Jean-Marc Ayrault a obtenu de l’Assemblée la baisse de la CSG pour les salariés payés moins de 1,3 SMIC. Cette mesure d’un populisme imbécile illustre bien, dans le domaine fiscal, la conception de la démocratie qui domine: du pain et des jeux, comme on disait à Rome – façon commode d’endormir la conscience des citoyens peu à peu privés de leurs libertés de choix et d’agir.
Les objectifs d’une baisse de la CSG
L’amendement porté par Jean-Marc Ayrault et Pierre-Alain Muet est issu de leur ouvrage publié cet été à la fondation Jean-Jaurès. La particularité de cet opuscule est de ne jamais interroger le sens de l’impôt et de considérer celui-ci comme acquis: il faut baisser l’impôt des revenus les moins aisés (sans s’interroger sur ce qu’il finance, ni sans s’interroger sur la limite fiscale haute acceptable), il faut favoriser les familles où les deux conjoints travaillent et pénaliser celles où la femme ne travaille pas, il faut créer un impôt unique qui soit progressif.
Cette doctrine repose sur une série de non-dits qui dissimulent un projet global d’étatisation de la société: la dépense publique est bonne par principe et ne doit pas avoir de limite.
Il est urgent de retrouver ce qui fonde l’adhésion à l’impôt pour financer nos priorités : l’éducation, les services publics, la solidarité, l’accès à l’emploi, les investissements d’avenir…
On découvre donc que l’accès à l’emploi ou les investissements d’avenir sont par nature des dépenses publiques, non limitatives, bien entendu. Les trois petits points qui suivent l’énumération soulignent que la logique à l’oeuvre dépasse largement les dépenses régaliennes classiques.
L’objectif sous-jacent de l’amendement Ayrault consiste bien à baisser les impôts des moins favorisés pour rendre acceptable une expansion permanente du domaine de l’Etat.
Baisse de la CSG et sécurité sociale
En baissant la CSG pour les revenus inférieurs à 1,3 SMIC, la logique de Jean-Marc Ayrault comporte un puissant impact sur l’étatisation de la sécurité sociale. Dans la pratique, l’amendement de l’ancien Premier Ministre porte en germe un impôt « citoyen » où l’impôt sur le revenu et la CSG seront fusionnés. Autant dire que cette mesure prépare une étatisation en bonne et due forme, actée, définitive, de la sécurité sociale. Dans la pratique, le financement de celle-ci ne se distinguera plus de l’impôt classique.
C’est d’ailleurs ce point qui soulèvera probablement des questions sur la constitutionnalité du dispositif. Jusqu’ici, le Conseil Constitutionnel a toujours considéré que la progressivité de la CSG était inconstitutionnelle dans la mesure où elle transformait la CSG en un impôt lié aux capacités contributives de chacun sans évaluer celles-ci. L’amendement Ayrault se propose de remédier à cet inconvénient.
L’effet immédiat de ce dispositif, s’il était validé, reviendrait donc à étatiser la sécurité sociale de façon totalement officielle.
Cette étatisation passerait par une baisse de la contribution des ménages les plus modestes au financement de la dépense. La sécurité sociale, inventée initialement comme système contributif, c’est-à-dire apportant des prestations en échange de cotisations, deviendrait alors un système de solidarité financé par l’impôt.
Sécurité sociale et solidarité
Le passage d’un système contributif à un système de solidarité pose deux problèmes majeurs.
Premièrement: il n’est nullement discuté et s’opère par une manoeuvre d’arrière-cour sans aucun débat démocratique. La technique pose quand même un sérieux problème de transparence. Il serait pourtant tout à fait possible d’imaginer une fiscalisation de la sécurité sociale encadrée par une logique d’objectifs qui responsabilise les Français. Mais il faudrait que le sujet soit mis sur la table, et non préempté en catimini.
Deuxièmement: à la différence de tous les systèmes de solidarité existants dans le monde (notamment en Grande-Bretagne), il va prendre une dimension extrêmement intrusive. D’ordinaire, les systèmes de solidarité se contentent d’assurer un minimum de prestation pour les plus pauvres. En France, la sécurité sociale prétendra bientôt instaurer une dégressivité complète sur l’ensemble des prestations qu’elle délivre.
Autrement dit, de la naissance à la mort, les assurés les plus pauvres pourront bénéficier d’une assistance de vie, d’un revenu de solidarité, totalement financé par les classes moyennes: allocations familiales, prestations hospitalières, retraites, minima sociaux.
A la différence du système anglais, le système français verse se fonde sur des assiettes englobant l’ensemble des revenus. Il consistera donc à forcer ceux qui produisent de la valeur à financer l’existence et les besoins de ceux qui n’en produisent pas. Ce saut vers l’inconnu, qui produit de fortes désincitations à l’effort et au travail, a toujours été refusé par les concepteurs de la sécurité sociale.
Une mécanique injuste
Ce faisant, l’amendement Ayrault va introduire une profonde injustice dans son mécanisme.
Lorsque les prestations de sécurité sociale sont financées par des cotisations proportionnelles au revenu du travail, elles permettent une ouverture de droit: pour percevoir une retraite, il faut avoir cotiser. Pour percevoir des indemnités journalières en cas de maladie, la contrepartie est la même.
La mécanique introduite par Jean-Marc Ayrault rompt avec cette logique de contributivité des prestations. C’est le propre de la fiscalisation de la sécurité sociale, qui suscite déjà, dans certaines portions de la société française, un important agacement vis-à-vis de la CSG. Ceux qui y sont soumis ne perçoivent aucune prestation en contrepartie. C’est tout particulièrement le cas de la CSG sur les revenus du capital, qui diminue fortement la rentabilité de l’épargne sans ouvrir aucun droit spécifique aux assujettis.
La fiscalisation de la sécurité sociale aggravera cette distorsion: l’accès à la sécurité sociale aussi invasive et protéiforme que nous la connaissons aujourd’hui sera déconnecté de son financement. Plus que jamais, la sécurité sociale, et singulièrement la santé, apparaîtront comme un bien gratuit pour ceux qui paient peu. En revanche, les quotients fiscaux les plus élevés seront assommés par des prélèvements exorbitants.
Les dangers de ce choix sont bien connus.
D’un côté, les ménages qui financent le moins la sécurité sociale et qui en seront donc les bénéficiaires nets seront totalement déresponsabilisés dans leurs actes de consommation dans la mesure où chaque acte constituera pour eux un gain net. C’est la porte ouverte à la visite incessante chez le médecin et à la lutte obstinée contre un relèvement de l’âge de départ à la retraite pour équilibrer le système.
D’une autre côté, les ménages qui seront les contributeurs nets du système seront désincités à produire de la richesse pour le financer, ou bien quitteront progressivement un système qui les asphyxie: le coût de la santé deviendra, pour eux, prohibitif, et leur taux de remplacement de revenus au départ à la retraite deviendra ridiculement bas.
Du pain et des jeux
La logique de Jean-Marc Ayrault est bien connue. Elle repose sur un grand troc. D’un côté, les citoyens abandonnent tout principe de responsabilité et acceptent d’entrer dans un système de soumission à l’Etat. De l’autre, l’Etat leur garantit sécurité matérielle et distraction. N’allez plus travailler pour vous nourrir! du pain vous sera distribué gratuitement dans les arènes.
Télévision et sécurité sociale sont les mamelles du déclin français.
Article écrit par Eric Veraeghe pour son blog