Le scandale des délais de paiement

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Par Jean-Yves Archer Modifié le 14 février 2014 à 1h30

D'évidence, les entreprises ont actuellement fort à faire pour parvenir à surmonter leurs rapports avec les différentes Administrations et la cohorte de normes que celles-ci ont pour mission de faire respecter. Mais parfois, ce sont entre elles que les entreprises ont des rapports tendus voire conflictuels : il en est ainsi de la question des délais de paiements.

En effet, s'il est un statut répandu en France mais peu enviable par ces temps de crise durable, c'est celui de créancier. Un seul chiffre suffit à éclairer le débat et à mesurer avec componction sa gravité : le crédit inter-entreprises représente plus de 500 milliards ( cinq cent...) d'euros et la COFACE ne cesse de mesurer sa tendance haussière continue au travers de ces baromètres semestriels.

Cela a des conséquences évidentes sur le besoin en fonds de roulement du fournisseur. Cela a tout autant un impact sur sa marge nette et parfois certains sous-traitants se voient contraints d'intégrer de facto un " delta plus " dans leur prix de vente pour tenir compte du temps qu'il leur faudra subir avant d'être payés. On retrouve là la notion théorique de " mark-up" énoncée il y a plus de vingt par les économistes de la Régulation au premier rang desquels il convient de citer Robert Boyer et Jacques Mistral.

Cela a aussi un impact sur l'effet domino des défaillances d'entreprises. En effet, toutes les études convergent pour attester qu'une firme qui paye vraiment tard est une firme qui n'est pas loin de la cessation des paiements.

La corrélation a été démontrée depuis des années et la virulence de la crise présente renforce la véracité de ce fait. On serait tenté d'écrire sa voracité tant nombres de PME sont mal placées face à leurs donneurs d'ordres. Derrière la fermeture de PSA Aulnay ou le sinistre MORY DUCROS, combien de futures liquidations dérivées de la cassure initiale de la chaîne, des maillons de la filière économique et juridique. Il est établi que les créances échues depuis plus de 90 jours seront majoritairement réglées sur une base partielle et non intégrale. Il est aussi avéré que les créances prises dans un règlement judiciaire ont une occurrence de remboursement plus faible de près de 25 % avec la crise ( base 2011 ).

Même les professionnels de l'affacturage doivent être de plus en plus sélectifs comme les établissements financiers qui acceptent de " faire " du Dailly c'est à dire des notifications de cessions de créances. Ainsi, les taux de couverture demandés et la sélectivité des débiteurs acceptés ( en vis à vis d'une facilité de caisse ) sont clairement renforcés.


Certains secteurs sont classiquement des payeurs tardifs : ainsi la grande distribution même si certains efforts ont été relevés chez certaines enseignes. De même, les débiteurs publics – par exemple le secteur hospitalier ou la SNCF – sont des contre-exemples au regard de pratiques vertueuses telles que l'Europe du Nord les appliquent.

De surcroît, il faut noter que des filiales importantes de grands groupes du CAC 40 ont relevé le seuil de leurs dates de règlement en passant ainsi de 60 à 90 jours, par voie contractuelle. Ceci nous montre les limites des tentatives d'amélioration recherchée par le Législateur notamment via l'article L 441-6-1, alinéa 1er, du Code de commerce qui énonce que les sociétés dont les comptes annuels sont soumis à certification par un commissaire aux comptes sont dans l'obligation de publier " des informations sur les délais de paiement de leurs fournisseurs ou de leurs clients ". L'article D 441-4 du décret d'application venant préciser que les entreprises ont obligation de mentionner " la décomposition à la clôture des deux derniers exercices du solde des dettes à l'égard des fournisseurs par date d'échéance ". Alors que la question traitée ici est d'envergure et d'importance, force est de constater que la Loi sur les délais de règlement ( Loi de Modernisation de l'Economie ) et le reste du dispositif demeurent en retrait des besoins.

D'autant que la crise excite l'imagination des facétieux voire des apprentis sorciers. Ainsi, certaines entreprises parviennent à parasiter les mécanismes informatiques de relance automatique ( avec éventuel déclenchement d'un pré-contentieux ) au moyen de paiements partiels et erratiques qui faussent les séquencements usuels. Ces méthodes de parasitage ne sont pas négligeables même si elles demeurent difficiles à quantifier et à contrecarrer dans les faits.

Le rapport des commissaires aux comptes doit porter des observations sur la sincérité et la concordance avec les comptes annuels des informations relatives aux délais de paiement et sur la durée maximale des délais de paiements conventionnels ( selon les modifications apportées par la Loi du 22 mars 2012 qui a modifié l'article L 441-6-1 en son alinéa 2 ). Pour l'honnête dirigeant de PME qui vient de se " faire planter un drapeau " face à un débiteur opportuniste ou de mauvaise foi, cette réponse législative est aussi courte que la violence de la question des délais de paiements est profonde. Chacun sait qu'un accroc au compte clients peut faire basculer une entreprise vers la trappe où le mot risque s'inscrit en lettres capitales, quel que soit le montant du capital social.

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Jean-Yves Archer est énarque ( promotion Léonard de Vinci ), économiste et fondateur de Archer 58 Research : société de recherches économiques et sociales. Depuis octobre 2011, il est membre de l’Institut Français des Administrateurs (IFA).  

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