L’INRA vient de consacrer une étude à l’élevage et à la consommation de viande. Cette étude revient sur quelques idées fausses concernant l’élevage et ses méfaits écologiques.
Les généralisations abusives
Elles consistent à mettre toutes les formes d’élevage « dans le même panier ».
Par exemple, les émissions de gaz à effet de serre sous forme de méthane sont parfois attribuées à l’élevage en général, alors qu’elles concernent essentiellement les « rots » des ruminants.
En outre, que ce soit sur le plan environnemental ou sur le plan du bien-être animal, on ne peut pas considérer de la même façon des systèmes aussi différents que, par exemple, les « feed lots » américains – où les bovins sont engraissés rapidement dans des parcs avec du maïs – et les élevages de bovins dans les pâturages de montagne.
Feed lot américain© Wikipedia Commons |
© Inra, SLAGMULDER Christian |
Les simplifications
Les chiffres doivent être maniés avec précautions… Dans l’idéal, il conviendrait de préciser chaque fois les méthodes et les conditions d’obtention de ces chiffres et d’en relativiser la portée et la signification. Quelques exemples :
– L’eau consommée par l’élevage : que prend-on en compte ?
Observation par satellite du cycle de l’eau.© Inra, Jean-Pierre Lagouarde Inra
On trouve très fréquemment le chiffre de 15 000 litres d’eau consommée pour produire un kg de viande. Mais ce chiffre, obtenu par la méthode de « water footprint » (empreinte eau) englobe l’eau bleue (eau réellement consommée par les animaux et l’irrigation des cultures), l’eau grise (eau utilisée pour dépolluer les effluents et les recycler) et l’eau verte (eau de pluie). Or cette méthode a été conçue pour des sites industriels et ne tient pas compte des cycles biologiques. En réalité 95% de cette empreinte eau correspond à l’eau de pluie, captée dans les sols et évapotranspirée par les plantes, et qui retourne de fait dans le cycle de l’eau. Ce cycle continuera même s’il n’y a plus d’animaux. La communauté scientifique considère qu’il faut entre 550 à 700 litres d’eau pour produire 1kg de viande de bœuf. En eau utile (1), il faut 50 litres.
– Les gaz à effet de serre (GES) : comparer des chiffres comparables
Extrait d’une plaquette affirmant que l’élevage rejette plus de CO2 que les transports.© Inra, Patricia Guerrini, Jean-Antoine Prost
On compare souvent des chiffres non comparables ! C’est ce qui se passe quand on affirme que l’élevage rejette plus de GES (14,5%) que le secteur des transports (14%) en oubliant que ces deux chiffres sont obtenus par des méthodes différentes ! Le calcul pour l’élevage émane de la FAO, sur le modèle des analyses de cycle de vie, qui inclut diverses dimensions de l’élevage (2). Alors que le calcul pour les transports, qui émane du GIEC, ne prend en compte que les émissions de GES des véhicules en circulation (3). Par la méthode d’analyse de cycle de vie, cette valeur serait beaucoup plus élevée.
Les fausses bonnes idées
– Supprimer l’élevage réduirait le gaspillage des ressources et l’empreinte carbone de notre alimentation
80% des aliments donnés aux animaux d’élevage ne sont pas consommables par l’homme. Source : Global Livestock Environmental Assessment Model, FAO.© Inra
C’est oublier que plus de 70% de la ration des ruminants est composée de fourrages (herbe, foin, ensilage, enrubannage) non consommables par l’homme, et que cette herbe provient de prairies qui ont un fort potentiel de fixation du carbone. Des résultats comparables ont été observés en France (4).
C’est oublier aussi que les aliments concentrés utilisés pour les monogastriques (porcs, volailles) et les herbivores valorisent les résidus de cultures et les sous-produits des filières végétales destinées à l’alimentation humaine ou aux biocarburants (tourteaux, sons, drèches, etc).
– Réduire drastiquement la consommation des produits animaux améliorerait la santé de l’homme
L’exemple des USA est éclairant sur l’effet négatif d’une politique de stigmatisation de la viande : entre 1971 et 2010, la préconisation des autorités de santé américaine de réduire les graisses animales dans les régimes alimentaires a conduit à une augmentation du sucre dans l’alimentation. La prévalence de l’obésité aux USA est passée de 14,5 % à 30,9 % sur cette même période, et en 2012, les diabètes de type 2 touchaient un américain sur dix. La recommandation de réduire les graisses animales a été aujourd’hui purement et simplement supprimée (5).
Seuls de forts excès de consommation de viande peuvent être défavorables à la santé, en termes de risques cardiovasculaires et de risques de cancer du côlon (voir article 3).
En revanche, il semble raisonnable de diminuer le ratio protéines animales/protéines végétales (en poids) qui est, dans notre alimentation occidentale, supérieur aux recommandations nutritionnelles internationales (voir article 3). Cette évolution de nos régimes vers moins de viande pourrait aussi avoir un effet bénéfique pour l’environnement (voir article 7).
– Le sol serait mieux utilisé pour la culture de végétaux que pour l’élevage d’animaux
Dire que l’élevage utilise 70% des terres agricoles n’est pas faux, mais on doit préciser aussitôt qu’il s’agit essentiellement de terres non labourables composées de prairies et de zones herbeuses (6).
De plus, plusieurs études conduites avec l’Inra démontrent les bénéfices environnementaux des prairies. Leurs sols sont plus riches en biomasse microbienne et en biodiversité que les sols des cultures. Ils stockent plus de carbone, sont 20 fois moins sensibles à l’érosion et filtrent mieux les eaux (7). Plusieurs projets de recherche européens (8) ont montré que le stockage de carbone des prairies compense l’équivalent de 30 à 80% des émissions de méthane des ruminants. Des travaux récents du Cirad viennent d’étendre ces résultats aux zones d’élevage subtropicales. Les prairies renferment aussi une diversité floristique favorisant les populations de pollinisateurs.
– Remplacer la consommation de viande par des substituts de viande tels que la viande artificielle ou les insectes
La fabrication de viande artificielle in vitro est présentée comme une solution pour bénéficier de la valeur nutritionnelle de la viande en se passant d’élevage. Cependant, ce procédé n’est pas au point pour l’instant. Il est énergétiquement très coûteux et utilise massivement des molécules qui sont par ailleurs interdites en élevage (hormones, facteurs de croissance, antibiotiques, etc.), ce qui conduit à s’interroger sur la pertinence sanitaire, culturelle et environnementale de cette voie d’innovation (voir article 4).
Quant à la consommation d’insectes, elle ne dépasse pas 10% des apports alimentaires dans le pays qui en consomme le plus (Zimbabwe). Elle semble plutôt destinée pour l’instant à contribuer à l’alimentation des animaux domestiques.
(1) Eau utile : quantité d’eau dont est privée la ressource (eau consommée), pondérée par un facteur de stress hydrique régionalisé : la perte d’un litre d’eau n’a pas le même impact dans le désert qu’en montagne par exemple.
(2) Dont la production des aliments et intrants, transformation des aliments, transports, consommation d’énergie etc.
(3) Les émissions liées à la fabrication des véhicules et à l’extraction, raffinage et transport du pétrole, notamment, ne sont pas prises en compte, alors qu’elles le seraient dans une démarche de cycle de vie.
(4) B. Rouillé et al. OCL 2014, 21(4) D404. DOI: 10.1051/ocl/2014017
(5) Dietary Guidelines for Americans 2015-2020 – 8th edition.
(6) Les terres émergées se répartissent actuellement en 31% de prairies et zones herbeuses, 11% de terres cultivées, 41% de forêts et zones arbustives, 17% autres usages (FAO, 2010). Les surfaces en herbe représentent donc 74% des terres agricoles (31%/42%).
(7) Programme Genosol.
(8) Programmes Nitro Europe (2006-2011) https://www.nitroeurope.eu/, Animal Change (2011-2015). Lire l’article.