Réflexion sur la désindustrialisation de la France

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Par Sylvain Fontan Publié le 11 décembre 2013 à 13h06

Contrairement au reste du monde, la France a une croyance ancienne et profonde que l'Etat est le seul acteur à avoir la capacité de pouvoir guider l'économie nationale. L'idée sous-jacente est que l'Etat stratège effectue de meilleurs choix que le marché, aboutissant ainsi à un pays particulièrement étatisé. A cet égard, l'analyse de la désindustrialisation française souligne que l'Etat devrait se borner à organiser un cadre permettant aux agents économiques d'évoluer librement.

Origines et enjeux stratégiques liés à la désindustrialisation

La disparition d'une stratégie industrielle en France date des années 70. En effet, au-delà des raisons purement économiques, il y a également des éléments historiques et géoéconomiques qui expliquent la désindustrialisation française:

  • Le milieu des années 1970 marque la fin des politiques visant à installer un système pouvant stimuler l'industrie. A cette époque, le commissariat général du plan arrête son soutien à l'industrie électronique, et donc également les autres secteurs d'activité gravitant autour. La disparition de cette vision stratégique provient, d'une part, de l'amoindrissement de la pensée gaulliste qui cherchait notamment à mener une politique industrielle et à la pérenniser et, d'autre part, de la perte d'appétence de la part de firmes multinationales par ce type approche.

  • Parallèlement, ce phénomène est lié à la situation géoéconomique des Etats-Unis. En effet, à cette époque, les Etats-Unis sortent de la guerre du Vietnam et voient réapparaître l'Europe et l'Asie sur l'échiquier économique mondial. Après une phase de reconstruction, ces deux zones apparaissent comme des acteurs économiques importants. Or, les Etats-Unis étaient en pleine guerre froide contre l'Union Soviétique. Dès lors, la montée en puissance de deux nouveaux compétiteurs n'était pas forcément dans l'intérêt direct des Etats-Unis. Ainsi, ce pays a poussé à l'introduction dans la culture de ces pays (et donc de la France) la perte d'intérêt pour les questions liées aux intérêts nationaux de long terme.

Au final, la France est entrée dans une phase de guerre économique sans se doter des outils d'intelligence économique adéquats pour y faire face.

Au premier abord, les implications stratégiques sont importantes. En effet, même si les raisons sont plus larges que la désindustrialisation elle-même, la France a connu une diminution de sa sphère d'influence et ce, face à des pays tels que les Etats-Unis (300 millions d'habitants), la Chine (1,3 millions d'habitants) et l'Allemagne qui s'est parfaitement intégrée dans la globalisation. La France est maintenant devenue un "satellite" de ces pays. Les raisons sont multiples mais force est de constater que les élites françaises et la population se sont installées dans une situation qui aboutit à rejeter tout changement en oubliant que son "confort" actuel est le fruit d'efforts antérieurs et que son bien-être n'est jamais acquis mais demande des adaptations perpétuelles.

Alors qu'après la seconde guerre mondiale la France a relancé sa production via un Etat stratège pour répondre à un besoin de reconstruction et de rattrapage, avec la globalisation le cadre ne peut nécessairement plus être le même et l'enjeu actuel est de définir une stratégie pour que ce pays puisse continuer à exister sur la scène internationale.

La désindustrialisation : une réalité complexe

La désindustrialisation est un phénomène généralisé au sein des pays développés. En effet, même en Grande-Bretagne, qui correspond pourtant au berceau de la révolution industrielle, la part des emplois industriels manufacturiers n'est plus que d'environ 10%, alors que cette part avait atteint un pic d'environ 50% à la veille de la première guerre mondiale. La même évolution est visible au Etats-Unis (malgré une récente ré-industrialisation), en France (où la part de l'industrie dans le PIB est passée de 35% en 1970 à moins de 20% actuellement. L'Allemagne connait également ce phénomène et ce, malgré le fait que ce pays ait toujours été beaucoup plus industrialisé que la moyenne. Même les pays émergents comme l'Inde, la Chine ou le Brésil connaissent cette évolution. Toutefois, et contrairement aux pays développés, les pays émergents ont connu une industrialisation beaucoup plus tardive et rapide, mais leur désindustrialisation (même relative) a également commencé beaucoup plus tôt au regard de leur développement économique.

Le processus de désindustrialisation doit être relativisé. En effet, la désindustrialisation ne signifie pas la diminution de la production industrielle. En d'autres termes, malgré une diminution de la part de l'industrie dans le PIB, le volume total de production reste stable, mais il diminue relativement en pourcentage de la richesse totale produite. Deux phénomènes expliquent cette évolution :

  • Tout d'abord, il convient de citer la productivité qui s'est améliorée. Autrement dit, le même résultat est obtenu avec une quantité de travail moindre.
  • Ensuite, les industries manufacturières traditionnelles sont le textile, la sidérurgie ou encore l'automobile, et constituent la base de développement des économies développées. Or, un pays comme la France est passé d'une société agraire et rurale (secteur primaire) à une société industrielle et urbaine (secteur secondaire), où l'agriculteur et devenu ouvrier. Toutefois, l'évolution économique moderne fait que les services (secteur tertiaire) occupent une place de plus en plus importante.

  • De plus, l'évolution de la structure économique fait que des activités qui étaient auparavant comptabilisées dans l'industrie (secteur secondaire) le sont dorénavant comme services (secteur tertiaire), participant ainsi à la diminution statistique de l'industrie dans le PIB français.

Implications pour la France

L'évolution vers les services constitue une opportunité pour la France. En effet, la France a un avantage comparatif dans de nombreuses activités de services (ex : le numérique). Dans ce cadre, il apparait qu'il est une erreur de vouloir maintenir à tout prix l'ensemble des pans de l'industrie en France, au détriment du développement des secteurs d'activité du futur pour préparer la prochaine révolution industrielle (biotechnologie, nanotechnologie...). Au cours des années 80, la France avait déjà voulu maintenir un certain nombre d'activités pour finalement se résoudre à devoir les abandonner. Egalement, la peur d'un pays sans industries raisonne comme l'époque où le pays craignait la disparition des paysans avec la révolution industrielle, pensant que son avenir ne pouvait s'envisager que sous le prisme des schémas anciens.

Pratiquement, l'Etat français doit arrêter de subventionner mais laisser vivre l'écosystème. En effet, la distribution de subventions renvoie à de l'argent public dont la quantité est appelée à se raréfier et qui sert trop souvent à subventionner des secteurs non rentables (retour sur investissement négatif) et voués à disparaître. De plus, cet argent public correspond à d'autant moins pour investir dans les emplois de demain. Toutefois, cette stratégie n'est pas visible politiquement et médiatiquement. Or, il conviendrait de laisser les agents économiques libres d'évoluer dans un cadre réglementaire qui leur permettrait de pouvoir ouvrir et fermer des usines selon des calculs économiques bénéfiques pour la collectivité, plutôt qu'ils soient l'effet de calculs politiques liés à des intérêts particuliers, électoraux, corporatistes... Ce capitalisme de connivence n'est pas une corruption au sens propre mais une corruption intellectuelle malsaine et un dévoiement de l'intérêt collectif de long terme. Au final, l'enjeu est de pouvoir gérer politiquement et socialement une évolution à laquelle la France n'a pas été préparée en amont, ni dans les discours politiques, ni dans la pédagogie d'ensemble.

Retrouvez d'autres décryptages économiques sur le site de Sylvain Fontan : www.leconomiste.eu

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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