Lors de son débat télévisé avec Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, le Président a évoqué la possibilité d’une deuxième journée de solidarité pour financer la dépendance. Cette solution proposée par Jacques Chirac en 2004 sonne à la manière de l’ancien monde, comme une augmentation constante de la pression fiscale pour financer une politique sociale toujours plus déstabilisante.
Le financement de la dépendance n’est pas une question nouvelle, loin de là. La première prestation destinée à financer l’autonomie date de 1995, c’est-à-dire de plus de vingt ans. Mais dès 1988, un rapport signalait l’importance du problème que le vieillissement progressif de la population allait poser. Depuis trente ans, donc, la France se demande comment aider les personnes qui deviennent peu à peu dépendantes, et surtout comment financer leur prise en charge.
Autrement dit, il faut être d’une certaine mauvaise foi pour faire mine de ne pas savoir que, tôt ou tard, avant que la mort ne guette, un autre mal peut nous ronger: la déchéance du corps liée à l’âge. C’est le mal du siècle. Dans un pays où 10% de la population ont plus de 75 ans, on mesure l’enjeu économique que pose ce problème.
L’éternel débat de l’assurance publique ou pas
De longue date, donc, il existe en France un « parti », une fraction influente de l’opinion, favorable à la mise en place d’un cinquième risque de sécurité sociale, financé comme il se doit par une nouvelle contribution obligatoire. Cette branche devrait fiancer la dépendance et donc prendre en charge le coût des établissements où sont hébergées les personnes dépendantes (EHPAD).
On retrouve dans ce « parti » les admirateurs de tous poils de la sécurité sociale, parée de toutes les vertus propres au Conseil National de la Résistance. Quoique, à l’époque du CNR, l’espérance de vie des hommes ne dépassait pas 60 ans, il est encore de bon ton d’affirmer que les solutions imaginées à cette époque valent encore dans un monde où l’on vit environ 25 ans de plus… Que la sécurité sociale soit en déficit chronique depuis 1975, qu’elle soit le dispositif social le plus coûteux de l’OCDE, qu’elle n’ait pas les moyens de supporter cette nouvelle charge, ne sont évidemment pas des raisons suffisantes pour refroidir les ardeurs de ces partisans zélés de la dépense publique.
Le choix initial de la journée de solidarité
Dans un monde où le « trou de la sécu » est une institution et pour ainsi dire un horizon indépassable de la vie quotidienne, il est difficile d’expliquer qu’on le creuse encore plus par l’extension de son champ. C’est pourquoi Jacques Chirac n’a pas osé, en son temps, officialiser la création d’une cinquième branche.
En revanche, il avait fait le choix de créer une taxe nouvelle de 0,3% sur la masse salariale pour financier la dépendance. On appelle cette mécanique la « journée de solidarité ». Dans la pratique, il s’agit d’une cotisation employeur équivalent à un jour de travail supplémentaire par an.
On notera ici l’euphémisation à l’œuvre pour faire croire aux Français que, par un miracle inexpliqué, ils iraient travailler un jour par an sans être payé, et que l’argent qu’ils n’auraient pas gagné ce jour-là iraient dans la poche des petits vieux frappés de démence.
En réalité, cette mise en scène bienveillante cache une réalité bien plus prosaïque, qui s’appelle l’augmentation de la pression fiscale pour financer une dépense nouvelle. C’est une recette vieille comme le monde et qui n’a absolument rien de mystérieux.
La solution déceptive du deuxième jour de solidarité
Pour tous ceux qui croient dur comme fer qu’Emmanuel Macron est en train de renouveler la France et de rompre avec des décennies, voire des siècles, de banalité fiscale, l’annonce d’un deuxième jour de solidarité ne peut donc qu’être déceptive. En fait de renouvellement, Macron reprend à son compte, pour régler les problèmes, la solution toute bête d’alourdir le coût du travail pour aider nos petits vieux qu’eut avant lui ce parangon de modernité et de renouvellement qu’est Jean-Pierre Raffarin.
Et comme ses prédécesseurs, Macron explique qu’élargir le champ de la sécurité sociale serait une bonne idée. La formule a au moins l’intérêt de conforter notre avance à peu près indépassable en termes de part de PIB consacrée aux dépenses sociales.
Les ironies anti-phrastiques d’Emmanuel Macron
Les derniers amateurs d’ironie en France (une espèce en voie de disparition compte tenu du braconnage intensif qui sévit) auront apprécié les propos absolument contradictoires d’Emmanuel Macron sur le sujet dimanche soir. Le Président a en effet expliqué les bienfaits de la hausse de la CSG, sujet particulièrement polémique pour les anciens. L’essentiel de son argumentation a consisté à plaider en faveur d’une amélioration du pouvoir d’achat pour les « travailleurs », qui ont vu leurs cotisations salariales disparaître et les retraités faire ainsi un « geste » en faveur des plus jeunes.
En annonçant une nouvelle journée de solidarité, Emmanuel Macron n’a pas clairement dit que, ce faisant, il remettait le doigt dans l’engrenage avec lequel il prétendait rompre par ailleurs: une baisse du pouvoir d’achat des actifs pour financer des dépenses engagées par les retraités.
Bien entendu, répondra-t-on, l’opération sera limitée à une hausse de la cotisation qui pèse sur les employeurs. Mais il faudrait être naïf pour croire que les employeurs augmenteront les salaires de 0,3% pour rendre la mesure indolore à leurs salariés. Les syndicats ne s’y sont d’ailleurs pas trompé.
La déresponsabilisation de l’ancien monde
Les propositions d’Emmanuel Macron ne manqueront pas de surprendre, puisqu’elles sont vieilles de plus de 25 ans et qu’elles symbolisent assez bien les pratiques de l’ancien monde. Elles surprendront… à moins que l’on admette une bonne fois pour toutes que l’invocation du « renouvellement » ne soit un alibi commode pour que rien ne change vraiment et que tout continue comme avant.
L’annonce d’une cinquième branche de la sécurité sociale plaide assez, tant elle est controuvée, en faveur d’une obsolescence de la pensée macronienne. Alors que le risque de dépendance est bien connu de tous, le pouvoir exécutif continue à déresponsabiliser les individus en laissant croire qu’une solution « gratuite » (c’est-à-dire payée par ceux qui font encore la bêtise de travailler) peut être mise en place.
Ce recours aux vieux subterfuges est d’autant plus étonnant que le marché de l’assurance propose de nombreux contrats de dépendance. Il ne serait pas très compliqué de les accompagner d’un avantage fiscal pour favoriser leur essor. Ce serait moins coûteux et plus efficace.
A moins, bien entendu, que la dépendance ne soit qu’un prétexte pour accroître encore le domaine de la déresponsabilisation que couvre la sécurité sociale.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog