Démographie : la population française vieillit-elle autant qu’on le dit ?

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Par Jacques Bichot Publié le 3 novembre 2018 à 7h45
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La population française vieillit : voilà, dira-t-on, une vérité de la Palice ! Et certains ajoutent un commentaire du type suivant : « Le vieillissement généralisé de la population serait principalement dû à l’arrivée aux grands âges des enfants du baby-boom, nés entre 1945 et 1975. En effet, ces générations sont nettement plus nombreuses que celles qui leur ont succédé. »1 La réalité est différente. Certes, la France vieillit, mais nettement moins que certains le disent en se basant sur des indicateurs inadéquats. Et si elle vieillit, ce n’est pas parce qu’il y a eu un baby-boom de 1945 à 1974, mais parce que la natalité a beaucoup faibli ensuite, tandis que la longévité augmentait.

Comment mesurer le vieillissement d’une population ?

La mesure du vieillissement la plus fréquemment utilisée est la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus. Cette proportion est facile à calculer : il suffit d’exploiter les données fournies par l’état-civil. Mais il s’agit là d’un piètre indicateur, parce que l’âge moyen marquant le début de la vieillesse n’est pas constant au cours du temps. L’une des grandes évolutions observables depuis un siècle au moins est que les êtres humains, au fur et à mesure des progrès effectués en matière de nutrition, d’hygiène, de soins médicaux, d’adaptation aux changements, et dans quelques autres domaines, restent en forme physiquement et mentalement jusqu’à des âges de plus en plus élevés.

Il existe des indicateurs d’espérance de vie en bonne santé et d’espérance de vie sans incapacité (ESVI). L'ESVI français, pour 2017, était de 64,9 ans pour les femmes et 62,6 ans pour les hommes, différence qui soulève une question : de même que les femmes ont une longévité supérieure à celle des hommes, seraient-elles « vieilles » plus tardivement ? Il faudrait alors classer parmi les personnes âgées en 2017 les hommes de plus de 62,6 ans, et les femmes de plus de 64,9 ans. Et il faudrait surtout modifier ces limites, le plus souvent en les augmentant, quand on effectue des projections fournissant la proportion de personnes âgées en 2030, ou 2050, voire en 2070, horizon des récentes études de l’INSEE.

De plus, ces espérances de vie « en bonne santé » ou « sans incapacité » ne sont pas forcément de bons indicateurs pour l’espérance de vie « sans être vieux ». Il faudrait définir de façon pertinente ce qu’est être vieux ou ne pas être vieux. Question délicate, car on peut être trop vieux pour certains actes, et pas pour d’autres. Par exemple, je suis trop vieux pour faire du sport de compétition, mais pas pour faire de la recherche en économie.

Les statisticiens qui travaillent sur le vieillissement devraient donc sortir du simplisme « plus ou moins de 65 ans » et construire – en collaboration avec d’autres scientifiques – des indicateurs moins rudimentaires. Le bon sens nous incite à penser que la vieillesse survient de plus en plus tard, et que nous ne pouvons pas nous contenter, en particulier pour prendre des décisions législatives ou réglementaires comportant des conditions d’âge, des indicateurs qui existent actuellement – ni, a fortiori, de la « barre » des 65 ans fixée ne varietur. Reste aux spécialistes à faire leur travail !

Le baby-boom des trente glorieuses n’est nullement responsable du vieillissement

Examinons maintenant la question de savoir si l’accusation portée contre le baby-boom, à savoir qu’il obligerait les actifs actuels à entretenir un nombre trop important de retraités, tient la route. Que se serait-il passé si, entre 1945 et 1974, le taux de fécondité avait été de 2 enfants par femme au lieu de 2,7 ? C’est-à-dire s’il était né seulement les trois quarts des bébés qui sont effectivement venus au monde en France durant cette période.

Le poids des retraités, mesuré par exemple par le taux de cotisation vieillesse et maladie, ne dépend pas de leur nombre absolu, mais du rapport entre leur effectif et celui des actifs. Si le baby-boom n’avait pas eu lieu, il y aurait certes moins de retraités à entretenir, mais il y aurait également moins d’actifs pour le faire. Le problème n’est pas que la natalité ait été trop forte entre 1946 et 1974 ; il est qu’elle a été trop faible entre 1975 et 1998. Si les baby-boomers avaient procréé dans les mêmes proportions que leurs parents, le vieillissement de la population française serait bien moindre, ainsi que les problèmes de financement de la sécurité sociale.

Il y a dans la Bible une phrase qui montre que les anciens Hébreux raisonnaient nettement mieux que certains modernes : « les pères ont mangé du raisin vert, et les dents des fils ont été agacées ». Cette phrase s’applique parfaitement au problème sous revue : les jeunes qui ont fait mai 68 sont devenus des pères et mères mangeant du raisin vert, c’est-à-dire ayant une descendance restreinte, et ce sont les dents de leurs enfants, actuels cotisants, qui sont agacées parce qu’ils ploient sous le fardeau des cotisations. Il ne faut pas inverser le sens des causalités : si le vieillissement de la population française est trop important, ce n’est pas parce qu’il est né trop d’enfants durant les trente glorieuses, c’est parce qu’il n’en est pas né suffisamment à partir de 1974, et surtout entre 1975 et 1999, un léger redressement ayant eu lieu durant les années 2000 à 2014.

Si la forte natalité des années 1946 à 1975 a quelque chose à voir avec les problèmes actuels de nos retraites par répartition, c’est uniquement en raison du comportement irresponsable de nos gouvernants et des partenaires sociaux, qui ont augmenté la générosité de ces retraites non seulement en engrangeant le bénéfice du baby-boom, mais en y ajoutant une hausse démagogique des taux de cotisation. Il aurait fallu qu’ils comprissent qu’avec une démographie aussi porteuse il fallait économiser les précieuses munitions que sont les augmentations de cotisations. Ils avaient le beurre, ça ne leur suffisait pas, ils ont en plus mis la main sur l’argent du beurre. Quoi d’étonnant à ce que, aujourd’hui, les tartines de beurre des retraités soient progressivement remplacées par des tartines de margarine ?

(1) Yves de Kerdrel, la Lettre de l’Expansion du 29 octobre 2018.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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