Le désendettement des entreprises : avantages et risques

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Par BSI-Economics Publié le 12 mars 2013 à 5h57

Déficit, dette publique, réduction des dépenses, austérité… Voilà des concepts qui alimentent l’actualité économique de la Zone Euro, quasiment quotidiennement, depuis le début de la crise fin des années 2000. Virulemment combattue pendant les années précédant la crise, encadrée par des textes (de manière plus ou moins efficace), « l’ennemi public numéro un », la dette publique a été au centre de toutes les attentions… au point de négliger la dette du secteur privé et plus particulièrement l’endettement des entreprises.

De l’Espagne au Pays-Bas, en passant par le Portugal l’Irlande ou l’Italie, l’endettement des entreprises a été un élément déterminant dans la crise[1]. Cela est d’autant plus manifeste pour l’Espagne, certes élève vertueux de la Zone Euro en termes de finances publiques au cours des années 2000, mais où l’accumulation de crédits (hausse de 132% entre 2000 et 2006) et l’endettement excessif des entreprises (surtout dans le domaine de la construction) ont été suffisamment importants pour mettre en danger l’économie espagnole dans son ensemble[2].

Les entreprises espagnoles, au centre du désendettement privé en Zone Euro

Depuis 2010, les entreprises espagnoles sont entrées dans une phase de désendettement. Au vu des récents chiffres disponibles, ces dernières semblent être engagées sur la bonne voie, en réussissant à purger progressivement leur stock de dette, plus rapidement que ses voisins irlandais, portugais ou néerlandais : le ratio dette sur PIB a perdu 6 points de PIB entre le premier trimestre 2010 et celui de 2012, contre une variation de -1 point en moyenne pour les trois autres pays cités. Sur la même période, en termes de purge du stock de dette, une baisse de 3% a été enregistrée en Espagne contre une moyenne proche de 0 pour les autres pays dits de la périphérie (Irlande, Portugal, Grèce et l’Italie). Certes en niveau, le stock de dette reste élevé (le ratio dette sur PIB était de 122% en Espagne, contre 81% en Italie, 168% en Irlande et une moyenne de 101% en Zone Euro) mais un niveau optimal ne pouvant être déterminé, seul le rythme de la réduction de la dette permet de juger des efforts entrepris par l’Espagne.

Comment les entreprises espagnoles sont parvenues à de tels résultats ? La hausse du taux de marge (EBE/VA) et la hausse de la valeur ajoutée ont été rendus possibles par des gains de productivité.

La répartition de la valeur ajoutée a été déformée entre la masse salariale brute et l’Excédent Brut d’Exploitation (EBE). La masse salariale brute a été réduite par une baisse des cotisations patronales et une contraction du nombre d’employés (une grande partie des contrats temporaires). La diminution de la masse salariale brute a ainsi diminué les coûts salariaux par unité produite (baisse de la rémunération salariale brute, à niveau de production inchangée) et augmenté la productivité par tête (réduction du personnel, à niveau de production inchangée). L’augmentation du taux de marge a été mécaniquement obtenue par une baisse en niveau de la masse salariale brute.

De 2008 à 2009 l’activité conjoncturelle a provoqué une contraction de l’activité économique d’où une baisse de la production qui a contribué plus fortement que les consommations intermédiaires à une réduction de la valeur ajoutée. A partir de 2009, la reprise de l’activité s’est accompagnée de mesures fiscales qui ont stimulé une baisse du coût des consommations intermédiaires. La croissance de la valeur ajoutée a ainsi été supérieure à la croissance de la production.


La croissance du taux de marge, supérieure à la croissance de la valeur ajoutée, a été utilisé par les entreprises espagnoles pour se désendetter (entreprises exportatrices ou non exportatrices) et pour baisser les prix sur le marché international (entreprises exportatrices). Cette seconde solution a permis de maintenir les parts de marchés en Espagne et stimuler la demande extérieure.

Cette évolution ajoutée à l’ajustement par l’emploi a permis une augmentation de 35,6% de l'EBE [3] entre 2006 et 2011. Face à un système bancaire en crise, incapable d’alimenter l’économie réelle en crédit et face à des marchés agités (sur lesquels les primes de risque ont été largement revues à la hausse), les sources de financement externe se sont considérablement taries. Les entreprises se sont alors appuyées sur leurs marges, pour épargner davantage et ainsi s’autofinancer (taux d’autofinancement supérieur à 100% depuis 2010) et se désendetter.

Globalement en termes de trajectoire, l’Espagne est bien le pays qui purge actuellement le plus efficacement son stock de dette et tous les espoirs reposent maintenant sur un retour de l’investissement qui enclencherait le cercle vertueux suivant :

Il est très difficile pour autant de savoir si les pays de la Zone Euro et plus particulièrement l’Espagne (qui semble avoir amorcée un processus plus profond[4] ), sont réellement avancés sur la voie du désendettement. Les pays qui ne sont qu’en début de cycle (Portugal, Italie, Autriche) ont encore beaucoup de chemin à parcourir et devront commencer par retrouver des capacités de financement positives. Dans les pays où l’ajustement a été entrepris depuis plus longtemps (Espagne, Pays-Bas, Irlande), l’étape « accès aux sources de financement et retour à l’investissement » n’a pas encore été enclenchée et il est aujourd’hui difficile d’anticiper les comportements d’investissement des entreprises. Il se pourrait même que cette étape n’intervienne pas prochainement, du moins ni à court-moyen terme, et soit précédée d’autres évènements (ou paliers) avec certains effets indésirables.

Le risque déflationniste et l’exemple japonais : un enseignement pour l’Espagne

Comme nous venons de le voir, le désendettement devrait conduire les entreprises à stimuler l’économie via l’établissement d’un cercle vertueux. Pour autant il pourrait également mener à une situation opposée où la reprise de l’activité est loin d’être assurée. Le Japon des années 90 est l’exemple typique d’un pays où le désendettement des entreprises n’a pas permis de déboucher sur une reprise de l’investissement et de l’activité. De plus les caractéristiques de la crise des années 90 au Japon sont assez similaires à ce qui a pu être observé en Espagne.

En 1990, le Japon connait une crise financière très grave : bulle immobilière, crise bancaire[5] et crise boursière. Entre 1985 et 1990, les entreprises ont bénéficié d’un large accès au crédit, grâce à une politique monétaire accommodante, très expansionniste (taux directeur de la Banque Centrale du Japon inférieur à 2,5% jusqu’en 1989). Jusqu’en 1995, le ratio dette sur PIB des entreprises japonaises augmente graduellement pour atteindre 155% du PIB, date à partir de laquelle les firmes endettées changent de stratégie et rentrent dans une phase de désendettement. Cette phase comportant des éléments très similaires au cas espagnol : effort de compétitivité (pour augmenter les exportations) permis grâce un partage de la valeur ajoutée en faveur des profits[6], un excès d’épargne, un taux d’autofinancement qui dépasse les 100% et une hausse des marges. Cette hausse des profits et de l’épargne a contribué au désendettement des entreprises mais pas à une augmentation de l’investissement. Une différence avec l’Espagne, est que l’épargne des entreprises japonaises a également servi à l’acquisition d’actifs financiers (essentiellement de bons du trésor japonais à cette époque[7]), alors que ce type d’achats diminue en Espagne. Mais au-delà de cette différence, le constat est que l’investissement n’a pas repris, ce qui a amplifié la contraction de la demande (pas d’investissement, pas d’emploi, pas de hausse des revenus des ménages). Le Japon rentre alors dans une crise déflationniste, avec une croissance faible et un repli global de l’activité malgré des taux d’intérêts nuls.


A partir du moment où les salaires baissent, que l’investissement et la demande se rétractent, que la politique monétaire, même très expansionniste, ne permet pas de mettre fin au rationnement du crédit, un risque déflationniste peut prendre forme. Cela fut le cas au Japon durant les années 90 où la baisse des prix a augmenté le poids de la dette des entreprises, rendant probable le défaut ou la faillite des entreprises. Il en a résulté une chute de l’emploi et de l’investissement pénalisant la demande et accentuant la baisse des prix. Il est coutume d’entendre dire qu’avec la déflation, il y a une réallocation de la richesse des débiteurs vers les créditeurs, ce qui signifie que le poids de la dette augmente. Sauf que lorsque les débiteurs ne sont plus en mesure de rembourser leurs emprunts, il y a un effet de contagion vers les créditeurs et le système bancaire se retrouve affecté à nouveau et plonge dans une crise profonde.

La manifestation d’un risque déflationniste peut s’avérer fatale à une économie en pleine phase de désendettement, surtout quand elle n’a pas la possibilité de dévaluer son taux de change pour augmenter ses exportations et ainsi compenser la baisse de sa demande domestique par la hausse de la demande externe. En cas de « non reprise » assez rapide de l’investissement, le désendettement des entreprises pourrait aboutir à une toute autre situation que celle du cercle vertueux décrit précédemment. Une augmentation des taux de marges sans augmentation de l'investissement dans un second temps amplifierait la contraction de la demande interne, ce qui peut à terme se traduire par un choc déflationniste, avec une importante contraction des prix. Les entreprises sont contraintes de poursuivre leurs efforts de désendettement sans qu’une reprise de l’activité ne se manifeste[8].

Conclusion

Comme nous l’avons observé, il est très difficile de savoir où en sont désormais les entreprises de la Zone Euro en termes de désendettement. L’investissement n’ayant pas repris, il est délicat de fournir une conclusion sur les conditions futures du désendettement des entreprises: soit la voie du cercle vertueux, soit la voie menant à une crise déflationniste. Il ne semble pas qu’un tel risque se soit manifesté, bien heureusement, dans les économies de la Zone Euro, les niveaux d’inflation étant supérieurs à 0 en raison des prix de l’énergie et des récentes hausses de la fiscalité. L’Espagne n’est pas le Japon des années 90 et les origines de la crise, même si présentant certaines similitudes, ne sont pas identiques. Cet exemple peut s’avérer riche d’enseignement : une stratégie de désendettement trop rapide peut ralentir la demande et l'investissement et créer une situation déflationniste qui prolongerait la période récessioniste de l'économie. Le soutien de la demande domestique apparait donc comme un enjeu majeur pour les pays de la Zone Euro.

Notes:

[1]Si la dette des entreprises a fortement progressé dans tous ces pays, il est nécessaire de préciser ici que le niveau de dette des entreprises en Italie est largement moins élevé que dans ces autres pays.

[2]Effet de contagion vers le système bancaire: la correction du secteur immobilier a généré la faillite de nombreux promoteurs immobiliers et de ménages incapables de rembourser leurs prêts aux banques, qui ont à leur tour accusé de lourdes pertes.

[3]L’excédent brut d’exploitation (EBE) est le solde du compte d’exploitation, ce qu’on peut assimiler aux profits des entreprises après paiement de la masse salariale brute, des impôts et cotisations.

[4]Même si cet ajustement rapide s’est réalisé au grand détriment du marché du travail. En novembre 2012, le taux chômage de la population active a dépassé la barre des 26% tandis que le taux de chômage des jeunes (moins de 25 ans) s'est établi à 55%.

[5]Deux facteurs de crise que l’on retrouve en Espagne depuis 2007.

[6]Donc au détriment des salaires, de l’emploi ou encore de l’investissement.

[7]Rappelons que 95% de la dette publique japonaise est détenue par des résidents, ce qui n’est pas vraiment le cas des pays de la Zone Euro. Ainsi, l'acquisition de titres de dette publique par les entreprises japonaises est une spécificité du financement de la dette publique japonaise.

[8]D’où le surnom attribué aux années 90 pour l'économie japonaise « la décennie perdue », même si la décennie semble s’être étendue : encore aujourd’hui l’investissement est toujours très faible et la déflation persiste.

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