On annonce des révolutions RH chaque année. Dans les faits, une minorité seulement s’installe dans la durée. C’est la différence entre les effets de mode et le sens de l’Histoire. Ce qui va vous être raconté ici appartient à la seconde catégorie.
Le CV : une incontournable injustice
Le CV est aujourd’hui utilisé dans la quasi-totalité des recrutements. C’est d’ailleurs sa pièce maîtresse, et une clé d’entrée incontournable pour l’accès à l’emploi. Alors, comment donc oser titrer que c’est un non-sens ? Est-ce renier les compétences des professionnels du recrutement ? Surement pas ! Mais le recrutement existe depuis bien plus longtemps que le CV, et il continuera d’exister sans lui. En tout cas sous une autre forme que celle qu’on lui connaît aujourd’hui.
Formalité qui avait sa place et son sens lorsque l’on recrutait des compétences stables dans le temps, le CV est aujourd’hui de plus en plus remis en question. En effet, comme en témoigne Isabelle Rouhan, Présidente de l’Observatoire des Métiers du Futur : « Une compétence durait 40 ans dans les années 70, aujourd'hui elle dure entre 12 et 18 mois. On va tous changer de métier plusieurs fois dans notre vie ». Quelle légitimité alors à prendre une décision sur la base d’un document pour grande partie obsolète ?
Il est donc temps de déconstruire cette préconception : non, le CV ne correspond plus au monde moderne. Il existe simplement car il s’est installé dans nos têtes et dans nos pratiques, de sorte qu’on l’utilise comme un réflexe. En réalité, c’est un outil qui contribue à la reproduction des inégalités d’accès à l’emploi.
Une infantilisation mal placée
Il y a pléthore de publications scientifiques qui mettent en lumière la (très) faible capacité du CV à prédire le succès professionnel futur. Dis autrement, ce n’est pas ce que vous avez fait par le passé qui dira ce sur quoi vous serez en succès à l’avenir.
Malgré ce constat rationnel, il est tentant de se demander « Pourquoi opposer le CV et les autres techniques d’évaluation ? Pourquoi ne pas les utiliser de façon complémentaire ? ». Le problème sous-jacent, c’est que cela revient surtout à infantiliser inutilement vos candidats, à perdre un temps précieux, et à polluer votre process décisionnel avec des informations non pertinentes.
Une annonce bien rédigée reprend l’ensemble des conditions pour postuler. Le métier de recruteur ne peut pas se réduire à vérifier que les candidats cochent bien les éléments mentionnés dans l’annonce…Ou alors on marche sur la tête. Qui se lance dans le recrutement pour filtrer des CV ? Évincer sur le CV, c’est finalement dire en clair au candidat « Tu n’as pas compris l’annonce, tu ne mérites pas ce job.». C’est profondément frustrant, déstabilisant et rabaissant.
D’aucuns ajouteront « Mais si on recrute un expert technique, il faut bien valider que la personne sait faire le job, non ? ». Et si vous commenciez plutôt la relation en leur faisant confiance : listez les pré-requis du poste dans l’offre d’emploi, et laissez-les évaluer si ils les possèdes. Ça n’est pas donner une carte blanche, c’est juste leur donner accès à l’étape du recrutement où il y aura une réelle évaluation de leur potentiel, et pas simplement de leur passé.
Quelles alternatives (crédibles) ?
Les articles se multiplient sur le sujet, comme celui récent de Welcome To The Jungle qui titre « Demain, tous recrutés sans CV ? ». Nous sommes donc nombreux à partager ce constat, moins à proposer des alternatives viables. Car il faut être lucide : si rien de réaliste en termes de temps, de coût et de résultat n’est proposé, alors rien ne changera.
Qu’est-ce qu’une alternative viable à la présélection sur CV ?
- Être plus rapide qu’un tri de CV… qui prend seulement 7,4 secondes par candidat.
- Permettre des décisions plus fiables qu’un CV.
-Créer une meilleure expérience candidat que le CV.
Le premier point est relativement facile à challenger. Le défi, c’est d’allier les trois critères. Cela écarte les solutions trop lourdes (type serious game), les solutions peu scalables (type speed dating) ou celles trop superficielles qui risquent de reproduire les mêmes biais que le CV (type entretiens vidéos).
La seule alternative viable, crédible et éprouvée pour répondre à ces 3 exigences est celle des tests psychométriques qui évaluent le potentiel des candidats à travers des dimensions complémentaires (Raisonnement, intérêts, personnalité…).
Cette conclusion ne s’applique pas à tous les tests : ils doivent allier modernité (pour l’expérience candidat et pour faire gagner du temps aux recruteurs) et fiabilité (avoir fait leurs preuves en termes de capacité à anticiper le succès en poste) et accessibilité (pour inclure l’ensemble du public concerné par la recherche d’emploi).
Ces tests n’ont rien de nouveau. Ce qu’il faut changer, c’est de les faire intervenir au plus tôt dans le processus de sélection. Le premier filtre est en effet celui qui a l’impact quantitatif le plus important : il détermine les candidats qui auront accès aux entretiens. Or, utiliser des tests en début de process multiplie en moyenne par 4 la qualité de la sélection réalisée.
Qu’on se le dise, le CV sera toujours présent en 2022. Est-ce pour autant satisfaisant, pertinent ou même souhaitable ? Absolument pas. On peut simplement agir pour voir les pratiques évoluer vers des alternatives viables et plus bénéfiques pour tous. Et on peut penser que la pénurie de candidats combinée à la volonté des professionnels RH de renforcer la diversité dans le recrutement poussera aussi en ce sens. Car ce sens, c’est celui de l’Histoire.