Affaire Thévenoud : ce qu’elle nous apprend de la société française

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Par Christophe Ginisty Publié le 12 septembre 2014 à 12h36

Il y a un truc qui me fascine dans l'affaire Thévenoud et dans l'emballement médiatique qui a suivi. C'est un phénomène très caractéristique des situations de communication de crise sur lequel j'aimerais revenir avec vous pour un petit décodage.

Un petit rappel des faits pour commencer. Dès la nomination de Thomas Thévenoud au Commerce Extérieur et à la promotion de la marque France (ça ne s'invente pas), l'autorité chargée d'insuffler de la transparence dans la vie politique s'est aperçue que le nouveau nommé n'avait pas déclaré ou payé ses impôts et n'était pas en règle de ses obligations. Dès que les faits ont été connus à la tête de l'exécutif, celui-ci a été viré. L'histoire fut réglée en neuf jours.

Et là, tous les professionnels de la communication de crise vous diront que cette séquence a été remarquablement bien gérée par le Premier ministre qui, sans le moindre état d'âme, a immédiatement pris les mesures pour sanctionner le fautif et rétablir l'ordre citoyen au sein de l'exécutif. Je l'avoue, on m'aurait demandé de conseiller Manuel Valls sur ce dossier, je n'aurais pas donné d'autre conseil.

La question que nous devons, dès lors, nous poser est la suivante : si cette séquence a été aussi bien gérée, pourquoi n'est-elle pas close et pourquoi continue-t-elle de pourrir l'agenda du gouvernement au point de le rendre totalement inaudible sur des sujets infiniment plus importants et stratégiques que cette affaire exotique d'un énarque médiocre, allergique à l'administration, un type qui retournera dans l'anonymat dont il n'aurait jamais dû sortir ? La réponse est assez révélatrice de la société dans laquelle nous sommes.

C'est un thème que nous avons développé lors de la dernière édition de la conférence ReputationWar en janvier dernier, l'opinion est parfois prête à s'enflammer pour un fait qu'elle prend pour vraisemblable et dont elle était certaine avant même que le fait en question ne survienne. En d'autres termes, parce que les gens sont persuadés que tous les politiques sont pourris, qu'ils se mettent au-dessus des lois, qu'ils constituent une caste comparable à l'aristocratie d'antan, le fait qu'un secrétaire d'état fraichement nommé ait arnaqué le fisc par négligence ou pas, va avoir un écho fantastique dans l'opinion car cela correspond à une croyance a priorisolidement ancrée. C'est ce qui explique en très grande partie pourquoi le cas Thévenoud a un tel rayonnement médiatique dans la durée.

Car franchement et au risque de vous choquer, le délit que le type a commis n'est pas non plus un crime contre l'humanité. Il mérité d'être viré comme il l'a été mais certainement pas de faire la une de tous les médias français pendant une semaine ! Wake up ! D'autres sujets de préoccupation méritent notre attention.

Les politiques, tous pourris ?

Dépassons le cas de Thévenoud qui ne m'intéresse pas plus que ça et prenons de la hauteur pour en faire un enseignement dans la gestion de la communication de crise. Ce que cette séquence nous apprend est la chose suivante : les crises se répandent dans l'opinion proportionnellement à la puissance des croyances a priori. En d'autres termes, si la majorité des parties prenantes est persuadée que telle chose existe (et même si elle n'existe pas), le jour où un événement viendra corroborer cette conviction, les choses se répandront de manière extrêmement puissante et rapide.

Ce qui se passe avec Thévenoud est très simple à expliquer du point de vue de la communication. Au fil des années, les français ont pris de la distance vis à vis du personnel politique, pensant qu'ils étaient "pourris" dans leur immense majorité. A la faveur des affaires dont l'actualité a été parsemée (et je ne peux pas toutes les citer sous peine d'alourdir cette note au-delà du raisonnable), ils ont fait de la corruption du politique une certitude et chaque nouvelle "prise de guerre" alimente depuis cette croyance pour en faire une vérité absolue.

Thévenoud n'est pas une découverte, c'est une confirmation dans l'esprit du public. Cela fait une sacrée différence.

Ce point est fondamental, il doit être médité par tous les professionnels de la communication de crise. Avant toute action, demandons-nous toujours ce que les gens étaient prêts à croire avant que la crise ne survienne. L'entreprise avait une réputation de mauvais employeur ? Un incident social se répandra comme un feu de paille. Le produit est suspect de comporter des substances nuisibles pour la santé ? La première révélation, même fantasque, sera prise pour une démonstration.

La puissance des croyances a priori est phénoménale. Il suffit que l'opinion considère quelque chose comme étant vraisemblable pour que, dès qu'un événement vient corroborer cette intuition, les gens concluent qu'ils disposent désormais de la preuve qui leur manquait.

C'est ça l'affaire Thévenoud. Une confirmation de plus d'une veille intuition rampante. Elle fait des dégâts considérables car elle surfe sur une vraisemblance largement répandue dans la société. C'est ça la véritable mécanique du buzz.

Nous devons tous méditer cela car nous pouvons expérimenter des conséquences similaires dans les dossiers que nous gérons. Les idées préconçues sont l'engrais de la mauvaise réputation.

A suivre...

Article initialement publié sur mon blog ici

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Christophe Ginisty est professionnel de la communication, patron du numérique pour le Benelux au sein de l'agence Ketchum, blogueur sur www.ginisty.com. Son Twitter : @cginisty.

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