Les mots et les territoires de la Chine en Afrique

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Par Thierry Pairault Publié le 14 avril 2016 à 5h00
Chine Afrique Relations Langages
@shutter - © Economie Matin
54La Chine entretient des relations avec 54 pays d'Afrique.

Les mots peuvent créer des frontières, générer des espaces voire des territoires qui emprisonnent la pensée.

Ainsi, l’expression Chine-Afrique hiérarchise les rapports entre territoires (pourquoi ne parle-t-on jamais d’Afrique-Chine ?), suppose ipso facto que la Chine se trouve en face d’une entité constituée en un territoire homogène quasiment doté d’une autorité unique, et nie l’existence de relations bilatérales qui pourtant prédominent entre la Chine et 54 pays africains d’histoire, de richesses et de conjonctures économiques différentes. Dès lors que le raisonnement se censure ainsi, il devient aisé de dénoncer une stratégie chinoise monolithique à l’égard de l’Afrique, de fantasmer cette présence chinoise et d’en décliner les traits effrayants dans une nouvelle dystopie.

Plus détestable encore est le vocable Chinafrique qui capte la fiction précédente pour révéler un territoire néo-colonisé par des réseaux politiques, économiques et militaires qui lieraient la Chine à ses « colonies africaines » à l’instar de la Françafrique. Certes il ne faut pas nier que Pierre Falcone, installé à Pékin depuis 1988, ait pu parfois piloter cette Chinafrique, mais l’amalgame, en réveillant l’image d’une Afrique qui serait un territoire réservé à ses « partenaires traditionnels », entend disqualifier la présence économique chinoise sur l’autel de la bonne gouvernance, partant justifier a contrario que chacun veuille se réapproprier des territoires en un nouvel espace économique pour ainsi dire virginisé.

Les mots nourrissent aussi la pensée magique au risque d’engendrer l’illusion que les districts marshalliens seraient une panacée. Le miracle économique chinois est souvent attribué à ses zones économiques spéciales ; aussi nombre de pays africains ont-ils désiré que la Chine crée de telles ZES chez eux. Ce ne fut pas un émerveillement, loin de là, car c’était oublié que les ZES créées en Chine par la Chine, dans le cadre d’une stratégie intelligible de développement, ont servi à attirer des entreprises étrangères (i.e. occidentales) sélectionnées avec soin pour leurs hautes technologies et, prioritairement, en vue d’en exporter la production.

En revanche, les ZES créées par la Chine en Afrique servent à héberger des entreprises chinoises de main-d’œuvre en vue d’approvisionner le marché local. De surcroît, l’attribution de ces ZES chinoises en Afrique s’est faite en Chine par appels d’offres organisés par le ministère chinois du Commerce, aussi ces nouveaux territoires s’apparenteraient-ils moins à des zones franches qu’aux concessions étrangères que connut la Chine au XIXe siècle.

Dogmatismes, campagnes d’opinion, romantisme économique et leurs causalités débridées obèrent notre compréhension des nouvelles territorialités entre l’Asie et l’Afrique, entre la Chine et les pays africains. Or ces nouvelles territorialités augurent d’un monde où les territoires traditionnels s’effacent progressivement au profit de nouveaux espaces économiques imposant de nouvelles frontières.

Printemps de l’économie – Paris du 8 au 14 avril 2016

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Thierry Pairault, socio-économiste et sinologue, est directeur de recherche émérite au CNRS. Il est membre du Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (UMR 8173 « Chine-Corée-Japon ») de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales où il anime plusieurs séminaires dont un consacré aux « Présences chinoises en Afrique » en collaboration avec Jean-Jacques Gabas et Xavier Aurégan.

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