La Croatie va devoir faire des efforts pour s’intégrer à l’Union Européenne

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Par Sylvain Fontan Publié le 14 octobre 2013 à 12h25

Depuis le 1er Juillet 2013, la Croatie est devenue le 28ème membre de l'Union Européenne (UE), soit près de 20 ans après la guerre de Yougoslavie. Le processus d'intégration aura été le plus long de toute l'histoire de l'UE car il aura duré plus de 10 ans, et les conditions d'entrée auront également été les plus draconiennes. L'aspect sur lequel la Croatie devra s'améliorer pour s'adapter et tirer avantage de son nouvel environnement économique est la compétitivité. Pour l'Europe, l'adhésion de la Croatie revêt essentiellement un intérêt politique et géopolitique, plus qu'économique.

Etat des lieux

Après la guerre de Yougoslavie, la Croatie a connu une période de rattrapage économique important jusqu'en 2007 avec un rythme de croissance moyen de +4% par an. La croissance était basée sur le dynamisme du tourisme et une consommation des ménages financée par crédit et l'afflux de capitaux étrangers. Le rattrapage économique s'est traduit par une augmentation du PIB qui s'élève maintenant à 10'300 euros par habitant, contre 25'600 euros en moyenne en UE. Dès lors, et malgré ce rattrapage, la Croatie sera le pays le plus pauvre de l'UE, après la Roumanie et la Bulgarie.

Le pays est plongé dans une récession économique depuis maintenant cinq ans. La diminution de la croissance du PIB a entrainé une chute de la consommation, de l'investissement et des flux de capitaux étrangers, ainsi que l'envolée du chômage proche de 20% actuellement et supérieur à 40% chez les moins de 25 ans. Le résultat de ces éléments a été la dégradation des finances publiques et l'explosion mécanique de la dette publique qui a doublé en l'espace de quatre ans.

La dégradation économique et la persistance de la récession soulignent les faiblesses du modèle économique croate, à savoir, un environnement peu propice à l'investissement car des entreprises encore très étatisées et peu productives, l'ampleur de l'évasion fiscale et la forte dépendance à l'égard des capitaux étrangers. Parmi les éléments pouvant expliquer une faiblesse il convient de signaler le régime de change quasi fixe avec l'euro. En effet, la Kuna (devise croate) est ancrée sur l'euro, laissant peu de possibilité de flottement de sa valeur. L'avantage de ce système est qu'il diminue les anticipations inflationnistes, et donc permet de solidifier la stabilité des prix. En revanche, l'inconvénient est qu'il entraine des taux d'intérêts bas qui incitent à avoir recours au crédit pour consommer et importer.

Problème de productivité

Héritage d'une économie relativement récemment convertie à l'économie de marché, la Croatie est très mal notée dans les classements mondiaux en terme de compétitivité et de climat des affaires. En effet, la Croatie se classe 84ème sur 185 pays derrière des pays tels que la Moldavie, la Bulgarie ou la Roumanie. La perte de compétitivité s'explique par une croissance de la productivité du travail qui a été inférieure à la progression des salaires. De plus, les dépenses en termes de R&D (Recherche et Développement) sont spécialement faibles (inférieures à 1% du PIB quand la moyenne européenne est de 2% du PIB). Tous ces éléments traduisent la structures des entreprises croates qui sont très souvent publiques, endettées et non rentables. Egalement, le marché du travail reste rigide et propose un système d'indemnisation n'encourageant pas à la reprise d'un travail. Le résultat de ces aspects et le développement d'une économie souterraine représentant près de 30% du PIB.

L'amélioration de la compétitivité est un des enjeux de l'adhésion à l'UE. En effet, jusque-là le pays bénéficiait d'un accès privilégié aux pays d'Europe centrale et orientale. Or, cet accord n'est dorénavant plus possible et la Croatie va devoir s'adapter pour d'une part, créer les conditions d'un climat favorable à l'attraction d'investissements étrangers pour redresser le pays, et d'autre part, trouver des débouchés sur un marché de plus de 500 millions de consommateurs où la concurrence est très élevé. Pour ce faire, plusieurs privatisations sont déjà en cours afin de rompre avec un système de production publique inefficace et couteux. L'exemple emblématique est la privatisation des chantiers navals de la ville de Split sur la mer Adriatique. Le système public avait créé un fonctionnement aberrant où des personnes étaient embauchées alors que l'activité manquait et que ces personnes étaient donc embauchées à ne rien faire au frais du contribuable. Les chantiers navals ont accumulé jusqu'à 1 milliard d'euros de dette. L'UE a alors demandé que ces chantiers soient privatisés. Un plan de restructuration a été lancé prévoyant l'investissement de 300 millions d'euros par an pendant 5 ans et le licenciement de 1'500 ouvriers afin de rendre l'outil industriel compétitif.

Aspects politiques

Le moment de l'intégration au sein de l'UE par la Croatie peut paraître paradoxal. En effet, l'UE traverse une période de doute, de chômage et de crise de l'euro. Dans ces conditions, il semble difficile de s'étendre à la périphérie de l'UE si le centre doute. Ce paradoxe souligne en réalité d'autant plus le pouvoir d'attraction de l'UE. En effet, alors que l'UE est parfois considérée comme un sujet de déception parmi les populations des Etats membres, il apparaît que la perspective d'adhésion garde tout son pouvoir d'attraction à la périphérie.

Soulignons également que c'est un message envoyé au monde disant que la première puissance économique mondiale (l'UE) est toujours capable, même en pleine crise économique, d'accueillir et d'intégrer un nouveau membre en son sein. L'Europe garde la capacité d'être fidèle aux inspirations fondatrices que sont la recherche de la paix et de la prospérité économique.

Dans cette optique de paix, il convient de rappeler que l'intégration de la Croatie est la concrétisation des engagements pris en 2000 par l'UE. L'idée était d'encourager à la sortie du communisme, à la formation d'un Etat et à la transition démocratique. Il ne faut pas oublier non plus que l'échec majeur de l'Europe est la guerre des Balkans qu'elle a été incapable d'empêcher et que l'intervention militaire n'aura été réalisée que par l'intermédiaire de l'OTAN alors même que le confit se déroulait sur son propre sol. L'idée est donc de tourner définitivement une page. L'entrée de la Croatie dans l'UE rend la perspective d'une guerre dans cette zone très improbable. L'intégration probable future de la Serbie rendrait cette perspective quasiment impossible. Le processus en cours ressemble donc fortement à celui qui a amené la France et l'Allemagne en leur temps à se réconcilier et acter la paix par le renforcement des intérêts économiques et politiques.

Pour l'UE, l'intérêt premier n'est donc pas économique, mais il est avant tout politique. En effet, c'est dans l'intérêt des pays membres de voir les pays voisins se stabiliser sur le plan démocratique et économique. Enfin, il y a un aspect géoéconomique à ne pas négliger. La zone des Balkans prise dans son ensemble est une zone convoitée par beaucoup d'acteurs (Russie, Turquie et Chine) qui voient en cette région une tête de pont parfaite pour pénétrer le marché de l'Europe centrale et orientale. Il est préférable pour l'Europe d'intégrer ces pays plutôt que de laisser d'autres acteurs le faire.

Processus d'adhésion

L'adhésion complète d'un pays au sein de l'Union Européenne se déroule en cinq étapes :

1) L'Etat qui souhaite adhérer dépose une demande auprès de la Commission Européenne qui doit donner un avis sur la nature européenne ou non du pays, et le respect des valeurs européenne. La nature européenne d'un pays est un concept flou sur le plan géographique, culturel et historique. Quant au respect des valeurs, cela renvoie à la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l'égalité, le respect des droits de l'homme, l'Etat de droit et le respect des minorités.

2) Si la Commission Européenne donne un avis favorable, elle transmet la demande au Conseil Européen qui doit décider à l'unanimité si le pays peut accéder au statut de "pays candidat" au regard de critères d'éligibilité politique et économique. Notons que le statut de "pays candidat" correspond à une reconnaissance politique d'une relation plus étroite avec l'UE mais ne signifie en rien que le pays en question a droit à terme à l'adhésion. Autrement dit, cela n'engage à rien.

3) Une fois que le statut est accordé, les négociations à proprement dit peuvent commencer et portent sur des sujets variés, selon les contextes et les pays.

4) Si les négociations aboutissent sur une position commune, un traité d'adhésion doit être rédigé et ratifié par l'ensemble des pays membres et par le pays candidat.

5) Le nouvel adhérent peut envoyer des députés au parlement européen, il devient membre de droit du conseil européen et il intègre l'union douanière. Les autres aspects liés à l'UE sont généralement intégrés au fur et à mesure en fonction des négociations.

Retrouvez d'autres décryptages économiques écrits par Sylvain Fontan sur son site www.leconomiste.eu

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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