Croissance ! Le mot fétiche de la classe politique et des économistes, gonflé de ses tendres vertus. Mais derrière ce mot se cachent bien des choses. Il convoque les mathématiques et interpelle la mystérieuse fonction exponentielle.
Il évoque les aspects humains (croissance démographique), et bien entendu les aspects économiques (croissance de la production, consommation, énergie, usages, déchets, déplacements), en fait, à tout ce qui gravite autour des constructions humaines (au sens général), l’Homme étant la seule espèce à avoir construit un système marchand planétaire.
L’objectif de cet article est de démontrer à l’aide de quelques notions mathématiques simples qu’une croissance économique à profil exponentiel, à l’échelle mondiale ou des zones développées, n’est absolument pas soutenable sur le moyen/long terme. Pour agrémenter l’article, quelques exemples suggéreront à la fois le caractère mystérieux, énigmatique, élégant, et diabolique de la fonction citée.
La croissance d’un organisme implique la croissance de 3 types de flux
Un individu, une espèce, un groupe, une société, un système économique, a toujours pour finalité le maintien de sa structure, et par conséquent doit gérer pour ne pas mourir trois types de flux : flux d’informations, flux de matières, et flux d’énergies. Cet aspect est important pour comprendre les implications et les enjeux d’une croissance économique mondiale qui reste encore à des niveaux élevés (autour de 3%), et particulièrement par rapport aux ressources naturelles disponibles, qu’elles soient renouvelables ou non, à nos espaces de vie et à ceux des autres espèces vivantes.
Par exemple : la production d’objets marchands nécessite des matières premières, des besoins énergétiques pour les processus de fabrication et de transformation, et l’usage d’informations pour planifier, produire, vendre, gérer, comptabiliser, payer, etc.
Une croissance exponentielle …, oui mais jusqu’où ? La Chine en exemple
D’emblée j’énonce un principe simple qui pourrait servir de conclusion: aucun système naturel sur terre ou construit de la main de l’homme ne peut supporter une croissance exponentielle très longtemps. Par « très longtemps » j’entends « quelques décennies ». Par exemple, la Chine pouvait-elle supporter une croissance exponentielle de 15% « très longtemps ».
Une telle croissance pendant 40 ans multiplie la production de biens et services par 268 ! Le chiffre parle de lui-même. Aujourd’hui elle affiche officiellement une croissance proche de 7%. A ce rythme, le niveau de l’activité économique est multiplie par 15 toujours au bout de 40 ans. Les chinois ont déjà quelques soucis pour respirer ! La question est alors : combien d’années peut-elle tenir à ce rythme ? La réponse est simple et tamponnée de bon sens : comme les autres pays développés, la croissance chinoise devra passer par une phase quasi linéaire (après la phase exponentielle), c’est-à-dire qu’en pourcentage elle croîtra de moins en moins, passant à 6% puis à 5%, à 4%, et ainsi de suite jusqu’à s’infléchir à l’approche du zéro pour ensuite stagner voire décroître ; ce sont les lois de la nature qui l’exigeront, et non pas la volonté des hommes.
Qu’est-ce que l’effet de base ?
Aujourd’hui, la Chine, avec une croissance proche de 7% accroît chaque année sa production d’une même quantité qu’il y a 10 ans lorsqu’elle affichait un taux de 15%. C’est ce qu’on appelle l’effet de base. 15% de croissance sur une base 100 donne le même résultat en termes d’expansion qu’une croissance de 7,5% sur une base de 200. Cet effet de base rend donc la croissance de plus en plus difficile. Il est facile de croître de 10 ou 15% par an lorsque l’on part d’un niveau bas. C’est le cas des pays sous-développés ou émergents, mais cela devient évidemment impossible lorsqu’un pays atteint un certain degré de « maturité économique ».
Petit rappel sur la fonction exponentielle
Il n’est pas question ici de faire de la théorie, mais plutôt de rendre les choses simples. Une croissance exponentielle (de base a) d’une quantité donnée correspond à une progression continue à taux constant de cette même quantité (on note cette fonction : expa(x) = ax ). On exprime souvent la croissance sous la forme d'un pourcentage : par exemple, une croissance de 10 % par an appliquée à une production signifie que celle-ci est multipliée par 1,1 chaque année.
Ainsi, pour un PIB de 2 000 milliards d’euros (PIB proche du PIB français) on aura :
Au bout d'un an, un PIB de 2000*1.1 = 2200 milliards d’euros;
Au bout de deux ans, un PIB de 2200*1.1 = 2420 milliards d’euros
Au bout de 10 ans : un PIB de 2000*(1,1 x 1,1 x 1,1 … 10 fois) = 5187 Milliards d’euros (2000 x 1,110)
Une propriété intéressante de l’exponentielle appliquée par exemple à une production : le doublement d’une production pour une période donnée par rapport à la période précédente, représente l’équivalent de tout ce qui a été produit depuis le début. Pas très clair ? Alors prenons un exemple où la production de biens double tous les 20 ans :
Période 1 (1 – 20 ans): 100 (Base 100 de la production en moyenne)
Période 2 (21 à 40 ans): 200 (Base 200 en moyenne sur les 20 ans)
Période 3 (41 à 60 ans): 400
Période 4 (61 à 80 ans): 800
Période 5 (81 à 100 ans): 1600
Période 6 (101 à 120 ans): 3200
On a produit pendant cette dernière période de 20 ans la même quantité que le siècle qui a précédé (la différence vient de la discontinuité). Au bout de 100 ans, la durée d’une vie, la production a été multipliée par 32. Le doublement de la production tous les 20 ans n’est que le résultat d’une croissante de 3,5% environ (niveau de la croissance mondiale et bien moins que pendant les 30 glorieuses !).
Que donne une croissance à 3%
oyons raisonnable, prenons simplement une croissance de 3% par an, niveau actuel de la croissance mondiale. La production sera multipliée par presque 20 en un siècle. Je vous laisse imaginer un petit instant les conséquences. 20 fois plus de produits fabriqués, 20 fois plus de camions sur nos routes pour les acheminer, 20 fois plus d’avions dans le ciel pour des touristes 20 fois plus gourmands d’évasion, 20 fois plus de services, 20 fois plus de déchets, 20 fois plus de tout en quelque sorte ! La croissance n’est pas que matérielle, elle concerne les services à priori moins gourmands en matières et en énergie, plus aptes à supporter de tels multiplicateurs. C’est peut-être dans ce domaine que les potentialités sont les plus fortes, mais je doute cependant que l’on puisse les augmenter dans ces proportions.
Un petit jeu : Le pliage d’une feuille de papier
Je propose un petit jeu simple qui consiste à plier une feuille de papier (épaisseur environ de 0,1 mm) en deux, puis en quatre, en huit, et ainsi de suite, cela 50 fois. Je pense que cela ne vous prendra pas plus de 2 ou 3 minutes. Question : est-ce que l’épaisseur finale dépassera 1cm, 1m, 10 m, 1km, 1000 kms, 10000kms, ou bien pourquoi pas la distance Terre-Lune ? Avant de poursuivre, essayez de répondre, c’est le jeu !
Voyons quelques résultats après les premières opérations :
- Après 5 pliages l’épaisseur est proche 3 mm (le pliage devient pratiquement impossible mais continuons virtuellement ...)
- Après 10 pliages l’épaisseur est proche de 10 cm
- Après 15 pliages, l’épaisseur est proche de 3,3 m (surprenant !)
- Après 20 pliages, elle dépasse 100 m
Après 50 pliages, l’épaisseur est de: 112 millions de kms, ce qui nous approche de la distance Terre-Soleil ! (149 millions de Kms).
Quand le problème est posé, on imagine qu’avec l’extrême finesse de la feuille de papier, il est impossible de dépasser une épaisseur finale de 1m ou bien 1 km, et encore moins la distance Terre-Lune. En doublant quelque chose de très petit, on obtient forcément quelque chose de très petit, qui doublé une nouvelle fois reste encore très petit ! C’est là que la fonction exponentielle dévoile une partie de ses secrets et ses mystères. Mais comme on dit « elle a encore d’autres tours dans son sac ».
Bon, quel rapport avec notre croissance économique ? Aucun bien sûr, sinon de mieux appréhender cette fonction diabolique nommée « exponentielle ». Elle est belle et élégante pour les politiciens impatients, affreuse pour les amoureux de la nature qui verraient à travers elle les agents du pillage et de la destruction.
Un petit graphique vaut mieux que tout mon bla-bla …
Ces courbes représentent le résultat d’une croissance économique sur 100 ans, l’un à 3% et l’autre à 5% par an. Le résultat est surprenant, la croissance à 3% (série 1) multiplie par 19 l’activité et la croissance à 5% la multiplie par 131. Je pense que nos politiciens devraient réviser leurs petits cours de mathématiques et réfléchir dès maintenant à de nouveaux modèles d’évolution. On le voit, la croissance mondiale à 3% par an n’est absolument pas tenable sur le long terme (le long terme pour l’humain, c’est le très très court terme de l’histoire des Hommes).
Est-ce que les pays dits développés sont condamnés à une stagnation séculaire
La croissance en France ou plus généralement dans les pays développés peut-elle revenir durablement, et si oui à quel niveau, de quelle manière, et avec quels moyens ? Les analystes économiques et les politiciens font état périodiquement de l’évolution du PIB, en rythme trimestriel ou annualisé, l’indicateur clé qui nous renseigne sur le niveau d’activité économique global. Ces dernières années, on ne regardait plus les chiffres à la loupe, mais plutôt au microscope, essayant d’y dénicher les petits dixièmes de points. La zone euro rattrape juste son niveau de PIB de 2008, huit ans après le début de la crise ; une décennie de perdue diront certains ; une décennie d’accalmie dirons les adeptes de la décroissance ou d’un développement durable. Aujourd’hui, « la France va mieux », répètent en cœur nos dirigeants de mauvaise foi, en pointant une reprise qui dépassera peut-être 1,5% en 2016. Certes les chiffres macro-économiques sont légèrement meilleurs, mais très loin d’être satisfaisants pour les sympathisants d’un modèle économique construit sur l’ADN de la croissance perpétuelle. Cette embellie laisse-t-elle présager une nouvelle période de croissance ou bien est-ce un léger rebond éphémère, conjoncturel ?
Comment fait-on de la croissance aujourd’hui
Depuis 50 ans, la croissance ne cesse de s’affaiblir passant de 5 à 6% en moyenne sur une décennie, à un niveau moyen inférieur à 1% aujourd’hui. Ce ralentissement est multifactoriel, mais il s’explique en grande partie par ce que j’ai énoncé plus haut et par le fait que l’on atteint des limites physiques, spatiales et temporelles. Quant aux 30 glorieuses, elles n’avaient rien de glorieux, étant donné qu’une large partie de ces années fut consacrée à la reconstruction d’après guerre. Elles ne constituent en rien une référence sur la capacité d’une économie à croître dans un contexte « normal ».
S’il y a bien des limites physiques, que pensez d’éventuelles limites liées aux revenus ou au pouvoir d’achat? S’il n’y a pas en théorie de limite à les faire croître, on peut facilement imaginer qu’on arrivera à une saturation de la consommation quand bien même on triplerait les salaires ou plus précisément le pouvoir d’achat. Quand on a tout, quand les besoins sont largement satisfaits, peut-on encore avoir plus? Quels sont les effets d’un doublement du revenu moyen sur la consommation? Les économistes ont largement débattus du sujet avec la notion d’utilité marginale. Pour nos pays dits développés, une croissance de 1,5 à 2% me semble être déjà un exploit, d’autant que le contexte actuel doit être analysé au regard du dimensionnement des politiques monétaires et budgétaires ainsi que des moyens mis en œuvre. D’énormes moyens financiers, associés à des schémas non conventionnels ont finalement produits assez peu d’effets. C’est un peu à l’image d’un agriculteur débutant qui croyait à une augmentation de ses rendements de 30% en doublant la quantité d’engrais épandue. Il arrive un moment où les systèmes ne réagissent plus ou moins bien à des facteurs d’entrée censés les dynamiser, par simple effet de saturation.
Conclusion
J’ai voulu démontrer que la croissance en volume (volume de produits) n’est plus compatible avec un monde fini et le maintien d’une qualité de vie, que la fonction exponentielle, aussi fascinante que diabolique, en fixait les limites d’un seul point de vue mathématique. La seule croissance qui pourrait être quasi infinie est celle de la connaissance, de la culture, du savoir, notre cerveau ayant une capacité quasi infinie à mémoriser, intégrer, imaginer, structurer. C’est celle-là qui devrait être mise en lumière, et non la croissance des objets futiles. Mais bon, je sais, les livres, ça ne fait pas beaucoup de PIB !
Peut-on concilier croissance et développement durable ? Peut-on accepter la croissance et en même temps se résigner sur la destruction de notre environnement ? Si on veut protéger l’environnement, on ne peut croître, ou du moins pas de la manière qui opère aujourd’hui. C’est un dilemme terrible pour une société qui à priori n’a pas trouvé d’autres solutions pour combattre le chômage et satisfaire les besoins d’une population mondiale toujours plus nombreuse et toujours plus encline à se gaver de biens superflus. Et à la pression de nécessité (satisfaire les besoins fondamentaux des individus) qui augmente avec la population mondiale, s’ajoute le futile, le frivole, l’inutile, l’insignifiance.