du système bancaire[7]. Dans ce scénario, l’Etat n’aurait d’autre choix que de fermer les banques et introduire des contrôles des capitaux (ce qui s’est réalisé en Grèce au mois de juin 2015). Ceci pourrait dans une situation extrême conduire à des désordres sociaux.

Au-delà du risque de crise en cas de sortie de la Zone Euro, un retour aux monnaies nationales engendrerait des coûts économiques et financiers considérables, bien supérieurs aux bénéfices attendus, par ailleurs très incertains.

Un démantèlement de la Zone Euro décidé soudainement, ou qui interviendrait dans un climat économique, financier et politique chaotique serait perçu par les agents économiques comme un saut dans l’inconnu. Ceci donnerait lieu à des comportements de précaution (les entreprises retarderaient leurs investissements tandis que les ménages reporteraient les achats de biens durables) qui induiraient un arrêt du fonctionnement de l’économie et des destructions massives d’emplois.

Il existe également des risques liés à l’évolution des taux de change. Les fluctuations des monnaies excèdent fortement ce qui est justifié par les fondamentaux économiques[8]. En réalité, il est impossible de prévoir de combien une monnaie pourrait se dévaluer à l’avenir et dans quelle mesure la banque centrale serait en mesure de défendre une parité sans coûts pour l’économie (capacité qui dépendrait, entre autres, des réserves de change et des contrôles des capitaux mis en place). Lorsque l’Argentine avait abandonné son régime de change fixe en janvier 2002, le nouveau taux de change officiel était de 1$ pour 1,4 peso argentin – vs. 1 pour 1 auparavant. En juillet 2012, le taux de conversion était de 1$ pour 4 pesos argentin. Ceci implique mécaniquement une forte hausse des prix des biens importés, qui diminuerait le pouvoir d’achat des ménages et pèserait sur l’activité économique. En Argentine, sur la période 2002-2013, l’inflation officielle (les estimations privées dépassant fortement les estimations officielles depuis 2007) a été en moyenne de 11 % par an. La hausse de l’inflation neutraliserait en partie les gains de compétitivité produite par la dévaluation, en particulier si elle donnait lieu à une hausse des salaires.

Enfin, les dettes publiques ne représentent qu’une partie des créances et des dettes contractées par les agents économiques et les dettes privées seraient fortement affectées par une dévaluation. Concernant les dettes publiques, l’argument de la « lexmonetae » est mis en avant pour expliquer qu’une sortie de l’euro n’alourdirait pas significativement la dette publique. En cas de disparition totale de l’euro, les contrats émis sous le droit national pourraient alors être convertis en monnaie locale[9]. Or, comme la dette française serait en majorité gouvernée par le droit français, le renchérissement ne concernerait que la partie résiduelle.

En pratique, cet argument semble contestable. Au plan du droit, tous les créanciers seraient fondés à attaquer en justice au nom de la rupture de contrat si les dettes venaient à être remboursées dans une monnaie différente. Par ailleurs, la dette publique ne représente qu’une portion des dettes contractées vis-à-vis de l’étranger. Dans le cadre de leurs activités habituelles, les banques et les entreprises contractent également des dettes vis-à-vis de l’étranger, généralement sous droit étranger. Ces contrats ne seraient pas convertis et conduiraient, en cas de dévaluation, à une forte augmentation de la valeur réelle de la dette (elle représenterait en France 48 % du PIB pour le secteur privé[10]). Au niveau agrégé, ceci serait compensé par la réévaluation des actifs détenus sous loi étrangère, qui sont pour le secteur privé supérieurs aux dettes équivalentes. Mais la situation serait très différente au niveau microéconomique où les positions nettes vis-à-vis de l’étranger sont très hétérogènes. Il en résulterait de nombreuses faillites qui se répercuteraient, au travers de la chaîne de valeur, sur les entreprises qui ne sont pas exposées vis-à-vis de l’étranger (fournisseurs, etc.). Ce schéma se produirait également dans le scénario d’une conversion « concertée » des devises, à un taux de change hypothétique qui permettrait de limiter les risques. L’incertitude sur les expositions des agents économiques suffirait pour déclencher une crise de liquidité (assèchement du crédit, même temporaire) puis de solvabilité.

Et après ?

Au-delà des bénéfices économiques attendus de l’euro, il faut souligner que l’euro avait surtout été la réponse apportée aux failles des systèmes précédents. Ceux-ci étaient eux-mêmes la réponse apportée à l’effondrement du système de Bretton Woods et à la volonté de maintenir, entre pays européens, des changes stables (pour servir les besoins des politiques communes, du marché unique, et en raison de l’importance des échanges intra-européens). Ces systèmes souffraient des différences de préférences en matière de politique économique (aversion/capacité à contrôler l’inflation), qui conduisaient à des dévaluations fréquentes, des attaques spéculatives et à la subordination, de fait, à la politique monétaire de l’Allemagne et à ses objectifs internes de politique économique.

Le retour à un système de type SME ne permettrait pas de renouer avec une politique monétaire « indépendante ». Il n’y a aucune garantie qu’un système permettant de préserver l’objectif de stabilité entre devises européennes se traduise par une réappropriation de la souveraineté monétaire. Les décisions de politique monétaire devraient nécessairement être coordonnées et la marge de manœuvre au service des objectifs nationaux serait donc contrainte. Dans le cas contraire, le glissement des taux de change réels impliquerait des réévaluations régulières des parités dont il n’y a aucune raison de penser qu’elles aient lieu de manière consensuelle. Enfin, la proposition de retourner à la monnaie commune – c.-à-d. à un système d’organisation des monnaies européennes, afin d’éliminer les risques de guerre des changes – est en contradiction avec l’objectif de recouvrer la souveraineté monétaire et la liberté de dévaluer la devise nationale.

Conclusion

Au final, l’importance des difficultés liées à une sortie de l’euro rend nécessaire, dans la plupart des scenarios, une réflexion plus large sur le système économique actuel : une « véritable mutation de la place du secteur financier dans l’économie » (J. Sapir), le contrôle des capitaux, la renationalisation de la dette, le financement de la dette par la banque centrale, un plancher minimum de détention de dette publique par les banques, une stratégie « du choc »(F. Lordon), première étape de la sortie du capitalisme…Ainsi, les solutions proposées pour traiter ces difficultés impliquent des choix politiques et économiques dépassant alors largement le cadre de la monnaie commune et de l’Europe.

[1]Sous certaines conditions toutefois, et notamment selon l’importance des élasticités-prix des importations et des exportations.

[2]Cf. J. Nordvig, «  Rethinking the European Monetary Union », 2012

[3]Juridiquement, une sortie de la Zone Euro, non prévue par les traités, nécessiterait certainement une sortie de l’UE, prévue elle par les traités (voir notamment « Withdrawal and expulsion from the EU and the EMU : some reflections », BCE, 2009).

[4]Voir par exemple Jacques Sapir, 2013, « Les scénarii de dissolution de l’euro », fondation ResPublica.

[5]Ou sont évités et abordés comme des difficultés de 2ndordre, dont les effets peuvent être atténués (contrôle des capitaux)

[6]Avec un impact potentiellement massif sur l’économie et l’emploi

[7]En Grèce, lorsque le scénario de sortie de la Zone Euro est apparu possible suite aux résultats des élections au printemps 2012, les dépôts du secteur privé ont diminué de près de 9% entre fin mars et fin mai. Plus récemment, au cours du mois de juin 2015, de nombreux retraits ont eu lieu et des mesures ont dû être prises pour limiter les mouvements de capitaux (fermeture des banques, contrôle des capitaux).

[8]Voir notamment les thèses de Dornbusch sur les mécanismes de sur-ajustement.

[9]La lexmonetae ne donne pas droit à un Etat de « modifier à sa discrétion le libellé de sa dette sans en affecter la valeur nominale » (« Casser l’Euro Pour Sauver l’Europe »). Elle autorise un Etat à déterminer librement la valeur de sa monnaie, mais pas à modifier la monnaie de dénomination de ses dettes. Le lien entre créancier et débiteur reste un lien contractuel, et une modification unilatérale du contrat sans consentement de parties constituerait une rupture de contrat. Une règle d’ordre public qui imposerait la conversion des créances devrait obtenir l’aval du Conseil constitutionnel ; et pourrait très bien être rejetée au motif de l’atteinte grave au droit de propriété. La question pourrait se poser différemment si l’euro disparaissait totalement.

[10]Cf. J. Nordvig, « Rethinking the European Monetary Union », 2012

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