Le 27 novembre, le Sénat a rejeté la première partie du projet de loi de finances pour 2014. Ce rejet a pour conséquence de ne pas permettre l’examen de la seconde partie et le rejet de l’ensemble du texte. La commission mixte paritaire se réunira afin d’élaborer un texte commun le 5 décembre prochain. Souhaitons qu’elle décide de supprimer deux dispositions particulièrement dangereuses votées en première lecture par l’Assemblée Nationale.
La première concerne la nouvelle définition de l’abus de droit. Actuellement, en dehors des actes fictifs, comme une donation déguisée, sont visés les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes, ont pour motif exclusif d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales. En d’autres termes, si un contribuable peut démontrer qu’il a conclu des actes, telles une donation de titres suivie de leur cession ou une donation avec réserve d’usufruit, pour des motifs, non seulement fiscaux, mais également patrimoniaux, l’abus de droit n’est pas constitué.
Optimisation fiscale : Le bon vouloir de Bercy
Pour les rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2016, le motif exclusif serait remplacé par le motif principal. La différence est essentielle. Si le contribuable peut démontrer qu’il ne poursuivait pas un but exclusivement fiscal, il lui sera impossible d’apporter la preuve qu’il n’a pas agi pour un motif principalement fiscal. Le motif fiscal est quantifiable. Il s’agit de l’économie d’impôt réalisée. Le motif patrimonial ne l’est pas.
La volonté de transmettre aux enfants ou de protéger son conjoint ne se mesure pas en euros. Le contribuable se retrouvera donc démuni face à l’appréciation subjective de l’administration fiscale qui décidera souverainement que le motif fiscal prime sur le motif patrimonial. Les contribuables, pour éviter la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit qui prévoit une majoration de 80% des droits considérés comme éludés, seront condamnés à renoncer à toute réorganisation de leur patrimoine.
La déclaration obligatoire d'optimisation fiscale est intenable
La seconde est encore plus dangereuse. Elle vise à rendre obligatoire, à compter du 1er janvier 2015, la déclaration préalable de tout schéma d’optimisation fiscale par la personne qui entend le commercialiser et par celle qui l’élabore et le met en œuvre. Un tel schéma est défini comme « toute combinaison de procédés et instrument juridiques, fiscaux, comptables ou financiers dont l’objet principal est de minorer la charge fiscale du contribuable, d’en reporter l’exigibilité ou le paiement ou d’obtenir le remboursement d’impôts. »
Le secret professionnel des avocats et notaires menacé
Ainsi, les avocats ou les notaires, tenus au secret professionnel, devront, dès qu’un contribuable leur demandera un conseil, en informer les services fiscaux, tout conseil fiscal pouvant être considéré comme un schéma d’optimisation fiscale. Ainsi en est-il du contribuable auquel il est conseillé de souscrire au capital d’une PME pour réduire son impôt de solidarité sur la fortune ; de la société qui aura intérêt à opter pour l’impôt sur les sociétés ; du chef d’entreprise qui devrait attendre un délai de détention pour céder son entreprise. La crainte de la sanction – une amende de 5% du montant, selon les cas, de revenus perçus au titre de la commercialisation du schéma ou de l’avantage fiscal procuré par sa mise en œuvre – et l’impossibilité d’informer systématiquement l’administration fiscale des faits et gestes des contribuables, interdiront tout conseil fiscal.
La lutte contre l’évasion fiscale est un objectif légitime pour un Etat. L’instauration, pour y parvenir, de la suspicion permanente, de la surveillance systématique et de la délation généralisée, ne l’est pas.