Pariez sur une crise systémique à la rentrée

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 20 juillet 2016 à 11h43
Crise Syst%c3%a9mique Eric Verhaeghe
@pixabay - © Economie Matin
340 MILLIARDS €340 milliards d?euros seraient le montant de créances douteuses pour les banques italiennes.

Faut-il craindre une nouvelle crise systémique ? Depuis la Grande Crise de 2008, la question est devenue une sorte de marronnier de l’été, tant l’incertitude est structurelle dans l’ensemble de l’appareil économique. En outre, peu d’étés se sont déroulés depuis cette date sans que des incidents graves ne surviennent.

Après la crise de l’euro en 2011, le monde a ainsi connu l’effondrement boursier en Chine, les quasi-faillites de la Grèce, etc. Ces incidents n’ont toutefois pas débouché jusqu’ici sur des mises en danger mondiales, même si nombre d’observateurs sont convaincus qu’un nouveau krach est inévitable.

Peut-il arriver cet automne? Plusieurs éléments le laissent à penser et des paris raisonnables peuvent être pris sur un événement douloureux entre septembre et novembre.

L’Europe toujours malade de ses banques

À la différence des États-Unis où le complexe militaro-industriel est plus puissant que le lobby bancaire, l’Europe s’est totalement jetée dans les bras de la finance sans se préoccuper d’industrie de défense. Ce suicide programmé s’est opéré il y a une quarantaine d’années environ, lorsque les élites continentales (et françaises au premier chef) ont décrété la ringardise de l’industrie et la modernité de la banque.

Les banques sont devenues toutes puissantes en Europe, et notamment en France où la majorité des responsables politiques est fascinée par le pouvoir de l’argent, pendant que la technostructure rêve chaque matin en se rasant d’être recrutée à prix d’or par une grande banque ou par une banque d’affaires pour y monétiser son carnet d’adresses. Cette idolâtrie a ouvert des boulevards aux banquiers pour un grand n’importe quoi, et notamment des bilans gonflés à l’hélium avec des fondamentaux défaillants.

Le 29 juillet, l’autorité bancaire européenne doit publier le bilan des stress tests réalisés cette année. On sait que ces publications font d’ordinaire oeuvre de pudibonderie. Elles devraient néanmoins souligner l’insuffisance en fonds propres des banques italiennes. Beaucoup d’initiés pensent que le régulateur européen fera oeuvre utile en cachant pudiquement la situation dans un certain nombre d’autres pays européens.

Mais que se passe-t-il en Italie?

Certains avancent le chiffre de 340 milliards d’euros de créances douteuses pour les banques italiennes. Autrement dit, les banques italiennes ont accordé des crédits qui risquent de ne pas être remboursés pour un montant de cette taille, équivalent au budget de l’Etat en France.

Traduction: l’Italie pourrait avoir à faire face à un choc interne de même ampleur qu’une banqueroute de l’Etat en France.

Bien sûr, le financier sait que la peur fait venir le danger, et tout le monde s’emploie à conjurer l’un et l’autre en disant que tout cela n’est rien. L’Italien Angeloni, responsable de la supervision bancaire à la BCE, a cherché à minimiser le phénomène dans une interview à la presse italienne:

"Certaines banques sont handicapées par un niveau élevé de prêts non-performants. Le problème peut être géré mais ne doit pas être sous-estimé", a dit Angeloni à Il Sole 24 Ore dans un entretien publié vendredi.

« Le problème peut être géré »… Entendez: le contribuable doit mettre la main à la poche pour réparer les folies bancaires, comme d’habitude. Ce faisant, la Commission Européenne a autorisé le gouvernement italien à actionner un fonds public de 150 milliards € pour garantir les liquidités bancaires. Les spécialistes savent que cette opération de passe-passe qui consiste à demander au contribuable de payer un impôt réinjecté sous forme d’argent au guichet fréquenté par le client des banques est une étape importante dans l’enfoncement au coeur des sables mouvants.

L’Allemagne n’est pas épargnée

En Allemagne, la situation n’est pas meilleure, contrairement aux délires prussophiles de l’élite française. Le FMI, il y a quelques jours, n’a pas hésité à mettre les pays dans le plat en publiant une étude sur les G-SIBs, c’est-à-dire les établissements bancaires de taille systémique, comportant ce texte:

« Au sein des G-SIBs, Deutsche Bank apparaît comme le plus plus important contributeur net en termes de risques systémiques suivi par HSBC et Credit Suisse », précise le FMI.

« Le poids relatif de Deutsche Bank souligne l’importance de la gestion des risques, de la supervision intensive des G-SIBs et du suivi rapproché de leurs expositions transfrontalières », poursuit le Fonds qui estime nécessaire de mettre en place rapidement des mesures pour assurer la liquidation des banques en difficulté.

S’agissant des « mesures à mettre en place », les banquiers de la Deutsche Bank ont leur idée. L’économiste en chef de la banque a donné une interview au Welt am Sonntag où il demande un plan européen de sauvetage des banques de 150 milliards €.

« Europa ist schwer krank »: l’échec de la BCE

« L’Europe est très malade » dit ce chef économiste. Encore passe-t-il sous silence la dangereuse politique d’exposition au risque menée par la Banque Centrale Européenne depuis plus d’un an. Tout le monde se gausse de l’échec remarquable de cette politique qui a consisté à gonfler de 50% le bilan de la Banque sans aucun effet sur l’économie du continent.

On rappellera ici que la BCE a officiellement décidé de lâcher des liquidités (son fameux « Quantitative Easing ») pour réanimer une inflation mourante (le mandat de la BCE est de maintenir l’inflation autour de 2%). Voici l’histoire de l’inflation en Europe depuis 10 ans selon Eurostat:

Autrement dit, les interventions massives décidées en mars 2015 n’ont produit aucun effet notable, si ce n’est qu’elles évitent (peut-être) la déflation à prix d’or. La BCE chasse le moustique avec une enclume. Le résultat de cette politique est assez bien reflété dans le graphique produit par la banque Natixis:

La ligne mauve montre bien que, depuis mars 2015, les liquidités en Europe ont littéralement explosé sans que ce déluge d’euros n’ait le moindre impact manifeste sur l’activité.

En revanche, cette folie a un inconvénient: en cas de retournement sévère du marché, amplifié par l’expansion du shadow banking, la BCE sera incapable de réagir. Son bilan sera en effet alourdi par des créances douteuses et elle ne pourra jouer son rôle de créancier en dernier ressort.

Bref, les banques européennes sont au bord de l’effondrement, et la BCE n’a aucune marge de manoeuvre pour les soutenir.

En route vers la crise systémique

Ces éléments ne signifient pas qu’une crise systémique interviendra à coup sûr à la rentrée. Ils signifient en revanche que la probabilité que cette crise survienne est encore plus forte que les années passées, et que la crise sera d’autant plus violente qu’elle aura tardé à survenir.

Il ne faut pas ici sous-estimer l’impact politique de cette crise, qui pourrait intervenir au pire moment pour le continent.

Les difficultés internes de l’Europe connaissent en effet un tournant, ou une rencontre de séries différentes comme aurait dit le philosophe de l’Histoire Cournot. D’une manière globale, le gouvernement profond européen se raidit d’autant plus qu’il est fortement contesté par les peuples. D’autre part, une menace nouvelle liée aux mouvements démographiques apparaît. Enfin, les tensions militaires existent, notamment avec la Russie.

Qui paiera la crise systémique? Vous!

Je ne pouvais évidemment finir cet article sans glisser la petite remarque qui tue. En cas de crise bancaire majeure, l’Union n’a pas formalisé de règle pour les garanties de dépôt. Autrement dit, un scénario à la chypriote où les faillites bancaires seraient évitées par une mobilisation totale ou partielle des avoirs des clients n’est pas exclue. Un récent rapport du Sénat fait un point utile sur le sujet:

Dès l’origine, la proposition de garantie des dépôts a fait l’objet d’une forte contestation de la part de certains États membres, dont l’Allemagne et la Finlande, qui ont déploré l’absence d’analyse d’impact initiale de la part de la Commission et contesté la base juridique retenue (l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Une contestation identique de la base juridique avait été formulée lors de la négociation du deuxième pilier sur la résolution et conduit à l’élaboration d’un accord intergouvernemental pour traiter du Fonds de résolution unique. À nouveau, les arguments avancés présentent la proposition non pas comme un rapprochement des législations mais comme un transfert de ressources et, partant, comme un sujet de nature fiscale nécessitant un vote à l’unanimité. Cette contestation est de nature à soutenir la demande de recours à un accord intergouvernemental au motif qu’un règlement sur la base de l’article 114 ne peut valablement autoriser un transfert budgétaire.

Bref, en attendant que l’Allemagne cède (son angoisse est de demander aux épargnants allemands de financer les faillites des autres, l’inverse ne la gênant bien entendu pas), chaque pays agira selon son bon vouloir. Et rien n’empêcherait une saisie directe des avoirs des particuliers par les Etats.

Bon été à tous!

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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