Dialogue social et entrepreneurs: le grand malentendu

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Par Eric Verhaeghe Publié le 3 septembre 2015 à 8h50
Travail Dialogue Social Regle Entreprise Administration
@shutter - © Economie Matin
33%Plus de 33% du temps de travail dans une entreprise est dédié à la gestion et l'administratif.

Je participe le 3 septembre 2015 à l’université d’été du MEDEF Alsace où j’interviens dans une table ronde sur le dialogue social. Cet événement me donne l’occasion de revenir sur la question du dialogue social dans les TPE et les PME.

La question du dialogue social dans les très petites entreprises (celles où je place les entrepreneurs…) constitue probablement la meilleure illustration des ambiguïtés que le patronat français cultive sur la gouvernance économique du pays. D’un côté, en effet, le monde patronal adore affirmer « qu’il y a trop de règles » (ce qui est vrai, particulièrement dans le droit du travail), et d’un autre côté, il refuse toutes les perches qui lui sont tendues pour substituer des normes d’entreprise dont il aurait la maîtrise aux absurdes normes nationales qui lui échappent complètement.

Les entrepreneurs ont besoin de normes adaptées

Tous les entrepreneurs le savent: une grande partie de leur temps et de leur productivité est absorbée par le choc de l’instabilité juridique. Toute réforme de la fiscalité, du droit du travail, du droit de la sécurité sociale (au sens large) entraîne en effet un temps d’apprentissage puis de mise en oeuvre qui constitue une contrainte lourde pour l’entrepreneur, surtout en temps de croissance zéro.

Un sondage Humanis-Odoxa l’a montré la semaine dernière: outre que plus du tiers du temps d’un entrepreneur est accaparé par des tâches de gestion, très peu d’entreprises seront prêtes, au 1er janvier 2016, à mettre en oeuvre les nouvelles règles qui leur sont applicables (compte pénibilité, généralisation de la complémentaire santé, contrats responsables, déclaration sociale nominative). Les faits montrent que, en moins de 30 mois, aucune réforme ne peut arriver raisonnablement jusqu’au salarié de la TPE.

Autrement dit, les changements annuels de règles condamnent les entreprises, faute de temps pour s’adapter, à vivre dans l’illégalité. C’est le meilleur argument que je connaisse pour plaider en faveur du développement des normes fixées au niveau de l’entreprise, sans intervention extérieure: faute de s’y mettre, l’Etat condamne ses entrepreneurs à partir ou à étouffer sous la charge.

On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure l’instabilité réglementaire n’est pas une stratégie de la technostructure pour tuer le Mittelstand français à petits feux.

L’entrepreneur a besoin de structurer son dialogue social

Pour porter une alternative crédible à l’excès de lois, l’entrepreneur a besoin de prouver qu’il est capable de respecter « l’intérêt général » du salarié afin de rendre caduque l’intervention du législateur. C’est évidemment ici que les problèmes se compliquent, puisque deux types d’argument me seront opposés.

Premier type: l’entreprise est là pour produire et dégager de la plus-value, pas pour établir le règne de l’intérêt général. Sans doute, mais il n’en demeure pas moins que, comme toute communauté humaine, elle a besoin de règles claires et stables, qui font accord à défaut de consensus, pour fonctionner au jour le jour. C’est d’ailleurs l’une des explications du mal-être français aujourd’hui: faute de disposer de telles règles, les Français râlent et contestent.

Si l’entreprise veut s’émanciper du code du travail et donc sortir de son lancinant « il y a trop de règles et trop d’Etat », elle doit développer ses propres garde-fous internes. De ce point de vue, seul un dialogue social structuré permettant de bâtir des accords collectifs solides permettra de justifier un renoncement du législateur à intervenir sur tout et n’importe quoi.

Deuxième type d’arguments, largement utilisés lors de la négociation infructueuse sur le dialogue social: l’entrepreneur pratique le dialogue social au quotidien dans sa TPE, avec ses salariés qu’il voit tous les jours.

Sur ce point, les patrons qui ont développé ce discours ont eu de la chance de ne pas avoir à faire à des syndicalistes qui connaissent l’entreprise. Car il y a une différence de fond entre une somme de relations individuelles informelles au sein de l’entreprise, et la mise en place d’un dialogue collectif formalisé préparant des accords en bonne et due forme.

C’est précisément cette formalisation-là dont la TPE a besoin pour pouvoir contenir l’intervention de l’Etat dans son fonctionnement.

Le dialogue social dans les TPE, est-ce compliqué?

Sur ce point, je comprends bien évidemment la préoccupation des entrepreneurs qui ne veulent pas se retrouver avec un emploi du temps plombé par des formalités incompréhensibles destinées à organiser le dialogue social. La revendication d’un système simple me paraît ici de bon sens.

C’est pourquoi j’ai toujours proposé d’adopter une ligne simple: la généralisation du mandatement, qui permet de négocier un accord collectif (même dans une entreprise comptant un seul salarié) sans section syndicale. Ce système à l’avantage d’une extrême simplicité et d’une extrême souplesse. La seule contrainte de bon sens me paraît devoir être la validation de l’accord ainsi négocié par une commission paritaire de validation – formalité que la loi Rebsamen a supprimée, et c’est une erreur, car elle ouvre la porte au grand n’importe quoi.

Voilà bien notre problème: entre l’extrême étatisation et la dérégulation à outrance, la France trouve parfois difficilement la posture d’équilibre qui permet d’inscrire les solutions dans le temps.

Article initialement paru sur le blog d'Eric Verhaghe : www.eric-verhaeghe.fr

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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