Japon : l’histoire d’une déflation

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Par Sylvain Fontan Publié le 5 février 2014 à 13h39

Au cours des années 1980, le Japon s'est imposé comme une puissance économique mondiale de premier rang, faisant même dire que ce pays pouvait dépasser les Etats-Unis comme puissance économique dominante, ce qui a d'ailleurs donné naissance au phénomène du "Japan Bashing". Or, les années 1990 sont venues mettre un terme au "miracle japonais" pour enchaîner avec deux décennies "perdues" où progressivement une "déflation rampante" s'est installée, mettant ainsi au terme à l'irrésistible ascension de l'archipel Nippon, et dont le pays n'a toujours pas réussi à s'extirper. Loin d'avoir un simple intérêt historique, l'expérience japonaise est forte d'enseignements eu égard à la situation actuelle des prix en zone euro.

Causes de la "déflation rampante"

Le Japon fait face depuis près de 20 ans à une situation de "déflation rampante". Ce phénomène peut se définir comme la mise en place progressive d'une déflation (baisse des prix), c'est-à-dire un mécanisme grippant l'économie jusqu'à la finir par la bloquer et dont il est extrêmement difficile de s'extirper. L'évolution de l'inflation japonaise depuis le début des années 1990 indique en effet clairement un ralentissement de la hausse des prix (désinflation) jusqu'en 1995 avant que les prix se mettent significativement à décliner (déflation) à partir de 1998-1999. Depuis cette période, le Japon n'a connu que de très brèves et très modestes périodes d'inflation à la faveur d'évènements souvent exceptionnels.

Deux éléments sont à l'origine de ce mécanisme de déflation au Japon. Tout d'abord, (1) la monnaie nationale (le Yen) s'est fortement appréciée (hausse de la valeur) entre 1985 et 1988, ce qui a entraîné des faillites et l'augmentation des créances douteuses (montant des dettes qu'une entreprise risque de ne pas pouvoir honorer) des entreprises nippones. Les banques se sont donc retrouvées à devoir supporter un risque de défaut (dettes effectivement non remboursées) important. Parallèlement, (2) les spéculations immobilière et financière ont entraîné des bulles d'actifs financées à crédit, c'est-à-dire que les ménages et les entreprises se sont surendettés pour accéder à ces actifs mobiliers et immobiliers. La situation était sous contrôle jusqu'au début des années 1990 mais l'apparition d'un krach est venu remettre en cause ce modèle.

Le déclenchement du Krach a mis un branle un mécanisme pervers auto-renforçant :

• Le Krach fait que les agents économiques (ménages, entreprises et institutions financières) voient la valeur de leurs actifs chuter, et rend de facto insolvable une large partie du secteur privé japonais.

• Afin de se désendetter et faire face à cette situation d'insolvabilité, les agents économiques privés contractent leurs dépenses.

• Or, tous les acteurs ont le même raisonnement et mettent en place la même stratégie de désendettement en même temps.

• Dès lors, la tendance à la baisse des actifs s'amplifie.

• Or, plus les agents essayent de rembourser, plus ils s'endettent. En effet, ce qui importe dans ce cas ce n'est pas la dette en volume mais en pourcentage du prix des actifs. Autrement dit, si la valeur des actifs diminue, alors le poids de la dette augmente mécaniquement.

• Au final, plus les agents tentent de se désendetter, plus ils cherchent à contracter leurs dépenses et plus ils s'endettent, créant ainsi une spirale déflationniste auto-renforçante.

Politiques économiques développées pour lutter contre la déflation

La banque centrale japonaise (BoJ - Bank of Japan) a fortement diminué ses taux d'intérêts. En effet, l'outil monétaire traditionnel dans ce cas de figure consiste à diminuer le coût du crédit afin d'inciter les ménages et les entreprises à emprunter, et les banques à prêter. Le but est notamment de stimuler la croissance économique et les prix, ce qui rend entre autres plus facile de rembourser les dettes. Dès lors, la BoJ réduit ses taux directeurs durant toute la décennie 1990, mais cette mesure s'avère insuffisante et le Japon rentre en déflation.

Pour contrer cette spirale, la BoJ décide ensuite de développer des mesures dites "non-conventionnelles". En pratique cela renvoie à augmenter significativement la "base monétaire", notamment via le système de "l'assouplissement quantitatif" (QE - Quantitative Easing, en anglais) qui consiste à injecter de très grandes quantités de liquidités dans le système financier. A la fin de ce mécanisme en 2006, le Japon est techniquement sorti de la déflation, mais très modestement et de façon très brève. De plus, les effets sur l'activité économique sont eux aussi très modestes car le pays n'a pas retrouvé sa situation de plein emploi et la croissance demeure faible. En effet, "l'inondation" en liquidités du secteur bancaire n'a pas nécessairement irrigué l'ensemble de l'économie et les sommes injectées sont pour l'essentiel restées dans le circuit des actifs financiers sans se traduire par un accroissement des crédits.

Parallèlement à ces mesures monétaires, des mesures budgétaires et fiscales sont développées. En effet, le gouvernement japonais a mis en place des mesures proactives dès les années 1990 à travers une relance budgétaire et fiscale. L'idée sous-jacente renvoie à l'analyse keynésienne traditionnelle selon laquelle lorsque la demande privée se contracte (baisse de la consommation et de l'investissement), il faut que la demande publique prenne le relais (hausse des dépenses). Au final, les résultats sont très mitigés car le PIB par habitant, c'est-à-dire la richesse par habitant a bien progressé durant cette période, mais à un rythme moindre que dans les années 1980, et surtout cette hausse est largement liée à la diminution de la population dans un pays vieillissant. Enfin et surtout, cela a été permis au prix de l'explosion de l'endettement public qui s'élève maintenant à environ 240% du PIB (Produit Intérieur Brut, c'est-à-dire la richesse nationale).

Eléments à retenir concernant la situation actuelle en zone euro

Plusieurs éléments rapprochent les évènements actuels en zone euro de ceux du Japon. Tout d'abord, comme au tournant des années 1980-1990, la zone euro sort actuellement d'une bulle de l'endettement privé. Ensuite, cette bulle a également explosé en zone euro, et maintenant le secteur privé doit se désendetter et contracter ses dépenses, notamment dans les pays dits périphériques.

Néanmoins des différences existent et peuvent expliquer une résilience japonaise qui ne pourra probablement pas être possible en zone euro. En effet :

le Japon est une nation souveraine sur le plan monétaire avec une banque centrale qui n'est pas indépendante du pouvoir politique, lorsque de son côté la zone euro n'est pas une nation mais renvoie à un espace politique fragmenté et où la banque centrale est indépendante avec un mandat (mission) restrictif.

• En outre, un des atouts du Japon au cours de cette période est que l'épargne nationale est venue se reporter sur la dette de l'Etat japonais que les épargnants japonais considèrent comme un actif sûr. Ainsi, le gouvernement japonais a pu emprunter à des taux d'intérêts très bas pour financer sa politique de relance presque perpétuelle. De plus, il convient de souligner que la dette japonaise est essentiellement détenue par des agents résidents (japonais), ce qui diminue fortement le risque sur cette dette.

Inversement, en zone euro, l'épargne dégagée suite au désendettement se dirige vers la dette des pays qui en ont le moins besoin mais qui est la plus sûre (les pays dits "cœur" de la zone euro comme l'Allemagne), au lieu d'aller vers les pays dont le besoin est le plus important afin d'investir et de relancer l'économie (les pays dits "périphériques" comme l'Espagne).

Retrouvez d'autres analyses économiques écrites par Sylvain Fontan sur son site : www.leconomiste.eu

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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