Activer la culture du feedback dans l’entreprise

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Par Bernard Marie Chiquet Publié le 12 novembre 2021 à 6h58
France Entreprises Management Changement Mentalite
22%85% des managers disent aimer manager mais seulement 22% aiment beaucoup cela.

Beaucoup d’entre nous, sans trop le savoir, sans trop se l’avouer, vivent sur leurs acquis. Entendre ce que les autres ont à dire sur leur travail, sur leurs comportements, reste un effort qu’ils se refusent à faire. Difficile dans ces conditions de vouloir ou de pouvoir évoluer. Difficile pour les autres de partager, de faire un retour et donc de faire évoluer positivement la relation. Celle-ci se retrouve inévitablement dans une impasse.

Résistance au changement

Bien souvent, rien n’est fait pour analyser les échecs et les succès, pour expliquer ce qui y a conduit. Et, ce qui est vrai en aval du processus l’est aussi en amont. Il n’y a pas ou peu de prise de recul. Toute démarche et toute réflexion n’est que peu ou pas challengée. Dans ces conditions, difficile de progresser puisque trop peu d’enseignements sont tirés. Pas d’ouverture à de nouveaux outils, à de nouveaux horizons.

L’indice d’enseignabilité, combinaison de deux indices clés - volonté d’apprendre et volonté d’accepter le changement - reste faible à l’intérieur de l’organisation. Sans s’en rendre compte, sans le souhaiter, on sombre dans la résistance au changement et, parallèlement, dans l’accumulation de mal-vécu. Le résultat d’une contradiction profonde entre une volonté d’apprendre incontestable - présente chez la plupart des personnes - qui se heurte à une résistance encore plus forte, à toute forme de changement. Le risque de conflit n’est pas très loin et, surtout, l’échec est accepté et vécu comme irréversible. La relation - parfois conflictuelle – avec autrui est difficile car rythmée par les non-dits et les biais cognitifs.

Feedback inversé et réciprocité

Derrière la question du feedback, c’est celle de la capacité de chacun, au sein de l’organisation, à s’améliorer, en continue, par l’apprentissage et la mise en mouvement. Concrètement, que dois-je faire pour faire comprendre à un collègue que son comportement est gênant ? Surtout, comment le faire sans que cela ne provoque un ressentiment, sans que cela ne soit pris à un niveau personnel ? Plus généralement, comment faire en sorte que cette démarche vertueuse devienne culture dans l’entreprise ? Mais, si nombre d’entreprises ont bien saisi l’importance du coaching et de la co-construction pour faire grandir leur organisation, le challenge - cette énergie positive indispensable à la création de valeurs - reste le parent pauvre de ce triptyque fondamental. Car, comme on peut l’observer trop fréquemment, sans challenge c’est la complaisance qui s’installe, le progrès qui s’estompe et l’énergie de la vie qui s’étiole. Le challenge est une façon saine d’avancer sans blâmer, et de nourrir un besoin légitime de création de valeurs.

Si les conditions ne semblent pas en place a priori, il est essentiel de les créer pour que chacun puisse être challengé. Pas pour blâmer ou contester mais pour inviter, inciter à progresser, ce qu’un client appelle « le fearless feedback » (le feedback sans peur). Une démarche à institutionnaliser, à inscrire dans l’ADN de l’entreprise pour que chacun y ait recours, sans incriminer mais pour aider ses collègues à progresser.

Mais avant d’en arriver là, comment faire avec cette personne à qui je ne peux pas envoyer de feedback sans courir le risque qu’elle prenne mes remarques et mes critiques à un niveau personnel, et accumule un mal-vécu destructeur ?

Un certain nombre de pistes peuvent permettre d’y parvenir. Notamment celle qui consiste à inverser la logique de la démarche sous la forme d’un feedback inversé. Cela se traduit par une première phase où la personne est invitée à exprimer tout son mal vécu accumulé, en lui garantissant qu’aucune réaction, qu’aucune réponse ne sera « retenue contre elle ». Pas de jugement, rien n’est pris à titre personnel par celui qui initie et écoute. Une expérience aux effets cathartiques pour celui qui s’exprime.

À la suite de ce feedback inversé, il est temps de proposer un feedback sur ce feedback. C’est l’occasion espérée pour pouvoir enfin exprimer ses remarques et ses critiques dans un processus de réciprocité. Une technique beaucoup utilisée en médiation pour sortir deux personnes dont les relations sont sous tension, marquées par la défiance et la crainte du jugement. Ici, la réciprocité est la solution qu’aucune partie ne peut refuser dès lors que l’autre l’a accepté. Car, il y a un besoin sincère et réciproque d’exprimer les choses et de sortir de la crise.

Dans notre cas, c’est l’opportunité de jouer « carte sur table », d’exprimer son ressenti, ses frustrations. C’est l’occasion d’expliquer et d’expliciter sa vision des choses, ses aspirations en matière de relations interpersonnelles. Particulièrement le besoin de travailler avec des personnes que l’on peut challenger sans craindre d’être mal compris, que ses demandes soient perçues comme des attaques personnelles ; de sorte qu’une véritable coopération puisse émerger et les relations entre personnes soient autant d’occasions d’apprendre et de progresser.

Pour opérer ce feedback dans l’organisation - ce « nettoyage » régulier et hygiénique - il convient donc de toujours commencer par un feedback inversé et d’en faire un réflexe pour tous dans l’entreprise. Un réflexe de self-manager. Rien d’inaccessible donc pour tous ceux qui souhaitent mettre en place une culture du feedback au sein de leur organisation. Mais quelle plus-value à la clé pour tous ! Exprimer ses griefs, son mal-vécu, pouvoir écouter et partager celui d’autrui. Cela ouvre la voie vers des équipes qui savent faire face, affronter ensemble les difficultés, s’engager pour elles-mêmes et le collectif, et, in fine, être créatrices de valeurs pour l’entreprise.

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Bernard Marie Chiquet est le fondateur de l'institut iGi et créateur du management constitutionnel.  Il a quitté le monde de l’entreprise en 2005 considérant que tous les systèmes organisationnels qu'il avait vécus et observé étaient inadaptés et souvent inhumains. En 2010, il a découvert l'Holacracy® et a décidé de se focaliser sur ce nouveau management qui lui semble répondre de manière durable aux problèmes qu'il avait rencontrés dans les entreprises. Il est désormais certifié Master Coach (premier en Europe), le plus haut degré de certification en Holacracy.

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