La croissance mondiale ne dépend pas que du bon vouloir des banques centrales… surtout lorsqu’il s’agit d’économie réelle.
Nous avons vu précédemment que la question de la soutenabilité du super-cycle économique en cours dépendra en principe de la durabilité des tendances suivantes : politiques budgétaires et monétaires expansionnistes, mondialisation, hausse de la démographie, pressions à la baisse sur les salaires et désinflation à l’échelle mondiale.
Démographie et productivité : deux facteurs structurels en berne au sein de l’OCDE… et pas que !
Comme je l’ai déjà évoqué dans ces colonnes, la « slowbalisation », c’est-à-dire la dégradation du commerce mondial, a bien sûr un effet néfaste sur la croissance économique globale. Sans parler d’un scénario de « guerre commerciale totale », lequel ferait basculer la plupart des économies dans la récession, selon les chiffres publiés fin mai par Moody’s.
J’aimerais profiter de ce billet pour évoquer brièvement les conséquences de la démographie et des gains de productivité sur la croissance mondiale en vous proposant cette réflexion de Natixis.
Notez que l’on est sur des facteurs qui produisent leurs effets de manière beaucoup plus lente que les politiques budgétaires et monétaires, mais qui sont tout aussi déterminants que ces dernières. Ici, nous nous intéressons donc aux tendances de long terme, et non à un accident de marché qui pourrait se produire dès demain.
Réponse courte : oui. Voici le raisonnement détaillé de la banque :
« Le déclin des gains de productivité est une évolution commune à tous les pays de l’OCDE. De plus, le vieillissement démographique va conduire à un recul de la population active dans tous les pays sauf les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
On va donc parvenir, dans le futur, à une croissance potentielle très faible, comme c’est déjà le cas en Italie, avec à la fois la faiblesse des gains de productivité et le recul de la population active en Allemagne, en France, en Espagne, en Italie, au Japon, ce qui est une perspective peu encourageante, de stagnation des économies, due fondamentalement au fait que le vieillissement démographique n’a pas été compensé par des gains de productivité plus importants. »
Ceci posé, voici à quoi s’attend l’équipe de recherche de Patrick Artus à l’horizon 2030 :
« S’il n’y a pas de redressement des gains de productivité qui vienne compenser le vieillissement démographique, on peut attendre une croissance potentielle en 2030 de l’ordre de :
1,3% par an aux Etats-Unis
0,6% par an au Royaume-Uni
-0,4% par an en Allemagne
0,5% par an en France
0% par an en Espagne
-0,8% par an en Italie
-0,7% par an au Japon. »
Cela fait d’ailleurs belle lurette qu’il ne faut plus compter sur les pays de l’OCDE pour tracter la croissance économique mondiale…
C’est en particulier sur les pays asiatiques qu’il faudra compter dans les décennies à venir pour prendre le relais.
La Chine devrait cependant voir sa croissance continuer de se réduire compte tenu de la dégradation de sa démographie. « Nous pensons que la croissance potentielle de la Chine va se diriger vers 4,5% par an à la fin de la décennie 2020, contre 6,2% par an aujourd’hui », écrit Natixis dans une note du 28 mai.
La banque émet par ailleurs un sérieux bémol sur la capacité de l’Inde (et de l’Afrique) à prendre le relais de la Chine, celle-ci manquant d‘épargne domestique.
Outre les pays de l’OCDE, c’est donc l’économie mondiale dans son intégralité qui devrait voir sa croissance diminuer dans les années à venir. Voilà qui pourrait poser quelques problèmes non pas théoriques mais au contraire très pratico-pratiques aux autorités politiques pour perpétuer le cycle…
Il n’est d’ailleurs pas exclu que les conséquences du vieillissement démographique et du ralentissement des gains de productivité ne se fassent pas sentir plus rapidement que prévu, comme l’imaginait Natixis le 24 avril.
La banque explique :
« Malgré l’effort d’investissement en nouvelles technologies et malgré la hausse du niveau d’éducation de la population, la productivité du travail ralentit.
Le ralentissement brutal et rapide de la croissance mondiale peut déclencher une crise de la dette, en dégradant la solvabilité des emprunteurs, peut amener, s’il n’est pas anticipé, un recul des prix des actifs et des prix des matières premières. »
Bienvenue dans une époque paradoxale
Résumons : comme l’indique ZeroHedge, malgré la montagne de dette publique et les wagons de cartouches monétaires qui ont été tirées par la Fed en particulier depuis 2008, les Etats-Unis sont encore en mesure de « manipuler la durée du cycle économique ». En théorie, sauf accident de parcours, c’est le retour de l’inflation qui mettra un terme au cycle d’expansion actuel, rendant sa gestion beaucoup plus ardue pour les autorités budgétaires et monétaires.
Comme l’illustre le graphique suivant, le cycle en cours se distingue en effet par l’impressionnante stabilité des prix à la consommation. En 10 ans, ils n’ont augmenté que de 18,5%, soit une hausse infime en comparaison des cycles qui se sont succédé depuis 1879.
C’est ce qui « a permis à la Fed de maintenir une politique accommodante aussi longtemps qu’elle l’a fait, et a contribué à prolonger le cycle au-delà de tous les autres », rappelle ZH.
Sur le plan de l’inflation du prix des actifs, c’est une toute autre histoire puisque si l’on considère le S&P 500, le cycle actuel a toujours porté l’indice américain sur des niveaux de progression parmi les plus puissants qui aient été enregistrés depuis 1854, seul le cycle ayant pris fin en mars 2001 l’ayant surpassé.
Voici ce que cela donne lorsque l’on compare la sphère financière à « l’économie réelle »…
Au final, on aboutit donc à « un cycle qui a toujours été l’un des plus faibles en termes de croissance économique, mais l’un des plus forts en termes de croissance du prix des actifs », ce qui atteste des « efforts extraordinaires déployés par les autorités mondiales pour assurer la poursuite de la reprise », comme le relève ZH. Voilà une situation quelque peu paradoxale, n’est-ce pas ?
Comme l’écrivait Bruno Bertez le 6 mai :
« L’économie mondiale vit dans l’imaginaire. Un monde fantastique, tout de carton-pâte, où les marchés boursiers atteignent de nouveaux sommets mais où la production de biens et de services, l’investissement et le commerce stagnent dans les principales économies. »
Reste à savoir si l’économie mondiale pourra éternellement être tirée par les Etats-Unis. Nous reviendrons sur cette question prochainement.
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