Ce que nous apprend la crise de l’euro sur le fonctionnement d’une Union monétaire

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Par Patrick Artus Modifié le 2 novembre 2012 à 7h45

La crise de la zone euro est une source prodigieuse d’informations sur le fonctionnement d’une Union Monétaire ; elle révèle un certain nombre de mécanismes dont l’importance était jusqu’à aujourd’hui sous-estimée.

Il s’agit tout d’abord du lien entre unification monétaire, convergence et hétérogénéité des pays qui participent à cette Union Monétaire. On a longtemps cru, en particulier parmi les créateurs de l’euro, que lorsque des pays entraient dans une Union Monétaire ; leurs économies allaient converger, allaient devenir de plus en plus semblables.

L’absence d’hétérogénéité, à moyen terme, rendrait évidemment très facile le fait d’avoir la même monnaie. Mais la réalité est toute différente. La disparition du risque de change permet aux entreprises de localiser les productions dans les endroits où elles sont réalisées de la manière la plus efficace (en fonction de la situation géographique, de la qualification de la population active, du niveau technologique, de l’effort d’innovation…).

Les pays de l’Union Monétaire se spécialisent alors dans des activités différentes ; l’industrie, en particulier, s’est concentrée dans la zone euro dans les pays du Nord et de l’Est de la zone, elle a largement quitté la France et les pays du Sud. Ceci fait apparaître une hétérogénéité considérable en ce qui concerne la tendance de croissance, le niveau de revenu, les balances commerciales des pays (les pays désindustrialisés ayant des déficits extérieurs), qui rend très difficile pour ces pays d’avoir la même monnaie. Le second mécanisme qui a été révélé par le fonctionnement de la zone euro est que, s’il y a plusieurs états, donc plusieurs budgets, plusieurs dettes publiques, il peut apparaître des crises de liquidité affectant un ou plusieurs pays : les déficits publics deviennent très difficiles à financer, les prêteurs exigeant des taux d’intérêt très élevés, alors que le pays est parfaitement solvable, peut rembourser ses dettes.



Il a donc fallu mettre en place dans l’urgence une capacité de la zone euro (fonds européens, appelé EFSF-ESM, achats de dettes publiques par la BCE) pour répondre aux crises de liquidité, prêter aux pays à des taux d’intérêt raisonnables si les investisseurs privés ne veulent plus le faire. Enfin on a compris, ce qui est très important, qu’une Union Monétaire sans fédéralisme entre des pays hétérogènes ne pouvait pas survivre. Le fédéralisme consiste à mettre en place des transferts de revenus (de fonds publics) entre les pays, des pays riches vers les pays pauvres, des pays ayant des excédents extérieurs vers les pays ayant des déficits extérieurs.

Sans fédéralisme, les pays désindustrialisés de la zone euro (France, Espagne, Grèce, Portugal, de plus en plus Italie) doivent faire disparaître leurs déficits extérieurs, puisqu’aucun transfert de revenu lié au fédéralisme ne vient compenser ces déficits extérieurs et empêcher qu’ils conduisent à une accumulation sans fin de dette extérieure, donc à l’insolvabilité extérieure du pays et à une crise financière. Mais pour un pays désindustrialisé, réduire le déficit extérieur passe essentiellement par la réduction des importations, donc de la demande intérieure, puisque la faible taille de l’industrie interdit que l’ajustement se fasse par la hausse des exportations.

Ceci veut dire que, dans une Union Monétaire sans fédéralisme les pays spécialisés dans les services et non dans l’industrie doivent fortement et durablement s’appauvrir, pour réduire leur consommation et leurs importations, et cet appauvrissement est insupportable politiquement et socialement.

L’expérience de la zone euro et la crise de l’euro nous montrent donc qu’il est normal qu’une Union Monétaire devienne très hétérogène, qu’il est normal, tant qu’il n’y a pas un budget unique, qu’il y apparaisse des crises de liquidité, et qu’une Union Monétaire, très probablement, ne survit que par la mise en place du fédéralisme.

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Patrick Artus est économiste, et directeur de la recherche et des études de Natixis. 

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