Passer de la croissance à l’emploi en France

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Par Sylvain Fontan Publié le 2 octobre 2013 à 6h31

La France a connu un léger rebond de la croissance économique au deuxième trimestre 2013. Le gouvernement français a profité de ce résultat pour défendre l'idée selon laquelle les mesures économiques mises en place commenceraient à porter leurs fruits, permettant ainsi d'accréditer la perspective d'une inversion de la courbe du chômage d'ici la fin de l'année. Au-delà des déclarations politiques, il apparaît que la réalité est différente et que la dynamique est à relativiser.

Rebond de la croissance économique liée à des facteurs conjoncturels

Les causes du rebond de la croissance au deuxième trimestre 2013 sont diverses. Le rebond de l'activité s'effectue dans un contexte de reprise (relative) généralisée en Europe, mais comme l'ensemble de la zone euro part d'un niveau très bas, le niveau d'activité demeure néanmoins très faible malgré une reprise qui peut apparaître forte. En France, le taux de +0,5% s'explique essentiellement par un phénomène de restockage et d'un regain de consommation :

Environ la moitié du rebond provient du restockage de la part des entreprises. Durant la crise, au lieu de produire, les entreprises ont puisé dans leurs stocks pour faire face à la demande. Les stocks des entreprises sont ainsi arrivés à un niveau trop bas et ces dernières ont été amenées à devoir reconstituer leurs stocks (restockage) en augmentant leur production.

L'autre moitié du rebond de la croissance économique est attribuable à la consommation. En effet, d'une part, la consommation des ménages a été stimulée par de mauvaises conditions climatiques qui ont entraîné une consommation d'énergie supérieure aux niveaux habituellement observés et, d'autre part, les ménages ont puisé dans leurs réserves (baisse du taux d'épargne) pour répondre à leurs besoins de consommation.

La résistance de la consommation des ménages renvoie également au relâchement de la contrainte budgétaire. Alors que le pouvoir d'achat a diminué au premier trimestre 2013 pour la première fois depuis 30 ans (du fait de la concentration des hausses d'impôts) le report de la réduction des déficits autorisé par Bruxelles a permis d'amortir l'impact sur le revenu des ménages. En effet, les prestations sociales issues de la redistribution représentent un tiers du revenu moyen des français. Dès lors, le fait de reporter et de limiter la baisse des prestations a permis aux ménages de plus consommer au deuxième trimestre qu'au premier et ainsi d'éviter de rester en récession.

Rebond en réalité momentané

Tous les éléments qui ont permis le rebond ne pourront plus se répéter d'ici à la fin de l'année. En effet, le phénomène de restockage n'est par définition pas reproductible car une fois que les entreprises auront reconstitué leurs stocks elles n'auront plus besoin de le faire. Ensuite, les mauvaises conditions climatiques du printemps dernier ont été exceptionnelles, et donc par définition elles ne sont pas appelées à se reproduire. Egalement, les ménages ne pourront pas sans cesse puiser dans leur épargne pour faire face à des dépenses de consommation jugées jusque-là incompressibles. Enfin, le retour de la pression fiscale à partir du troisième trimestre 2013 limitera mécaniquement la consommation, ce qui s'amplifiera encore à partir de janvier 2014 avec la hausse prévue de la TVA.

Tous ces facteurs temporaires ne permettent absolument pas de parler de retournement de la conjoncture de façon pérenne. Une réelle reprise économique ne pourra être envisagée qu'à partir du moment où les exportations reprendront et où surtout l'investissement des entreprises redémarrera fortement. Or, pour que leurs investissements redémarrent, il faut pour cela un regain de confiance qui semble hypothéqué, notamment par l'environnement fiscal et réglementaire actuellement mis en place, comme le souligne d'ailleurs la baisse des investissements des entreprises au deuxième trimestre 2013. Enfin, notons que le rebond statistique dont il est question réfère à des chiffres trimestriels provisionnels. Autrement dit, ces chiffres peuvent parfaitement faire l'objet d'une révision à postériori, tant dans le montant que dans le détail des composantes concernées (en moyenne, les révisions sont de l'ordre de 0,2% points). Dès lors, un rebond de +0,5% est déjà très relatif, mais il pourrait encore s'avérer moindre.

Le ralentissement de la hausse du chômage doit être relativisé...

D'un point de vue pratique, le rebond de la croissance ne pourra avoir des conséquences tangibles auprès des populations qu'en cas d'impacts sur le chômage. Bien que la hausse du chômage semble se ralentir (après plusieurs dizaines de milliers de demandeurs d'emploi supplémentaires par mois jusqu'au premier trimestre 2013, la hausse du chômage ne s'élève "plus qu'à" quelques milliers de demandeurs depuis le deuxième trimestre 2013) le nombre total de chômeurs ne cesse d'augmenter et atteint maintenant 11% de la population active, soit un record depuis 1997. Même si le gouvernement arrive à atteindre son objectif d'inversion de la courbe du chômage d'ici la fin de l'année, ce résultat ne sera qu'artificiel (contrats aidés et subventionnés, de court terme, et payés par l'Etat, mais pas de contrats marchands de long terme créateurs de richesses), car en réalité seul un taux de croissance d'au moins +1,5% par an peut entraîner une diminution pérenne du taux de chômage.

Le ralentissement de la hausse du chômage soulève en réalité une dynamique inquiétante. En effet, parallèlement aux déclarations politiques qui se félicitent de ce ralentissement (réel) du chômage, il convient de souligner que :

1) le chômage de long terme augmente (13 mois de chômage en moyenne en 2009 contre 16 mois en 2013, soit une hausse de +30%), ce qui diminue l'employabilité de ces personnes qui perdent en partie leurs compétences et qui diminuent leur motivation ;

2) les embauches augmentent certes, mais uniquement en ce qui concerne les contrats déterminés (CDD) inférieurs à un mois, alors que les contrats indéterminés (CDI) chutent fortement ;

3) enfin, la moindre augmentation du chômage n'est pas liée à une hausse des créations d'emplois, mais essentiellement à une augmentation des radiations, de la hausse des sorties des chômeurs des statistiques (retard dans le renseignement des informations nécessaires...) ainsi qu'à un prolongement des études des jeunes et aux effets démographiques des générations du baby-boom qui arrivent à l'âge de la retraite.

Le seul retour de la croissance ne pourra pas régler le problème du chômage. En effet, il faudrait dès à présent créer les conditions qui permettront aux populations d'intégrer le marché du travail quand la croissance économique sera de retour. Il y a deux sortes de chômage : le chômage conjoncturel lié à l'activité et qui se résorbera dès que la reprise sera là, mais aussi et surtout le chômage structurel qui est une problématique propre à la France (chômeurs découragés, chômage des jeunes, chômage de long terme...). Dans ce cadre, attendre le retour de la croissance qui viendrait des pays voisins qui ont fait les efforts pour stimuler leurs activités influencera certes positivement le chômage conjoncturel, mais pas le chômage structurel.

.... et cache des problématiques structurelles de l'emploi en France.

Au lieu de se focaliser sur le chômage, il conviendrait de se concentrer sur l'emploi. En effet, le stock de chômage (nombre de personnes sans emploi) est un sujet largement commenté mais les flux (entrées et sorties du chômage) sont des éléments généralement évincés. Pratiquement, au lieu de se focaliser sur le nombre de chômeurs, il conviendrait de s'intéresser davantage au nombre d'emplois créés et aux conditions qui permettent de créer ces emplois.

Une économie est un système "vivant" où les emplois d'aujourd'hui ne sont pas forcément ceux de demain. L'important au niveau global est de créer plus d'emplois que d'en détruire. Dans ce cadre, au lieu d'investir au sens large (temps, argent, énergie...) dans la protection de l'emploi et la limitation des licenciements (concernant des emplois qui sont généralement appelés à disparaître du fait des mutations technologiques et du monde), il conviendrait d'investir dans la création d'emplois et la recherche des secteurs porteurs et d'avenir. Pour ce faire, la flexibilisation du marché du travail est un élément essentiel sans lequel l'adaptation de l'activité économique aux conditions de marché (prix, innovations, offre, demande...) ne permet pas le passage des individus d'un secteur à un autre. A cela, il convient également d'ajouter l'aspect formation continue (et pas uniquement l'amélioration des compétences actuelles mais aussi l'acquisition de nouvelles compétences) qui permet de faciliter le passage des employés d'un secteur à un autre, et l'aspect incitatif à la mobilité géographique afin que les zones en déclin puissent venir renflouer les zones sous tension (contrairement aux effets de la réforme des droits de mutations).

L'important n'est pas de perdre un emploi, mais de pouvoir en retrouver un nouveau. Pour ce faire, il faut faciliter le licenciement mais également l'embauche. Sans ce double aspect, le marché du travail se retrouve comme actuellement : bloqué. En effet, d'une part, l'employé qui perd un emploi peine à en retrouver un et, d'autre part, l'employeur qui a besoin d'embaucher renoncera à le faire ou préférera un emploi précaire de court terme à un emploi stable de long terme. Au-delà du manque de visibilité de la part du chef d'entreprise, des lourdeurs administratives et de l'instabilité fiscale qui pèsent sur son activité, la décision d'embaucher est souvent arbitrée de manière négative compte tenu du coût que cela engendre, du risque que cela implique et de la complexité induite. Parallèlement, les entrepreneurs font face à un arsenal réglementaire qui les empêche de se développer dans plusieurs secteurs porteurs du fait notamment des crispations de la société sur des sujets tels que les gaz de schistes, les OGM, la génétique, etc. Au final, la volonté affichée de vouloir protéger les salariés entraîne l'incapacité des personnes exclues du marché du travail à pouvoir l'intégrer, sans pour autant garantir de façon pérenne les emplois actuels.

Solutions et risques

Pour sortir de ces problématiques structurelles, la France va devoir se résoudre à des mesures profondes. Parmi ces mesures, il y a (1) la baisse du coût du travail (baisse des charges) afin d'atteindre un équilibre de marché qui permet de regagner en compétitivité et ainsi pouvoir augmenter les exportations et la production et créer suffisamment de richesses au regard de la démographie, et/ou (2) redonner des marges de manœuvre financières par la baisse de la fiscalité aux entreprises afin qu'elles puissent reformer leurs marges bénéficiaires et ainsi se développer pour gagner des parts de marché par l'investissement et l'innovation.

Dans les deux cas, cela ne pourra être atteint que grâce à une diminution des dépenses publiques (Etat mais surtout dépenses sociales et des collectivités locales). En effet, le niveau actuel ne permet pas aux finances publiques de soutenir l'activité économique en relâchant la pression fiscale. Pourtant, cette évolution serait bienvenue pour permettre aux entreprises d'investir dans leur stock de capital (machines) qui a vieilli pendant la crise et dont la rentabilité a diminué, ce qui amoindrit d'autant les perspectives d'embauches en période de sortie de crise car les entreprises auront au préalable besoin d'améliorer leur outil productif, à fortiori si le marché du travail reste aussi rigide.

Le risque est que la France perde la capacité d'influer sur son destin en niant la réalité. A moyen terme, si rien n'est fait, la France risque d'être dépassée sur la compétitivité coût (le prix) par les pays émergents et les pays d'Europe du Sud qui ont entamé une profonde mutation de leurs économies; et par l'Allemagne, les Etats-Unis et le Japon en ce qui concerne la compétitivité hors coût (qualité, innovation...). En effet, les charges qui pèsent sur les entreprises ne leurs permettent plus d'envisager de gagner des parts de marché grâce à une compétitivité coût. En outre, les charges pèsent également sur les marges des entreprises qui sont devenues insuffisantes pour innover et monter leurs produits en gamme et ainsi espérer pourvoir entrer en concurrence sur des aspects liés à la compétitivité hors coût.

Au final, c'est la cohésion sociale de la France, son système de solidarité et de redistribution, ainsi que son niveau de vie qui seront remis en cause à plus ou moins long terme. Les mécanismes assurant tous ces aspects ne pourront plus fonctionner. Le coût inhérent à son fonctionnement ne sera plus soutenable. La défense d'un modèle considéré comme immuable, faute d'avoir été adapté, va mécaniquement entraîner un déclin du pays. In fine, cela va aboutir à l'opposé de ce que le système ambitionnait, à savoir faire que les pauvres et les faibles seront encore plus pauvres et faibles, et qu'inversement seuls les plus aisés et les plus intégrés socialement et économiquement auront les outils pour faire face à cette évolution brutale.

Retrouvez d'autres décryptages économiques écrits par Sylvain Fontan sur son site www.leconomiste.eu

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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