La création d’emplois, a fortiori la réduction du chômage, ne devraient pas être des objectifs de politique économique.
Alfred Sauvy, économiste de gauche pourtant, allait même jusqu’à dire que dans le processus de création de richesse l’emploi devait plutôt être considéré comme un « passif ». L’emploi n’est en fait que la résultante d’une politique économique intelligente, qui ne permet la satisfaction d’un nombre croissant de besoins humains au moyen d’une production croissante qu’au prix, si l’on suit la logique provocante de Sauvy, de la création d’emplois nouveaux ou supplémentaires. La réduction du chômage n’est, quant à elle, que la conséquence de cette résultante. Ce n’est que par l’augmentation du taux d’occupation de la population active que le chômage partiel ou total peut être réellement réduit. Le traitement social du chômage ne fait que cacher la misère sous le tapis. Quant au traitement statistique des chômeurs, placés par exemple « en formation », il ne change que les apparences, même si cela semble suffire à la plupart des journalistes économiques, qui ont validé en novembre 2016 l’inversion de la courbe du chômage annoncée par la présidence.
Il en résulte, symétriquement, que la destruction d’emplois, fussent-ils publics c’est-à-dire ne relevant pas de la logique décrite ci-dessus, ne devrait pas non plus être un objectif de politique économique. Il ferait beau voir d’ailleurs que les administrations publiques s’inspirent tout à coup des politiques has been de cost cutting de grands groupes privés destinées à rétablir au plus vite la valeur actionnariale au détriment de l’avenir à long terme de l’entreprise. Le constat partageable selon lequel la part d’emplois de la fonction publique (sans parler du secteur public, marchand ou non marchand) dans l’ensemble des emplois de 25 % est en France largement plus élevée que dans les pays de niveau de développement comparable n’y change rien, même si ce différentiel ne dépend pas seulement d’un partage public-privé spécifique, mais relève d’une sorte de tropisme national trans-partisan en faveur de l’emploi public plus accentué encore à gauche (qui a créé deux nouvelles fonctions publiques à côté de la fonction publique d’Etat) qu’à droite.
Pour résorber ce surdosage d’emplois publics, dont les fonctionnaires ne sont pas eux-mêmes responsables, il est crucial de prendre le problème à l’endroit et de ne pas braquer les fonctionnaires contres des réformes auxquelles beaucoup d’entre eux aspirent légitimement au nom de l’intérêt général. Le seul objectif économique pertinent, socialement acceptable et mobilisateur pour la fonction publique, consiste en une recherche résolue de l’efficacité maximale de l’entreprise de services publics qu’est l’Etat au sens large, c’est-à-dire dans l’amélioration constante du rapport qualité / coût du service public, sans focalisation exagérée sur le dénominateur, c’est-à-dire sur les effectifs, et sans oublier le numérateur, c’est-à-dire la qualité du service rendu à la population, qui est la finalité même du service public. Le guide opérationnel de cette politique qui prendra du temps est la recherche de la stricte complémentarité des services publics au sens large, autrement dit la chasse systématique aux doublons, en particulier à l’intérieur de l’ensemble des collectivités territoriales et entre celles-ci et les services extérieurs de l’Etat.
Cette complémentarisation des services publics doit se faire de manière volontariste à l’occasion de la numérisation en cours des activités tertiaires, qui représente le grand espoir du 21 ème siècle en rendant possible le service direct et en temps réel de l’usager / client par l’administration. Elle implique un mixte savant de choix nationaux structurants (si l’on voulait par exemple confier la distribution du RSA aux CPAM) et de grande décentralisation dans la mise en œuvre de cette politique de performance globale sous l’égide des préfets et sous-préfets les mieux à même, de jouer, dans un contexte d’émulation par les bonnes pratiques, le rôle d’ensembliers sur le terrain, car le niveau départemental reste, quoi qu’on en dise, l’échelon pivot de l’organisation administrative nationale et le bon échelon de proximité, si l’on veut éviter de couper le muscle avec le gras. Il en résulterait assurément, à condition de consentir les efforts d’investissement en ressources humaines et en informatique nécessaires, d’une part une forte reconnaissance des citoyens bénéficiaires de la réduction de l’abus d’impôt par quoi se traduit toute inefficience publique durable, d’autre part une forte diminution des frais généraux, des déficits et des emplois publics. Chiffrer à l’avance ces économies budgétaires et d’emplois peut être utile à titre régulateur et estimatif, mais est moins important que de créer le mouvement dans le sens de l’intérêt général en impliquant l’ensemble des acteurs et en mobilisant l’intelligence collective des personnels dans toutes les structures concernées. Les départs massifs en retraite des baby-boomers constituant une véritable fenêtre d’opportunité pour grandement alléger le coût social de cette réorganisation des administrations publiques.
La réussite, pour les citoyens comme pour les agents des services publics, d’un réaménagement en profondeur, a pour condition l’affichage, et le respect dans la durée, d’une règle sociale très claire au départ : aucun poste ne sera supprimé sans que l’on trouve pour le fonctionnaire concerné un reclassement de proximité sans réduction de rémunération, dans un autre service extérieur, une collectivité publique, une association ou une entreprise, selon ses propres préférences et avec un volet de solutions financières adaptées aux divers cas. Ce n’est qu’à cette condition que tout le monde acceptera de jouer le jeu sans restriction mentale et qu’une mobilisation humaine inattendue pour la cause publique pourra se manifester, loin de toute passion négative.