La contrefaçon de médicaments - phénomène grandissant et encore mal connu – devient une menace majeure pour la santé publique. D'après une étude de l'Institut de Recherche Anti-Contrefaçon de Médicaments (IRCAM), les ventes de contrefaçons médicamenteuses sont responsables de la mort d’un nombre conséquent d’individus dans le monde. Pour les marques et les laboratoires, ce fléau peut nuire, à la fois aux sources de leurs revenus, mais également à leur réputation. Pour le contrer, la réponse pourrait bien se trouver dans l'analyse des données.
Une menace mondiale
Avec le déplacement de la fabrication des médicaments vers des marchés moins développés et l'essor du commerce en ligne, la menace des médicaments contrefaits prend de l'ampleur chaque année. Entre 2011 et 2015, les saisies de faux comprimés ont bondi de 2,4 millions à 20,7 millions (1). L'industrie pharmaceutique est composée de réseaux complexes tout autour de la planète, ce qui complique considérablement la lutte contre la contrefaçon. Un comprimé peut, ainsi, voyager à travers une douzaine de pays lors de sa seule fabrication : soit autant d'occasions pour les criminels d'introduire des médicaments contrefaits au cœur de la chaîne logistique.
Prenons un exemple : avant d'atterrir sur le sol américain, le Bevacizumab - médicament utilisé en association dans le cadre de chimiothérapies pour arrêter la croissance des tumeurs - peut transiter par la Turquie, la Suisse, le Danemark, le Royaume-Uni et enfin le Canada. Plusieurs patients cancéreux ont reçu, il y a quelques années, de l'amidon de maïs à la place du Bevacizumab. Difficile d'évaluer les conséquences d'un tel drame, étant donnée l'état avancé des patients concernés. Mais cela illustre la difficulté d’enrayer le phénomène des médicaments contrefaits.
Le système d'approvisionnement pointé du doigt
Dans certains cas, des lots de contrefaçons ont été ajoutés à des lots originaux au cours d'une livraison auprès des hôpitaux. "Les faussaires falsifient simplement les documents de livraison en ajoutant un zéro supplémentaire à la quantité fournie, puis comblent la différence en ajoutant leurs propres cartons à la commande", raconte Sabine Kopp, secrétaire exécutif du Groupe spécial international de lutte anti-contrefaçon de produits médicaux (IMPACT) et chef du programme à l'OMS de lutte contre les contrefaçons (2).
Une partie du problème trouve donc sa source dans le système d'approvisionnement pharmaceutique et porte préjudice à l'ensemble du secteur médical. Sans compter les pertes financières : d'après un rapport, les médicaments contrefaits coûteraient aux entreprises américaines plus de 200 milliards de dollars par an (3). L'impact est enfin sociétal, puisque d'après ce même rapport, ce sont 750 000 emplois qui seraient détruits par la contrefaçon de médicaments (3).
Comment surveiller l'ensemble de la chaîne logistique ?
Dans ce contexte, comment fabricants et distributeurs peuvent lutter contre la fraude ? Il semble indispensable de surveiller l'ensemble de la chaîne logistique en traçant ces produits à tous les stades de leur cycle, de l'usine jusqu'au patient. Des dispositifs de protections strictes et efficaces doivent être élaborés pour chacun de ces cycles, de l'identification à l'étiquetage en passant par l'emballage des produits, afin d'endiguer toute intrusion dans les circuits de fabrication et de distribution.
Un nouveau règlement, appelé Falsified Medicine Directive, ou FMD est entré en phase de test le 6 février 2016 pour une période de 3 ans (4) et tend à garantir un niveau de protection élevé de la santé publique contre les médicaments falsifiés. Au moyen de mesures de contrôle et de sécurité harmonisées aux frontières et au sein de l’Union européenne, la Directive permettra de faciliter la détection des médicaments falsifiés, d’améliorer la qualité des vérifications et des contrôles de la chaîne de production et de distribution pour, à terme, éviter l’introduction de produits falsifiés au sein de la chaîne légale du médicament. Elle intègre également de nouvelles exigences auxquelles vont devoir répondre les pharmacies en ligne, et ce, afin de contrer la vente illégale de médicaments via Internet.
Pour optimiser le suivi des médicaments et ainsi assurer leur conformité, voici quelques conseils à l'égard des sociétés pharmaceutiques :
- tracer les produits mais aussi leur véritable composition tout au long de la chaîne logistique,
- fournir une source de données fiables sur la production d'emballage et les rapports de conformité,
- compléter les données produit par d'autres informations connexes, comme celles concernant les sites de fabrication,
- établir des procédures d'étiquetage strictes et cohérentes pour assurer une identification complète de chaque produit stocké,
- corréler les informations de sources hétérogènes pour déterminer des profils de chaîne logistique,
- enregistrer et gérer les données des brevets et de propriété intellectuelle de chaque produit,
- compléter les étiquettes des médicaments par des identifiants de production.
Les conséquences désastreuses de la contrefaçon de médicaments mettent en lumière l'urgence, pour le secteur pharmaceutique, d'améliorer les processus de gestion des données et de garantir des normes élevées de gouvernance des données. Une nécessité renforcée par la récente mise en place de la réglementation sur l'identification des produits médicamenteux (IDMP) au sein de l'Union européenne. Sans une meilleure gestion des données, au-delà des enjeux colossaux pour l'industrie pharmaceutiques, ce sont les individus qui vont continuer de courir des risques sanitaires majeurs.
(2)https://www.who.int/bulletin/volumes/88/4/10-020410/en/
(3)https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4105729/