L'histoire de la défaillance du SAMU de Strasbourg, qui a éconduit une jeune maman décédée quelques heures plus tard, devient une affaire nationale. Il s’agit de l’une de ces affaires emblématiques où l’opinion publique est travaillée au corps pour ne pas ouvrir les yeux sur une triste réalité: le naufrage d’un système de santé coûteux, public, devenu si tentaculaire au nom du « big is beautiful » que plus personne ne peut le gérer.
L’affaire commence le 29 décembre 2017. Une jeune femme, Naomi Musenga, souffre. Elle appelle le SAMU qui ne prend pas l’affaire au sérieux, la traite de façon discourtoise et la renvoie vers un médecin. Quelques heures plus tard, la jeune femme, qui fait en réalité un hémorragie interne, meurt.
La famille a finalement demandé l’accès à l’enregistrement. L’Hebdi, journal alsacien, l’a révélé au public il y a plusieurs jours.
Preuve que les lanceurs d’alerte sont utiles
Le premier point du dossier qui pose une énorme question, ce sont les délais de réponse des pouvoirs publics, et l’incapacité de gérer correctement les anomalies. L’affaire s’est produite le 29 décembre 2017. Personne, au SAMU de Strasbourg, ne s’en est ému pendant plusieurs mois.
Or la jeune femme a bel et bien été transportée à l’hôpital avant son décès, plusieurs heures après avoir passé un premier coup de téléphone au SAMU. L’affaire aurait dû intriguer et susciter à ce moment-là un « contrôle qualité ». Les conversations sont en effet enregistrées.
Manifestement, le service public hospitalier n’est pas préoccupé par ces procédures de contrôle.
Surtout, plusieurs jours se sont écoulés entre la révélation de l’affaire et l’annonce d’une enquête officielle. Entre-temps, la polémique a enflé sur les réseaux sociaux, et c’est sous la contrainte de ces lanceurs d’alerte que les pouvoirs publics ont dû réagir.
Ce petit point mérite d’être souligné et même martelé. Nous avons, dans l’esprit de beaucoup, le meilleur système de santé du monde, un service public d’intérêt général, bla-bla, bla-bla, bla-bla. Donc, il est sacré. Derrière ces étendards de la bienveillance qui garantissent l’impunité, se dissimulent trop souvent des écarts inadmissibles vis-à-vis de ce qu’est effectivement l’intérêt du public. Comme notre système public de santé est sanctuarisé, le contrôle effectif du service rendu y est à peu près impossible et tous les relâchements y deviennent autorisés puisqu’ils sont quasiment sans risque. L’affaire Naomi en est l’illustration. Les opératrices qui se sont ouvertement moquées de la souffrance de l’usagère du service public qui les appelait se croyaient probablement à l’abri de toute poursuite.
Il aura fallu des jours et des jours d’indignation sur les réseaux sociaux pour que les pouvoirs publics se décident à réagir, là où la réaction aurait dû être fulgurante et immédiate. Ne jamais oublier cette passivité des pouvoirs publics face à la qualité du service qu’ils sont supposés garantir: quand un ministre dénonce la haine qui traîne sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire la fonction de contrôle de l’administration par le citoyen qu’il vise. On dit que les réseaux sociaux fabriquent des fake news pour justifier leur mise en coupe réglée et limiter autant que faire se peut l’exigence de qualité qui s’exprime vis-à-vis d’un État tentaculaire.
Le SAMU de Strasbourg manque-t-il de moyens ?
Certains adeptes du fantasme officiel selon lequel un État tentaculaire garantit un meilleur service au citoyen qu’une multitude d’acteurs autonomes et responsabilisés ont compris la menace. Ils ont commencé à s’agiter pour ressortir du frigo la sempiternelle rengaine du « manque de moyens ».
Cette fois c’est l’ami de tous les grands de ce monde, l’urgentiste Patrice Pelloux, qui s’est assez naturellement collé à l’exercice. Dans une interview au Parisien, il exonère par avance les opératrices du SAMU en expliquant qu’elles étaient sans doute très fatiguées faute d’un personnel suffisant, et par un manque de moyens criant.
On ne peut être qu’effaré en entendant le dialogue et l’enquête devra déterminer les fautes, sans oublier de répondre à ces questions : depuis combien de temps l’opératrice travaillait-elle, combien d’appels avait-elle pris dans sa journée ? Dans les centres, il faut jongler entre les appels « sérieux » et ceux qui ne le sont pas. On a des soignants épuisés, stressés, en burn-out, qui deviennent détachés de la souffrance du patient. Quand vous avez 100 appels pour une douleur thoracique, parfois, sur le 101e, vous flanchez.
Et une fois de plus, la machine à mensonge se met en marche. Alors qu’il est évident que le système de santé est à bout de souffle, à force d’être mangé par une bureaucratisation inhérente à son gigantisme, on trouve encore des urgentistes pour expliquer qu’il vaut mieux soigner le mal par le mal: toujours plus d’hôpitaux gérés par l’État, avec toujours plus d’argent public déversé dans une énorme machine incontrôlable et incontrôlée. Donc, augmentons la dépense publique de santé en France et tout ira mieux.
Cet aveuglement volontaire cache une terrible réalité. La culture de l’excuse, qui veut qu’un agent public ne soit jamais sanctionné quand il commet une faute, parce qu’il la commet à cause d’un engagement toujours insuffisant du contribuable en sa faveur, interdit une remise en ordre du service public. De façon paradoxale, il faut même que le service public soit inefficace pour justifier toujours plus d’impôt et toujours moins de liberté des citoyens par rapport à un État glouton.
Sur le fond, le système de santé français est coûteux. Avec 11% du PIB consacré à la santé, la France figure parmi les champions du monde de la dépense médicale. Pour un résultat médiocre! Et c’est bien ce qui gêne. Si, en contrepartie, d’un effort financier important, la qualité de service était garantie, tout irait bien. Tout le problème est que cet effort est peu productif et s’accompagne d’importants dysfonctionnements dont le management sanitaire ne semble guère se soucier.
La lenteur de la ministre Buzyn à s’emparer du dossier Naomi l’a rappelé.