C'est le nouveau credo du gouvernement sur fond d'irresponsable quoi qu'il en coute: les faillites n’augmenteront pas en France : fruit d’un bon contexte macroéconomique avec une croissance forte (6,5%) en 2021 – même s’il ne s’agit que d’un imparfait rattrapage après l’effondrement de 8,3% du PIB en 2020- et des aides dispendieuses (70 milliards de soutien au chômage partiel et de fonds de solidarité, 160 milliards en report de cotisations et prêts PGEs) qui se poursuivent, les défaillances d’entreprises sont et resteraient à un plus bas historique (30 000 par an contre plutôt 45 000 en moyenne et 50-60 000 quand une récession frappe).
Or, sur le terrain, peu d’entrepreneurs ou de commerçants se font le relais d’une vision aussi optimiste. Et les économistes, tournés en dérision pour leurs prévisions apocalyptiques en Avril 2020, n’achètent pas entièrement la thèse gouvernementale.
En premier lieu, l’exercice macroéconomique de prévision de la croissance post crise reste un exercice d’équilibriste. Le scénario est facile jusqu’au printemps , car après l’effondrement et des levées progressives de restrictions sanitaires, la surconsommation de rattrapage, la reconstitution des stocks, la reprise des déplacements, stimulent fortement la croissance. Ce phénomène a commencé juste avant l’été en France et devrait se poursuivre jusqu’à la fin définitive du passe sanitaire. Mais les instances gouvernementales ont tendance à extrapoler cette tendance, avec par exemple un cadrage budgétaire pour 2021 fondé sur une hypothèse de croissance de 5% et encore un 4% en 2023. Rexecode par exemple, est sur 3% en 2022 et moins de 2% en 2023. Or, dans les pays où l’économie a repris beaucoup plus vite, comme en Chine ou aux USA, la partie facile de la période post crise (le rattrapage automatique) a déjà pris fin. L’économie américaine a atteint un plateau dans son rattrapage rapide, et la suite du scénario dépendra plus des décisions et orientations de Biden (plan infrastructures, vote de lois fiscales) que de la politique monétaire. La France se trouvera dans la même situation d’ici quatre mois, avec un dangereux faux plat potentiel en terme de croissance. Le chiffre de 5-6% de croissance en 2022 est pour l’instant farfelu, surtout qu’il ne prend pas en compte les tensions inflationnistes bien réelles sur le logement, l’alimentaire et les matériaux, et les difficultés de formation de la force de travail. Sans compter la réorganisation des équipes après la période de travail à la maison, et son effet incertain sur la productivité. Le seul soutien ici est la politique monétaire européenne, qui doit rester accommodante jusqu’en 2023.
Au premier semestre 2021, le nombre de faillites en France a baissé de 15%, alors même que le redémarrage de l’économie n’avait pas commencé…..Voilà un paradoxe que la seule adaptabilité des entreprises ou les aides de l’Etat ne saurait expliquer entièrement, et le comprendre permet aussi de proposer un scénario pour les années à venir. D’abord, d’un point de vue juridique, quand on dit que les faillites diminuent, on parle en fait des procédures collectives : sauvegarde, redressement, liquidation. Mais le droit a évolué en la matière et se sont considérablement développés en France les procédures préventives, pour éviter d’en arriver au tribunal. Or, à cet égard, le nombre de procédures préventives a progressé et continue de le faire : comme dans le cas du chômage, les définitions, multiples et granulaires, ne se prêtent pas aux grands titres des journaux. La baisse des faillites est donc en partie statistique, comme rappelé récemment par l’assureur Euler Hermes. Plus grave, le bilan des entreprises est considérablement dégradé : là aussi, l’effet d’optique des aides permet aux officiels de présenter des trésoreries en bonne forme, mais l’essentiel de l’aide implique des remboursements : remboursement différé d’URSAFF, paiement des intérêts puis du principal des PGEs. Euler Hermes estime qu’il faudra environ cinq ans aux entreprises françaises pour solder la dette liée au Covid en 2020 : soit quasiment tout le prochain quinquennat. Il faut effectivement parier sur une croissance très vigoureuse pendant cinq ans pour éviter des défaillances dans cette population d’entreprises aidées en 2020.
En face des actifs de ces entreprises, de leur trésorerie, il y a désormais de nouvelles dettes: dettes sociales, mais surtout dettes PGEs, qui ne correspondent à aucun nouvel actif ou création de valeur. Cette création de valeur artificielle explique l'absence de faillites: la trésorerie d'exploitation d'une entreprise a eu beau chuter avec la faible activité durant le covid, sa trésorerie totale se voit améliorer par des rentrées d'argent conséquentes en provenance de l'Etat. Les bilans sont donc inflatés. Maintenant, en sortie de crise, et sur plusieurs années parfois, il va falloir consacrer une partie des flux de trésorerie aux remboursements. Les aides ont fonctionné comme un achat à crédit de la croissance future, pendant dix-huit mois où la situation était compliquée. Le cycle d'activité de ces entreprises a été lissé: non nulle pendant la crise, l'activité de ces entreprises sera forcément ralentie pendant deux ou trois ans afin d'apurer leur bilan. Certains organismes comme Euler Hermes ont estimé que 50% du surplus d’épargne actuel de ces entreprises devra être alloué à la régularisation des charges reportées, les prêts d’urgence et la hausse des couts d’approvisionnement consécutifs à la crise (un point que nous avons souligné dans notre vision macroéconomique mais qui va avoir des conséquences sur les faillites : combien d’entreprises du BTP ou de la promotion peuvent tenir si l’envolée des couts de matériaux se poursuit ?). A l’inverse, il est loin d’être certain que le consommateur lui puisse absorber d’éventuels hausse de prix pour compenser ces remboursements : j’en veux pour preuve la situation actuelle, où malgré une croissance de rattrapage forte en sortie de crise, le consommateur n’est pas prêt à surpayer des biens de consommation. Bloqué par l’inflation dans ses dépenses contraintes, il cherche par tous les moyens (nouveaux canaux internet, succès des braderies, changements de vie) à économiser. L’élasticité prix de la demande est faible au regard de la croissance : ce qui est un signe d’ailleurs que cette croissance forte n’est pas naturellement durable….
Derrière cette question, mi statistique, mi juridique, des faillites, il y a en réalité le sujet de la croissance potentielle en France dans les années 2020 : certes très forte après la crise, comme après tout choc exogène telle qu’une guerre, cette croissance n’a aucune garantie de continuer sur cette lancée au-delà de la mi 2022 : surtout, elle est en fait potentiellement bridée par les scories de la crise, par cette croissance de 2021 en quelle sorte achetée à crédit, avec l’argent du contribuable et le soutien monétaire, mais dont une large partie devra être remboursée et pèsera sur la capacité de nombre de PMEs et indépendants à créer à nouveau de la richesse dans le monde post Covid. Il est temps sur ces sujets de retrouver une vision de moyen/long terme, au-delà de l’élection présidentielle, qui manque à l’heure actuelle à nos dirigeants politiques.