Les marchés plébiscitent la Grèce : audace ou masochisme ?

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Par Anthony Benhamou Publié le 21 avril 2014 à 2h37

Qualifié de "tonitruant" ou encore de "triomphal", le retour de la Grèce sur le marché obligataire, après quatre ans d'absence, a été unanimement salué. Il faut dire effectivement qu'avec plus de 550 investisseurs au rendez-vous, la demande a très largement dépassé les attentes. Un symbole de fin de crise dans l'épicentre de la zone euro ? Pas sûr…

Après le "Grexit", place au "Greturn" ?

C'est sans doute l'évènement de ce début d'année. Non, promis, cette fois-ci on ne vous parlera pas des déboires de l'économie française. L'objectif c'est de vous faire voyager. La Grèce. Une destination qui économiquement ne laisse pas forcément rêveur ; quoique… La semaine dernière en effet, les investisseurs internationaux se sont rués sur l'émission de dette hellénique à échéance cinq ans. Le pays a ainsi levé sans aucune difficulté 3 milliards d'euros à un taux de seulement 4,95% alors même que le ministère des finances souhaitait placer 2,5 milliards à un taux de 5,30%.

Qu'il semble donc loin le temps où le pays se voyait imposer par le marché des taux prohibitifs parfois supérieurs à 30% sur les maturités à dix ans. Qu'il semble également loin le temps où un scenario de type "Grexit", synonyme de sortie de la Grèce de la zone euro et d'implosion de cette dernière, était anticipé de tous. Pourtant c'était il y a seulement un peu plus d'un an. Mais c'est bien connu, les marchés ont la mémoire courte et aiment à monter sur un piédestal ce qu'ils ont adoré détruire hier. Souvent d'ailleurs, une seule déclaration peut suffire à rétablir la confiance d'investisseurs moutonniers ; George Soros lançait ainsi le 23 février dernier que son fonds était prêt à investir en Grèce "pour faire beaucoup d'argent, assez rapidement".

C'est donc la donne du moment. La zone euro est attractive et même les pays fragiles présentent aujourd'hui des opportunités de gains pour des investisseurs en quête de rendements. En témoigne ainsi la trajectoire du taux grec à dix ans dont la détente ne fait que s'accélérer depuis le mois de juillet dernier, passant de 11,69% à 6,27%, grâce notamment aux déclarations de Mario Draghi. Pour mémoire en effet, le président de la Banque Centrale Européenne avait indiqué lors de son allocution du 6 juin 2013 que les taux resteraient « à leur niveau actuel ou plus bas, pour une période prolongée » et que le programme OMT était prêt pour les Etats qui souhaiteraient le solliciter.

Mais outre la garantie européenne, le regain d'intérêt des marchés pour la dette hellénique peut également s'expliquer par le chemin parcouru par le pays. Car la Grèce de 2014 n'est plus celle de 2010 ni même de 2012. Sous tutelle depuis quatre années, le pays a en effet procédé à de douloureux ajustements notamment au sein de ses finances publiques afin de se laver du pêché originel et de regagner en crédibilité. Dans ce contexte, l'excédent budgétaire primaire (hors paiement des intérêts de la dette) affiché par l'Etat grec en 2013 peut s'analyser comme un signal fort en ce sens qu'il intervient un an avant la date fixée par ses bailleurs de fonds internationaux, même si le montant avancé de 3 milliards d'euros doit encore être confirmé par la Commission européenne.

Non-content d'avoir remis de l'ordre dans ses comptes publics, le gouvernement table désormais sur un retour de la croissance. Misant notamment sur la reprise de l'activité liée au dynamisme du tourisme, les prévisions officielles pour 2014 font en effet état d'un taux de croissance de 0,6%. Un vent d'euphorie semble donc souffler sur la Grèce. Et la publication des derniers indicateurs avancés dans l'industrie rend crédible ce scénario ; en janvier et février, l'indice PMI manufacturier s'établissait en effet au dessus du seuil d'expansion (51,2 et 51,3) avant de se replier légèrement en mars (49,7).

La Grèce serait-elle donc redevenue un Etat normal et solvable ? Au regard du succès qu'a rencontré l'émission obligataire grecque, il est tentant de répondre positivement. Les déclarations du directeur de l'Agence grecque de la dette évoquant une prochaine émission de nouvelles obligations souveraines participent en outre à envisager un scénario de type "Greturn". Et pourtant…

Derrière l'euphorie, la triste réalité

Le retour gagnant de la Grèce sur les marchés ne constitue en fait pas une surprise. Il n'a d'ailleurs même pas valeur de test. En optant en effet pour une émission sous forme de syndication, le gouvernement avait pu au préalable sonder les prix, les montants et les échéances sur lesquels les investisseurs étaient prêts à s'engager. Il ne prenait donc aucun risque. Au regard des fondamentaux économiques du pays, il ne pouvait de toutes les façons pas se le permettre.

La crise économique qu'a traversé le pays a en effet été dévastatrice. En l'espace de six ans, le PIB grec s'est contracté de 24%. Une telle destruction de richesses a bien évidemment eu des répercussions sur le marché de l'emploi où les chiffres du chômage sont les plus hauts d'Europe. Aussi, selon Elstat, l'institut de statistiques grecques, en janvier dernier, 26,7% de la population active étaient sans emploi, soit plus de deux fois le taux qui prévaut en zone euro. En ce qui concerne les jeunes de moins de vingt-quatre ans, cette proportion s'établissait à 56,8% après avoir atteint 60% en décembre 2013. Un véritable drame humain qui tend donc nettement à atténuer les unes dithyrambiques des journaux européens sur l'apparent "grand retour de la Grèce".

Outre le chômage de masse, la Grèce possède également le plus fort taux d'endettement d'Europe. Au troisième trimestre 2013 en effet, la dette du pays constituait 171,8% du PIB. Et la situation ne devrait pas s'arranger de sitôt, en dépit des nombreux efforts faits par la population. Car si le gouvernement grec peut se targuer d'afficher un excédent budgétaire primaire, le solde budgétaire comprenant le poste « intérêts de la dette » est pour sa part négatif et risque de le rester tant que la croissance ne sera pas soutenue. En d'autres termes, le pays est pris dans une spirale infernale où sa croissance ne suffit pas à rembourser les intérêts de sa dette. Pour couronner le tout, la Grèce est actuellement en situation de déflation, ce qui a pour effet d'alourdir encore et toujours le fardeau de sa dette.

Dès lors, deux solutions s'imposent ; soit les européens acceptent un défaut partiel sur la dette grecque, soit la cure d'austérité s'intensifie. Dans le cadre du déblocage d'une nouvelle tranche d'aide d'environ 8,5 milliards d'euros accordée par la troïka, il semble évident que le pays se dirige vers la deuxième voie. Un élément qui ne manquera certainement pas d'accroître la grogne sociale du pays. Car derrière les batailles de chiffres il y a la réalité. Il paraît ainsi important de rappeler qu'au « retour réussi » de la Grèce sur les marchés a précédé la veille une grève générale nationale de 24 heures à l'appel des syndicats du public et du privé. Pire, le jour même du « retour en fanfare », un attentat à la voiture piégée avait lieu à proximité du siège de la Banque centrale du pays.

Dans ce contexte, le succès du come-back grec sur le marché obligataire apparaît plus comme une victoire politique qu'économique. En témoignent notamment les déclarations d'Antónis Samarás pour qui « la confiance dans notre pays a été confirmée par notre juge le plus objectif : le marché ». Alors que les élections municipales et européennes approchent, il était en effet important pour le premier ministre grec de rassurer ses concitoyens et de leur prouver que les efforts finissent toujours par payer. Une justification quant à la nécessité de l'austérité. La visite éclaire d'Angela Merkel à Athènes le 11 avril dernier allait d'ailleurs dans le même sens. Mais une grande partie de la population ne semble pas être dupe et le berceau de la démocratie pourrait bien céder aux chants eurosceptiques des sirènes extrémistes du parti d'Aube dorée dans les semaines à venir.

Si la détente des taux offre donc de véritables opportunités d'investissement, il convient de bien garder à l'esprit que la situation économique, sociale et même politique du pays demeure excessivement fragile. La grande nouveauté réside néanmoins dans le fait que les marchés semblent de nouveau enclins à accorder du crédit à la Grèce. Mais cela passe par une poursuite incessante des efforts. Problème ; les grecs sont clairement à bout de souffle. En continuant donc sur le même rythme, le risque de voir la société grecque mourir tend à augmenter. Comble de l'ironie cependant, si la Grèce meurt, ce sera probablement guérie…

Paru sur acdefi.com et repris avec l'aimable autorisation de l'auteur

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Anthony Benhamou est un économiste diplômé de l'université de Paris Dauphine. Il a notamment exercé pendant trois années en tant que consultant auprès de grandes entreprises internationales. Maître de conférences à Sciences-Po Paris et tuteur enseignant à l'université de Paris Dauphine, il rédige par ailleurs avec Marc Touati de nombreuses chroniques économiques et financières pour le cabinet ACDEFI.

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