Permets à un vieux monarque éprouvé par les vicissitudes, mon cher François, de te donner quelques conseils amicaux pour mieux gouverner la France. Car peut-être t’aperçois-tu que les misérables chômeurs du royaume perdent patience et t’envoient les signaux, affaiblis par l’éloignement de la Cour où tu règnes, de leur désespoir ? Certains s’immolent sous les yeux des gazetiers et des lucarnes magiques que vous appelez télévision. D’autres se livrent à de menus larcins. La majorité tombe dans un désarroi qui menace la santé de l’Etat.
Tous ces pauvres hères savent que tu es bien impuissant à soulager leur misère. Mais ils veulent que tu agisses en souverain : qu’avec coeur et courage tu ordonnes à tes commis de prendre toutes les dispositions utiles pour leur porter secours. Quand la plèbe souffre, prends garde à ne pas l’abandonner à sa souffrance, et donne lui la conviction qu’elle est l’objet de tes soins et de tes pensées les plus intimes.
Je t’en parle d’expérience. Par mégarde, j’avais laissé les manoeuvriers des faubourgs s’installer dans les rues de Paris durant le rude hiver 1788, qui succédait à une mauvaise récolte. Ils étaient désoeuvrés, faute de labeur suffisant pour le peuple. Le prix du pain avait flambé et les caisses du Trésor étaient vides. Le ver était dans le fruit ! Le ventre vide de la Révolution occupait les rues et n’attendait qu’une étincelle pour piller et s’adonner à ses penchants les plus obscurs.
A tout ce peuple affamé, j’ai donné le sentiment de l’indifférence et de l’inaction, et jamais il ne me l’a pardonné. Deux siècles plus tard, j’ai beau plaider l’indulgence, rien n’y fait. Les Français ne peuvent admettre que leur souffrance ne soit ni comprise ni partagée par leur souverain. Et ils veulent le voir montrer le chemin dans l’adversité.
Avec outrecuidance, mon cher François, je t’adresse ces quelques rappels, car, après ta victoire au royaume du Tombuct, je te sens tout à coup hésitant et incertain.
Par exemple, je te vois agir avec les Prussiens et les perfides Anglais, et il me semble que tu es d’une grande maladresse avec eux, ce qui nuit à l’estime que les autres royaumes d’Europe, et ton propre peuple, te portent. Car souviens-toi que tu avais promis aux Français d’obtenir monts et merveilles de cette étrange administration que vous appelez l’Union Européenne. Tu avais soutenu que tes alliés consentiraient à partager tes efforts pour distribuer quelque manne aux nécessiteux. Tu t’es déplacé devant le Parlement de Strasbourg pour demander que cesse le rehaussement de la monnaie décidée par les banquiers de Francfort.
Qu’obtiens-tu, par cette diplomatie de la complainte ? Tu serais bien en peine aujourd’hui de l’expliquer. Tu as certes sauvé les subventions que touchent les céréaliers dans votre Politique Agricole Commune, mais ces propriétaires ne sont pas partageurs et aucun brassier, aucun homme de peine ne verra le moindre de ces pistoles échouer dans sa poche.
Pire, les engagements du royaume dans cette horrible horlogerie communautaire sont pour toi autant d’épines qui s’enfoncent dans ta chair à chaque pas que tu franchis. Tes alliés t’imposent de réduire la dette du pays, et de retrouver l’équilibre de tes comptes. Ils craignent d’être entraînés dans une crise que la France causerait.
Tu avais annoncé avec forfanterie que tu respecterais ces engagements. Tu le sais, ces promesses ne représentaient pas une paille : en 2013, tu devais économiser un dixième de tes dépenses ordinaires. Tu as annoncé des cadeaux fiscaux aux manufacturiers qui ont doublé cette somme. Dans ce tohu-bohu, à aucun moment, tu n’as semblé te préoccuper de réduire les charges et les offices qui coûtent si cher aux Français. Penses-tu que tes sujets soient dupes de ces manoeuvres ?
Après les avoir divertis en déclarant la guerre à des sauvages mahommétans, après les avoir divisés en autorisant les unions contre nature, ils veulent de toi une réponse aux questions qui les apeurent : pourront-ils travailler et nourrir leur famille dans les semaines qui viennent, ou seront-ils à leur tour menacés par ce chômage qui dévaste le corps social ? Es-tu bien décidé à réduire les moyens de la Cour et les dépenses du gouvernement pour préserver la confiance de tes créanciers et la place du royaume dans l’alliance continentale ?
Tu donnes l’impression de ne pas répondre à ces questions simples, et de vouloir détourner notre attention de ces objets comme un vulgaire joueur de bonneteau sur le boulevard du Crime. Pour satisfaire la curiosité des gazettes, tu as mollement annoncé une diminution des crédits que tu alloues à tes seigneuries et à tes vassalités. Tu as suggéré que les manufacturiers paieraient.
Ces deux réponses comportent chacune des lacunes et des imprécisions qui ne peuvent contenter tes contribuables.
Réduire les subventions des seigneuries est une décision indispensable, mais qui ne peut suffire à combler les déficits. Si elle contente le peuple qui juge les féodalités locales dispendieuses et trop généreuses en offices inutiles, elle constituera pour lui, tôt ou tard, une charge désagréable. Car les titulaires d’offices en province s’inspireront de leurs cousins courtisans: ils reporteront sur le peuple le poids de l’effort, et réduiront les aides aux pauvres dans de bien plus grandes proportions qu’ils ne s’astreindront à la parcimonie.
Ce report de l’effort sera d’autant plus violent que, depuis dix ans, le gouvernement n’a cessé de transférer aux provinces des obligations nouvelles : l’approvisionnement des écoles, par exemple, qui s’ajoute à l’acheminement des élèves, à l’édification des bâtiments scolaires, mais aussi à la subsistance des indigents et des impotents. Les officiers des communes et des provinces sauront où trouver les deniers nécessaires à l’effort.
Imposer de nouvelles contributions à tes manufacturiers ne sera guère compris par le peuple, alors que tu as annoncé que tu les réduirais grandement. Les manufacturiers et entrepreneurs eux-mêmes ne tarderont point à se rebeller contre ce pas de deux que tu leur imposes. Ils te menaceront d’émigrer et de développer ailleurs, en Espagne ou en Turquie, leur activité.
Les Français n’attendent pas de toi une autre décision que celle qui m’incombait, et que je tardai tant à prendre : imposer l’effort aux titulaires de charges et d’offices dispensées par le gouvernement. Ils veulent voir ces Conseillers référendaires, ces Conseillers d’Etat, ces Inspecteurs Généraux, ces hauts fonctionnaires, alourdis d’officiers numéraires et surnuméraires, prendre leur part de justice. Ils veulent voir y régner l’esprit d’ordre et de conquête.
Il n’en va pas seulement des diminutions de dépenses, il en va aussi de ton autorité et de ton aptitude à obtenir de ton entourage ce que tu réclames de ton peuple sans grand ménagement. Si tu ne démontres que tu en imposes autant à tes amis, tes proches, tes affidés, qu’à tes sujets, tu passeras pour pusillanime, ou injuste, et ton action sera contrariée.
Mesure bien, François, que le sentiment d’injustice peut paralyser un peuple autant que la faim ou la peur.