Décriminaliser le travail sexuel ne fait pas qu’économiser de l’argent aux états, cela sauve des vies

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Par Thierry Schaffauser Modifié le 31 juillet 2016 à 18h45
Decriminalisation Travail Sexuel Schaffauser
@pixabay - © Economie Matin
30 000En France, 30 000 femmes sont des prostituées

Amnesty International , l’ONUSIDA, l’Organisation Mondiale de la Santé, le PNUD et tant d’autres organisations ont toutes pour point commun de revendiquer la décriminalisation du travail sexuel à savoir des travailleurSEs du sexe, de leurs clients, et des parties tierces.

La prostitution dans le monde

Les arguments sont patents. La décriminalisation du travail sexuel peut réduire les infections au VIH de 33 à 46% en 10 ans. En Nouvelle Galles du Sud, état australien où le travail sexuel est entièrement dépénalisé, aucun cas de transmission VIH n’a été enregistré entre une travailleuse du sexe et un client. En Nouvelle Zélande, seul pays au monde où le travail sexuel est entièrement dépénalisé, les travailleurSEs du sexe déclarent se sentir plus en sécurité et pouvoir appeler la police en cas d’agression. Elles peuvent faire valoir le droit du travail et faire condamner leur employeur en cas d’abus.

En France, le gouvernement a choisi d’exclure du PIB l’apport économique du travail sexuel par peur que cela serve d’argument contre sa politique de pénalisation. Quelle logique y a-t- il en effet à pénaliser le recours à un service sexuel qui est légal et fiscalement imposable ?

L’effet psychologique de la loi votée définitivement le 16 avril 2016 est en tout cas déjà là. Les déplacements et bouleversements induits par la pénalisation des clients ont accentué une précarité qui était pourtant déjà grande chez les travailleurSEs du sexe les plus fragiles. L’organisation Mouvement du Nid s’en félicite en expliquant que plus de personnes leur demandent de l’aide. Mais est ce vraiment un progrès quand la précarité est plus forte alors même que le gouvernement n’a pas suffisamment de ressources à offrir ?

L’état avance un budget de 4 millions d’euros par an, dont certains montants ont été pris sur des attributions précédemment allouées à la prévention pour la santé sexuelle. Or, si l’on prend au sérieux le (sous évalué) chiffre de 30 000 prostituées en France, cela signifie 160 euros par an par personne.

Surtout, la fameuse et dite « aide » est conditionnée à l’arrêt du travail sexuel. Cela signifie une perte nette de revenus puisqu’au lieu d’être reconnuEs comme des travailleurSEs déclaréEs pouvant participer à la vie économique du pays, ayant accès aux mêmes droits et protection sociale, on nous préfère toucher le RSA. Les ateliers dits de « réinsertion sociale » ne sont pas moins de l’exploitation que ce que nous faisons dans le travail sexuel. L’Amicale du Nid propose des travaux de façonnage d’imprimerie et de mise sous plis pour 350 euros par mois à 20 heures par semaine.

Les travailleuses migrantes signalent des agressions

Mais l’impact n’est pas qu’économique. Médecins du Monde et le Bus des Femmes qui gèrent en commun un programme anti-violences 9 et d’accompagnement des victimes notent que depuis la loi, deux fois plus de travailleurSEs du sexe signalent des agressions, en particulier chez les femmes migrantes qui se résignent à accepter des hommes potentiellement dangereux qu’elles auraient auparavant refusés comme clients.

Celles ne parlant pas bien français et qui avant se débrouillaient pour communiquer directement avec les clients dans la rue doivent à présent passer par des intermédiaires qui leur demandent une compensation financière en échange des petites annonces et de leur communication. Une loi qui était censée lutter contre l’exploitation ne fait donc que la renforcer, croyant résoudre le problème en forçant les travailleurSEs du sexe et leurs clients à se cacher.

Même chose concernant la lutte contre le travail forcé et la traite des êtres humains. Tandis que le gouvernement déclare toutes les travailleuses migrantes comme victimes de la traite, ces dernières doivent en revanche prouver qu’elles ont bien été victimes pour obtenir de l’aide. Une aide, encore une fois, conditionnée à l’arrêt de la prostitution, alors que la plupart n’ont aucun moyen de trouver un autre travail. Ce tri entre les bonnes et les mauvaises victimes est pourtant contraire au protocole de Palerme signé par la France qui prévoit que toute victime a droit à la protection.

Cela n’encourage aucunement les victimes à signaler les cas d’abus, surtout quand elles sont elles- mêmes criminalisées pour proxénétisme lorsqu’elles partagent un appartement où elles doivent vivre à plusieurs. Les forces de police sont gâchées à faire la chasse aux clients ou aux propriétaires des logements tandis que des organisations criminelles agissent.

Tout cela ne répond qu’à une seule logique : celle d’affirmer une norme symbolique pour condamner moralement la prostitution. En attendant, les conséquences réelles de ces politiques de pénalisation continuent de détruire des vies qui semblent pouvoir être sacrifiées pour le bien d’une idéologie bien pensante et détachée des réalités.

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Thierry Schaffauser est travailleur du sexe et syndicaliste. Il est cofondateur du Syndicat du Travail Sexuel et coordinateur national du collectif Droits & Prostitution regroupant l'ensemble des associations de santé communautaire par et pour les prostituées. Il milite depuis de nombreuses années dans la lutte contre le sida, pour les droits des minorités sexuelles et de genre, dont évidemment les travailleurSEs du sexe. Il est également auteur de Les Luttes des Putes paru aux éditions La Fabrique en octobre 2014.

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